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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2015
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2015

La Marche du Prophète de Gabriel Katz
 
Il y a deux ans Gabriel Katz avait fait sensation avec sa trilogie du Puits des mémoires, une trilogie de fantasy innovante, pleine d'humour tout en étant une réflexion passionnante sur ce qui fait la personnalité de quelqu'un, son individualité et son "moi", que j'avais adoré (coup de coeur d'octobre 2012) et pour laquelle il a eu le Prix des Imaginales. Il remet cela avecLa marche du prophète, premier tome deAeternia (Scrinéo) : le ton est beaucoup plus sombre car le sujet ne se prête guère à l'humour. En effet, le personnage principal du roman, Leth Marek, est le champion des arènes de Morgoth depuis dix ans, le meilleur combattant du monde. Au sommet de sa gloire, fortune faite, il a décidé de se retirer et d'élever ses deux fils qu'il connaît à peine à Kyrénia, la capitale du savoir, du commerce et des arts, centre aussi du pouvoir religieux car c'est là que se trouve le Haut Temple de la Grande Déesse, siège du Patriarche, chef absolu de la religion dominante. Tout le roman tourne autour de la religion : Leth Marek va avoir le malheur de se montrer tolérant en sauvant la vie d'une jeune prêtresse d'Ochin, un dieu bien oublié à qui le Prophète, chef d'un groupe d'adorateurs miséreux et ignorants, veut rendre sa suprématie en renversant l'ordre établi, et le résultat sera que les fanatiques de la Grande Déesse à qui il a frotté plus que sévèrement les oreilles, les Rédempteurs, vont prendre leur revanche de manière horrible. La vengeance devient son unique but et il va rejoindre, sans partager leur foi, les adorateurs d'Ochin et protéger leur groupe et leur Prophète. Quant à Varian, jeune prêtre provincial à l'ambition démesurée, tout juste arrivé au Temple, il va lui aussi se retrouver en but aux exactions des fanatiques défenseurs de la vraie religion de la Déesse, c'est à dire d'un retour à la forme supposée originelle de celle-ci et à sa "pureté". Tout le roman, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt et toute la force, repose sur les interactions entre les personnages et les religions, qui ne sont que des instruments de réalisation des ambitions individuelles, permettant de parer celles-ci des atours les plus nobles... A part Leth Marek, obnubilé par son désir de vengeance et de conquête de la belle Nessirya, la femme qu'il a sauvé, et le baron de Ridan, noble désargenté qui offre asile et protection selon les antiques traditions de sa baronnie aux sectateurs d'Ochin, les autres personnages sont soit des pauvres types pris dans le système et faisant de leur mieux pour ne pas être broyés comme Hoargan, petit sous-officier de la garde qui se retrouve distingué sans l'avoir demandé pour le commandement d'une mission plus que douteuse, soit des arrivistes prêts à toutes les atrocités pour faire triompher leur conception de la vraie - ou de la bonne - religion comme le grand prêtre Ismaen ou au contraire prêts à toutes les compromissions, tel le fascinant Nahel Amon qui deviendra le protecteur de Varian, ce Rastignac de la religion dont l'évolution est la plus intéressante dans ce premier volume : il va perdre sa foi au fur et à mesure de son ascension fulgurante et de ses tentations pour la chair, il va se débattre dans les intrigues du Temple et essayer malgré tout de conserver un minimum de respect pour lui-même.
L'auteur renvoie dos à dos les deux religions qui ne sont que des instruments de manipulation des masses entre les mains de politiciens habiles, parés des atours des prêtres, rappelant irrésistiblement des problèmes actuels de notre propre monde. Très bien écrit, avec de beaux combats, du sang et de la fureur, du désespoir et de l'avidité, dominé par la cruauté de l'indifférence aux souffrances d'autrui et la réalisation des desseins personnels, le roman se dévore d'une traite. Gabriel Katz, avec son sens habituel du suspense, réussit le tour de force de nous laisser haletants à la dernière page. L'attente pour le tome 2 va être difficile à endurer...

Les Révélations de Riyria, Intégrale de Michael J. Sullivan
 
Il y a un peu plus de deux ans les Editions Milady sortaient les deux premiers volumes d'un cycle de Michael J. Sullivan intitulé Les Révélations de Riyria, qui étaient de l'excellente fantasy. Puis en juin de l'année dernière, le cycle complet (dont 4 romans inédits donc en français) est sorti en trois tomes chez Bragelonne : Les Voleurs d'épées (tome 1, reprenant les deux premiers romans), L'Avènement de l'Empire (tome 2 avec L'Empire de Nyphron et Tempête d'émeraude) et L'Héritier de Novron (tome 3 avec Hivernal et Percepliquis).
Michael J. Sullivan nous introduit, avec Les Voleurs d'épées, dans le monde féodal d'Elan, morcelé en une foultitude  de nations, royaumes, duchés, comtés etc..., où s'affrontent grands féodaux, rois rivaux et trois grands partis politiques transcendant les frontières, et plus particulièrement à Medford, capitale du royaume de Melengar. C'est là que se sont rendus Royce, voleur émérite, et Hadrian, bretteur tout aussi émérite, qui sont embauchés sur place pour voler une épée, travail facile et bien payé. Comme ils le subodoraient, le contrat était trop beau, ils se retrouvent face au cadavre du roi, sont arrêtés et condamnés à mort. Arista, fille du roi défunt et soeur du nouveau roi, Alric, magicienne, leur propose de les libérer si ils enlèvent en partant celui-ci afin de lui éviter d'être assassiné à son tour et de l'emmener voir un mystérieux prisonnier nommé Esrahaddon, enfermé dans une prison ecclésiastique lointaine et inconnue de tous. Ils se retrouvent ainsi non seulement régicides mais kidnappeurs, avec toutes les force du royaume à leurs trousses. A partir de là, l'auteur nous plonge dans un tourbillon d'intrigues et de faux-semblants où tout le monde conspire ou semble conspirer, où les alliances se font et se défont au gré des intérêts de chacun entre royalistes, nationalistes (républicains) et impérialistes soutenus par la toute puissante église du demi-dieu Novron car, comme souvent, la religion s'en mêle.
Deux ans se sont écoulés lorsque nous retrouvons, dans La Tour elfique, nos deux héros qui coulent des jours heureux et relativement paisibles ; ils se sont rendus dans la bonne ville de Colnora, cherchant à régler leurs comptes avec le baron DeWitt, l'homme qui les avait trahi et entraîné dans l'affaire de La Conspiration de la Couronne, devenue une pièce de théâtre à succès ! Mais leur destin va changer car, ayant toujours trop bon coeur, ils vont accepter d'accompagner une jeune femme, Thrace Wood, dans son village natal perdu de Dahlgren afin de sauver son père car le village est ravagé par une bête inconnue qui massacre les habitants. A partir de là tout bascule : ils vont se retrouver pris dans les méandres d'un grand complot de l'Eglise d'Ervanon qui cherche depuis des siècles l'Héritier disparu de l'Empire de Novron et a décidé d'organiser un grand tournoi pour le mettre sur le trône, tournoi truqué, cela va sans dire. Et la princesse Arista, la magicienne rencontrée précédemment, nommée ambassadrice par son frère, le roi Aldric, va se trouver partie prenante aux intrigues de l'Eglise. Bien entendu, l'intrigant et puissant magicien Esrahaddon réapparaît aussi. Résultat : un nouveau roman d'aventures, de bien beaux combats, de nouvelles révélations en cascade qui nous en apprennent plus sur les origines cachées de nos deux héros, des personnages de "méchants" toujours aussi ambigus et donc intéressants - le "bon" évêque Saldur, ce grand-père débonnaire, continue de pousser ses pions, l'inquiétante et fanatique Sentinelle Luis Guy, porte-parole du patriarche de l'Eglise de Novron -, de belles descriptions de lieux - le palais du roi de Dunmore et de ses occupants vaut le détour, comme la splendide Tour elfique qui donne son nom donne son titre au roman. Les personnages "secondaires" sont  pléthore et tous sont très humains, avec leurs qualités et leurs défauts - que ce soit le diacre Tomas par exemple ou le père de Thrace, Theron, et, bien entendu, le nain assoiffé de connaissances et dépourvu de scrupules Magnus. Et il y a même, enfin, des elfes ! L'auteur fait toujours preuve du même humour un peu grinçant mais le ton est plus sombre que dans le premier volume car les enjeux sont devenus plus importants et mieux appréhendés par nos personnages qui ont vieilli et mûri.
Cette évolution se poursuit au fur et à mesure des romans suivants, le ton devient de plus en plus sérieux car les enjeux montent : rien de moins que déjouer les intrigues de l'Eglise et de son Empire naissant, c'est le sort du monde qui est en jeu - ainsi que celui  de l'Impératrice et d'un dieu, pas moins ! - en retrouvant le vrai Héritier et en comprenant pourquoi les elfes ont soudainement rompu le traité de paix vieux d'un millénaire et envahissent les terres humaines. Les masques tombent, les personnalités se révèlent dans une succession de développements inattendus mais logiques, l'auteur donnant au fur et à mesure les indices nécessaires au lecteur attentif jusqu'au dénouement dans les vestiges de Percepliquis, la cité disparue et mythique...
Michael J. Sullivan, à partir d'un démarrage somme toute très classique - une paire de mercenaires sympathiques, Royce et Hadrian, aux antécédents plus mystérieux qu'ils ne semblent l'être -, développe une action sophistiquée et prenante, abondant en retournements de situation, combats et duels divers, mettant en scène des personnages qui, de secondaires, vont se révéler importants en mûrissant et en découvrant leur personnalité profonde en fonction des situations à gérer comme le prince Aldric ou le petit moine à la mémoire eidétique, Myron, les femmes ont un rôle fondamental - la princesse Arista, Thrace  ou la jeune servante Amilia et l'évaporée duchesse de Rochelle - et, bien entendu, les "méchants" comme l'intrigant Braga, l'ambitieux évêque Saldur de l'Eglise de Nyphron, le veule et arriviste comte Archibald Ballentyne, le fanatique et raciste Luis Guy et surtout le lointain patriarche de l'Eglise de Novron. Le cycle est un "page turner" parfaitement bien écrit, allant crescendo en intensité jusqu'à son dénouement, sans aucun doute l'un des meilleurs que j'ai lu en fantasy ces dernières années.
 
 
Les Dossiers secrets de Harry Dickson, tome 4 de Brice Tarvel
 
Il y a cinquante ans disparaissait l'immense Jean Ray, l'un des plus grands conteurs de fantastique de notre langue. Beaucoup d'entre nous  l'avait découvert grâce à sa republication aux Editions Marabout de Verviers (Belgique) dont on ne louera jamais assez le travail extraordinaire à l'époque dans les genres que nous aimons. Et parmi le foisonnement des contes de Jean Ray se détachaient, tout du moins pour moi, les enquêtes de ce détective extraordinaire dans un Londres fantasmagorique : je veux parler de Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain ! Pendant longtemps il a fallu se "contenter" de lire et relire les aventures originales puis est arrivé ce rayen/dicksonien extraordinaire qu'est Brice Tarvel, auteur bien connu par ailleurs des amateurs de SF et de fantasy. Avec sa série des Dossiers secrets de Harry Dickson qui vient voir sortir son tome 4 chez les sympathiques Editions Malpertuis, le maître est de retour ! En effet, Brice Tarvel est si bien imprégné de l'oeuvre de Jean Ray qu'il nous livre des aventures qui ne sont pas du pastiche mais des inédits qui auraient pu être écrits par l'auteur flamand, avec son vocabulaire et ses tournures de phrase bien spécifiques, cette atmosphère britannique rayenne très particulière, sans parler de son amour pour les descriptions de bons plats et de repas pantagruéliques... Tarvel y ajoute sa patte avec des enquêtes qui ressortent véritablement du domaine de l'occulte ou de la SF, contrairement à Jean Ray qui était toujours très rationnel sur ce plan : Harry Dickson devient ainsi un véritable détective de l'étrange pour notre plus grand plaisir. Qu'on en juge : dans ce tome Harry Dickson et son élève Tom Wills affrontent des sortes de golems qui enlèvent des enfants (Le polichinelle d'argile) avant d'enquêter sur le groupe qui a enlevé la Mort elle-même (La chambre effroyable). Huit enquêtes donc déjà parus en quatre volumes, leur format respectant celui des fascicules originels. Cerise sur le gâteau : outre des couvertures toujours réussies, le prix pratiqué (11€) est plus que raisonnable !  Vous êtes amateur de Harry Dickson à lire de suite, vous ne le connaissez pas à découvrir de suite !
 
L'Intégrale tome 4 de Stefan Wul
 
J'ai déjà eu l'occasion de vous faire part de mon enthousiasme pour le superbe travail de Laurent Genefort sur l'oeuvre de ce grand auteur français de SF que fut Stefan Wul aux Editions Bragelonne (coups de coeur de février et octobre 2014 sur les trois premiers tomes). Vient de sortir le quatrième et dernier volume de cette intégrale qui contient Noô, le dernier roman, et sans aucun doute le plus ambitieux de Stefan Wul, différent d'un point écriture de ses romans plus "populaires" du Fleuve Noir mais toujours aussi fascinant à lire. Sont aussi inclus dans ce volume les poèmes de SF de Wul, que je n'avais jamais eu l'occasion de lire, et des "Propos recousus", des notes sur Noô que Stefan Wul avaient confié à Laurent Genefort et que celui-ci nous livre avec ses propres annotations, une plongée passionnante dans l'esprit et le processus de création de Stefan Wul. Avec cette édition rendue possible par Bragelonne et le travail de Laurent Genefort, Stefan Wul a enfin une intégrale digne de lui et de son talent, reconnue comme telle par le Grand Prix de l'Imaginaire qui lui a décerné son Prix Spécial l'année dernière. Romans, nouvelles, poèmes, les quatre volumes sont à lire et à relire, un "must" pour tous les amateurs de SF.
 
Les Ombres de Torino d'Arnaud Duval
 
A l'occasion de la parution des Pousse-Pierres chez Folio SF en septembre dernier, je vous disais qu'un second roman se déroulant dans ce système solaire commençant à être colonisé dans les années 2170 était prévu. Arnaud Duval vient de nous livrer Les Ombres de Torino (Editions du Riez), la suite des Pousse-Pierres, qui se déroule un an après la fin de la guerre entre la Terre et la station lagrangienne d'Eloane. Nous retrouvons avec plaisir la jeune Spatieuse Maureen O'Garret, cette "Pousse-Pierre" (surnom peu flatteur donné à ces humains qui, vivant dans leurs vaisseaux spatiaux, exploitent la ceinture d'astéroïdes et assurent la majeure partie des transports de fret dans le système solaire) qui se retrouva à son corps défendant au coeur de la guerre et influença le cours de celle-ci. Maureen, toujours accompagné de son fidèle robot intelligent Beppie, doit maintenant se chercher un nouveau travail car elle ne supporte plus l'ambiance sur l'"Améthyste", le vaisseau sur lequel elle se trouve. Elle va obtenir un job intéressant sur Déimos, la lune de Mars, planète au centre des attentions des corporations terriennes puisque celles-ci, à titre de dommages de guerre, se sont engagées à en relancer la terraformation, abandonnée après une catastrophe inconnue un siècle auparavant. Justement, que s'est-il passé sur le site de la station atmosphérique BA 17, dite "Barsoom", qui justifie un secret total et l'intérêt soudain de Martin Cormant, patron des opérations de terraformation ? Est-ce lié à ce qui est arrivé à Dinah, l'autre intelligence artificielle que nous avions déjà rencontré dans le roman précédent et qui ne sait plus que répéter "CSTL12-4387-BA-17" en boucle ? Et est-ce la raison pour laquelle Cheryl Vonburg, patronne des corporations terriennes, qui avait perdu la guerre, relève la tête et retrouve son influence sur la politique terrienne au point de faire capoter la conférence tripartite qui se tient pour établir la politique à venir ? Forthworth, patron de Cormant, va mettre sur ses traces Jeremy Addington, jeune cadre aux dents longues et à l'intelligence acérée dont l'enquête l'emmènera de Baïkonour à Mars. Maureen, elle aussi, va se retrouver mêlée sans le vouloir à ces nouveaux événements, entre robots devenus "autistes" et Cormant qui ne trouve rien de mieux que de prendre le vaisseau sur lequel elle s'est embarquée pour rejoindre son poste. A nouveau les intrigues des corporations terriennes et les rivalités de pouvoir de leurs grands patrons - dont le redoutable oligarque Chevinsky - conjuguées avec les raidissements de la faction anti-terrienne jusqu'au boutiste lagrangienne  et le pragmatisme pour ne pas dire l'opportunisme des Spatieux entraînent le système solaire vers une nouvelle guerre et une nouvelle catastrophe.
Comme pour son précédent livre, Arnaud Duval nous donne un excellent roman de grande SF dans la tradition - et de la qualité - des "juveniles" de Robert Heinlein, avec des personnages soit odieux et avides de pouvoir soit courageux et honnêtes (tel l'équipage du "Cristal", le vaisseau sur lequel se trouve Maureen, qui présente toutes les vertus du Spatieux) et dont certains se révèlent face à l'adversité, sachant faire les bons choix, c'est-à-dire ceux du courage et du bien commun primant le bien individuel. Rajoutez-y une écriture sans défaut, des nouvelles technologies de pointe, une enquête passionnante à travers le système solaire, une fin surprenante et prenante qui me fait espérer qu'Arnaud Duval est déjà au travail pour le troisième volume. En attendant celui-ci, découvrez ce que sont ces "Ombres de Torino" qui influencent toujours la politique du XXIIème, vous ne serez pas déçus.
 
 
 
Le château des millions d'années‏ de Stéphane Przybylski
 
Il est toujours agréable de devoir dire du bien de l'ouvrage d'un auteur nouveau dans nos genres et c'est ce que je vais faire avec plaisir en ce qui concerne Le château des millions d'années de Stéphane Przybylsky (Le Bélial), servi en plus par une fort belle couverture d'Aurélien Police. L'auteur a déjà écrit plusieurs ouvrages historiques et l'on retrouve son intérêt pour l'histoire dans ce premier roman qui nous emmène principalement dans l'Irak du début des années 30 et dans l'Allemagne de 1938-39, à l'apogée du pouvoir de Hitler. Son héros est Friedrich Saxhaüser, officier de la SS qu'Himmler lui-même a chargé d'accompagner une expédition archéologique de l'Ahnenerbe, l'institut de recherches sur les ancêtres aryens. Et au fin fond du Kurdistan irakien, il trouvera bien plus qu'une tribu aryenne aux armes avancées : qu'est-ce que cet engin volant discoïdal qu'il a réussi à abattre, piloté par des créatures non seulement non aryennes mais même non humaines ? Comment ramener en Allemagne les preuves nécessaires afin de pouvoir ensuite monter une autre expédition alors que les Anglais le traquent pour découvrir le secret ? Et les nazis doivent-ils bénéficier de cette découverte ? Vous le voyez, ce roman démarre très fort, très rapidement, avec un parti pris d'écriture par courts retours en arrière qui forment une mosaïque reconstituant l'histoire et le parcours des principaux protagonistes : Saxhaüser, l'un de ces "réprouvés" de l'Allemagne d'après-guerre, qui a participé à tous les combats et qui remercie Adolf Hitler pour les opportunités de s'élever et de s'éduquer qu'il lui a offert - il a sauvé la vie de celui-ci et, devenu garde du corps du Führer, il a eu libre accès à sa bibliothèque - tout en se posant beaucoup de questions au point d'avoir rejoint l'Abwehr à une époque, sa maîtresse Andrea von der Goltz, issue d'une vieille famille aristocratique conservatrice d'où sa réaction de devenir fanatique du nazisme sous l'influence de Baldur von Schirach, ce mouvement qui va créer une Allemagne nouvelle sur les ruines de l'ancienne, et le riche industriel et archéologue illuminé Joachim Schmundt. Il y a dans ce roman tout ce qu'il faut pour faire un thriller qu'il est difficile de reposer une fois commencé : l'auteur a su jouer avec brio des événements historiques réels (la montée du nazisme et du pan-arabisme, l'accès à l'indépendance de l'Irak devenu royaume, l'annexion des Sudètes et de l'Autriche, la rivalité entre Himmler et Canaris) et des théories volkish en cours à l'époque, en particulier dans cette frange de l'archéologie allemande dont les idées s'inspiraient des théoriciens occultistes et racistes, de Guido von Lizt à von Sebottendorf et la fameuse Thule Gesellchaft, les mêlant jusque dans les plus petits détails à son intrigue, une petite touche d'ufologie en plus. J'y ai retrouvé le souffle de la revue Planète et du Matin des Magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier, les grands promoteurs justement de cet "occultisme nazi". De plus, et c'est là où Stéphane Przybylsky se montre très fort, il a créé un personnage qui n'est pas une sorte de fanatique du surhomme mais, au contraire, un homme qui s'est retrouvé en certains endroits au bon - ou au mauvais - moment, qui a su s'en tirer, qui a su se sortir de la médiocrité à laquelle le condamnait son origine et qui sait se poser les questions qu'il faut, ce qui ne signifie pas qu'il sache y apporter les réponses justes. Quant à l'archéologue Schmundt, son évolution psychologique au cours du livre est une belle réussite du roman. Il me semble que l'auteur rend aussi fort justement l'atmosphère en Allemagne à l'époque, la peur des communistes depuis les révolutions spartakistes et la frustration des Allemands vis-à-vis des clauses du traité de Versailles, qui se ressentent dans les actions et les réactions des personnages ; en bon historien qu'est l'auteur, tous les détails sonnent juste, des cours de géopolitique de Karl Haushofer aux missions sud-américaines ou au Japon, à l'exception peut-être du passage sur la Nuit des Longs Couteaux qui m'a paru devoir plus aux Damnés de Visconti qu'à un livre d'histoire. Mais ce n'est là qu'un détail mineur, l'ensemble du roman est excellent et prenant de la première à la dernière page ! Lorsqu'on apprend qu'il ne s'agit que du premier volume d'une tétralogie à venir intitulée Origines, on ne peut que se réjouir d'en lire la suite, prévue pour l'année prochaine. En attendant découvrez ce qu'est ce Château des millions d'années, une lecture que vous ne regretterez pas !
 
Humanité divisée de John Scalzi 
 
En 2007 paraissait en français le premier tome d'une superbe trilogie intitulée Le vieil homme et la guerre, écrite par un alors inconnu du nom de John Scalzi, histoire d'un Terrien, John Perry, devenu à soixante-quinze ans (l'âge où l'on s'engage) soldat de l'Union coloniale et qui, par son honnêteté, sa droiture et son courage, changera le cours de la guerre contre les extraterrestres et la politique de cette partie de la galaxie. Les Editions de l'Atalante nous faisaient ainsi découvrir un auteur qui persévéra dans la qualité puisqu'il a quand même reçu, outre le Prix John Campbell pour Le vieil homme et la guerre, un Hugo pour un autre de ses romans (Redshirts, L'Atalante, sur lequel, en bon fan de Star Trek, j'avais écrit un coup de coeur en février 2013). Avec Humanité divisée (L'Atalante), John Scalzi nous fait revenir, un an après les derniers événements du Vieil homme et la guerre, dans cet univers où la Terre a rompu avec l'Union coloniale, ayant réalisé qu'elle était exploitée par celle-ci depuis deux siècles, où le Conclave (union lâche de quelques quatre cents races extraterrestres) est divisé quant à l'attitude à avoir face aux humains et où l'Union coloniale essaye de sauver les meubles en remplaçant les armes par la diplomatie. En treize nouvelles différentes mais qui se lisent dans l'ordre du livre (à l'exception de La diplomatie en trois rounds qui peut se lire en premier) car elles forment ainsi une histoire linéaire, l'auteur met en scène une équipe de diplomates de choc, des fonctionnaires de seconde zone et un technicien militaire qui, pris indépendamment, ne valent pas grand chose, mais dont leurs chefs se sont aperçus que, fonctionnant ensemble, le tout devient plus efficace que la somme des parties, une sorte de gestalt ! L'ambassadrice Abumwe, terreur de ses subordonnés, son adjoint "inutile" Hart Schmidt, le lieutenant Harry Wilson (militaire de l'UC aux capacités améliorées, toujours plein d'idées et de ressources), le capitaine de vaisseau Coloma, vont être envoyés sur des négociations sans importance - a priori - ou sans espoir, la philosophie étant "tant mieux si ils réussissent, ce n'est pas une grosse perte sinon"... "L'équipe B", première nouvelle, nous fait assister à la formation de cette équipe de remplacement et à son premier exploit. A partir de là, elle va se retrouver prise dans le jeu politique galactique, pion que l'on utilise sans vergogne, et ce n'est pas la moindre force de Scalzi que de nous faire entrer dans les coulisses des diverses forces en présence, où des alliances improbables se nouent et où des complots de grande ampleur se déroulent à travers les différents épisodes (puisqu'à l'origine ils sont sortis un par un en numérique). Notre équipe va se retrouver dans une position où elle fera son devoir de son mieux, parfois involontairement (dans cette veine "Le roi chien" est un bijou qui m'a fait penser, par son ton et son humour, au meilleur de Keith Laumer dans les aventures de son héros Retief du Corps Diplomatique Terrien), mais parfois de manière poignante (comme dans "Une question de proportions"). Plusieurs nouvelles nous font aussi découvrir le point de vue extraterrestre et leur découverte de notre espèce, loin des clichés : sur ce sujet Scalzi, avec beaucoup de talent, met en scène Hafte Sorvahl, conseillère lalan (les Lalans font près de trois mètres de haut et sont plus qu'imposants), discutant avec des enfants à Washington tout en mangeant des churros, dernière histoire du recueil, toute en finesse. A nouveau, dans ce volume, l'auteur fait montre de toutes les qualités qu'il avait montré dans sa trilogie : outre une solide intrigue - ici qui veut détruire qui, pourquoi  et comment les contrer - qui vous fait tourner inlassablement les pages, on y retrouve toute l'humanité, le sens du devoir, le dévouement, l'amitié, la solidarité et l'ingéniosité, qui sont les caractéristiques attachantes des personnages mis en scène sous des dehors "détachés" (j'ai pensé en écrivant ces mots à cet esprit qui caractérise Dominic Flandry luttant pour empêcher le délitement de l'Empire Terrien et que l'on retrouve chez l'équipe B qui lutte pour la survie de l'Union coloniale et de l'espèce humaine). Ce volume vient prendre heureusement la suite du Vieil homme et la guerre, ce futur classique de la SF contemporaine : vous pouvez le lire indépendamment bien sûr, il se suffit à lui-même, mais il ne pourra que vous donner envie de lire les aventures de John Perry qui ont conduit à cette situation. De la bien belle SF, merci M. Scalzi, nous attendons le prochain volume avec impatience !
 
Le Dico Sherlock Holmes par Jacques Baudou et Paul Gayot
 
Je pense que beaucoup d'entre vous sont, comme moi, des amateurs de Sherlock Holmes. Et l'on pourrait penser que tout a été écrit sur le grand détective, ses aventures et ses pastiches. Le Dico Sherlock Holmes qui vient de sortir aux Moutons électriques dans leur célèbre collection de la "Bibliothèque rouge" démontre le contraire : il faut dire que les auteurs en sont Jacques Baudou que l'on ne présente plus (auteur, critique, spécialiste du polar et de la SF sous toutes leurs formes, holmésien et pataphysicien émérite) et Paul Gayot, autre pataphysicien redoutable. Cela nous donne un ouvrage qui se lit avec plaisir, en butinant les notices comme le font les abeilles de Holmes dans la première entrée du Dico : outre de belles et passionnantes entrées sur les juvéniles apocryphes ou non, le cinéma ou la télévision, d'autres sont plus intrigantes ou curieuses comme celles sur le deerstalker, Alexis Lecaye ou les produits dérivés... Les auteurs ont eu l'excellente idée de ne pas se cantonner qu'au Canon mais d'examiner aussi tout ce qui touche à Sherlock Holmes d'une manière ou d'une autre, domaine immense qu'ils nous aident à explorer, en particulier au niveau des deux grands magazines holmésiens. Ils n'ont pas résisté non plus à écrire deux entrées, l'une consacrée à l'holmésomanie et l'autre à son opposée, l'holmésoclastie, qui sont un plaisir de lecture comme l'est celle intitulée "Rencontres avec des hommes remarquables" (bien que Holmes n'ait apparemment jamais croisé Gurdjieff) et, bien entendu, celle consacrée à la science-fiction qui donne vraiment envie de lire certains romans. Un bien bon livre pour se replonger dans les enquêtes et l'atmosphère intemporelles du Roi des détectives.
 
Space Reich 1 de Richard D. Nolane, Maza et Marko Nikolic
 
Richard D. Nolane continue d'explorer des univers alternatifs où la conquête aérienne et spatiale a connu des chemins différents du nôtre. Après Wunderwaffen (Soleil) où la guerre s'est poursuivie suffisamment longtemps pour le IIIème Reich ait pu développer ses avions les plus perfectionnés et Zeppelin's War (Soleil aussi) où nous avons droit à une Première Guerre mondiale différente, il nous donne maintenant une nouvelle série uchronique sur la conquête spatiale, Space Reich (toujours chez Soleil), les nazis et certains de leurs projets étant une source d'inspiration inépuisable : Lindbergh a battu Roosevelt aux élections donc les Etats-Unis sont restés isolationnistes, l'Angleterre a signé une paix séparée après Dunkerque et les Allemands ont donc pu écraser l'Union soviétique, grâce au déluge de fusées qui a dévasté Moscou. Le prestige de von Braun est donc au plus haut en 1945 lorsque le président Lindbergh, inquiet des progrès astronautiques nazis, décide de lancer un programme spatial afin de battre les Allemands sur le terrain de la propagande. Hitler, afin de ne pas être en reste, donne à von Braun carte blanche pour envoyer l'Allemagne sur la Lune. La course est donc engagée : ce premier volume nous pose les bases de celle-ci, avec les faiblesses des Américains à l'époque - leur spécialiste des fusées, Goddard, est mort sur cette Terre comme sur la nôtre en 1945 - et l'idée de Nolane pour le remplacer est à la fois ingénieuse et pas impossible, joli clin d'oeil à notre propre histoire de la conquête spatiale. En bon connaisseur de l'histoire de cette époque, il mêle astucieusement et plausiblement les personnages, nous y retrouvons aussi bien Himmler que le général de Gaulle réfugié avec les restes de la France libre aux Antilles ainsi que son héros favori, Jacques Bergier. Tout est mis en place pour nous faire attendre impatiemment le prochain volume. Le dessin de Maza et de Marko Nikolic est très beau, avec des fusées absolument magnifiques. Comme toujours, Nolane nous donne à la fin de l'album des renseignements indispensables, comme toujours de manière très fine, ici grâce à une interview du professeur Alexandre Ananoff par Georges H. Gallet, diffusée sur Radio France Libre Internationale le 8 janvier 1948, les connaisseurs apprécieront...  Premier volume réussi donc, vivement la suite !
 
La Symphonie des Abysses, Livre 2 de Carina Rozenfeld
 
Il y a un peu moins d'un an paraissait le premier tome de La Symphonie des Abysses de Carina Rozenfeld (Laffont, dans la collection R de Glenn Tavennec) qui m'avait beaucoup plu (coup de coeur de mars 2014) et laissé avec beaucoup de questions. L'attente n'a pas été trop longue et le second tome est sorti il y a quelques semaines, toujours chez R. Nous y retrouvons Abrielle, Sand et Cahill là où nous les avions laissé, venant d'arriver dans la ville basse de Portes, où tous les habitants, noirs, ne se mélangent pas à ceux de la ville haute et claire. Poursuivis sans comprendre, une fois de plus, les raisons de cette ségrégation stricte qui fait partie des règles du Réglement Intérieur local, ils seront aidés et recueillis par Eyal, fils adultérin et caché de Yibo, maire de la ville, avec l'amour de sa vie, une esclave blanche de la ville haute. Eyal, mal dans sa peau, va obtenir grâce à son père le travail dont il rêve à la Bibliothèque de la ville afin de satisfaire son besoin de rechercher, en cachette, les documents anciens qui pourraient éclairer le Réglement et ce qui s'est passé lors de la Pluie de la Lune (lorsque la Lune a été brisée en deux et que l'Anneau s'est refermé sur lui-même) ainsi que les raisons de la guerre sans merci, à l'époque, entre blancs et noirs. Par le hasard d'un orage et de fuites d'eau à l'intérieur du bâtiment de la Bibliothèque, il va découvrir la vérité, ce qui entraînera sa fuite de la ville avec sa demie-soeur Yael et nos trois larrons. Je ne vous en dirais pas plus pour ne pas "spoiler" cet excellent roman mais je dois vous avouer que Carina Rozenfeld a réussi à me prendre totalement par surprise - et cela n'arrive pas souvent ! - avec l'explication de ce qu'est l'Anneau, de ses règles et de leurs variations. Je ne m'attendais absolument pas à cela et c'est très fort ! De plus c'est une explication tout à fait logique : ce livre est une belle réflexion sur la nécessité de règles en fonction d'un contexte particulier, sur le rôle du temps et de l'oubli pour transformer ce qui était nécessaire en contraintes incompréhensibles reposant uniquement sur le respect de la tradition, des questions tout à fait d'actualité... Et vous saurez enfin ce qu'est cette Symphonie des Abysses, là aussi une belle surprise et un message d'espoir. A travers ce dyptique, l'auteur nous donne non seulement un excellent roman plein d'action mais aussi une belle leçon de tolérance et du besoin d'avoir un esprit critique et ouvert face à une société aux règles contraignantes. Voilà un roman que parents comme adolescents pourront lire avec autant de délectation les uns que les autres, de la belle SF trans-générationnelle.
 
 
 
Jean-Luc Rivera
 

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