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Posté : lun. juil. 25, 2011 9:42 am
par Lensman
Gérard Klein a écrit:

Je pense qu'il est difficile pour un Européen de se mettre dans la peau d'Américains qui ont quitté originellement l'Europe pour échapper à la tyrannies d'États et à des inégalités sociales qui leur paraissaient arbitraires parce que fondées sur la naissance plutôt que sur le talent et l'effort.
La société Non-A de AEVV est typiquement libertarienne depuis la ville de la Machine sans loi où chacun est responsable de sa sécurité jusqu'à la société vénusienne où les individus sont complètement responsables, au point de défaire l'armée d'Enro le Rouge sans disposer d'aucune organisation militaire.
Les libertariens sont par principe pacifistes, sauf quand on touche à leur territoire. Reste à définir ce territoire. À l'heure actuelle, comme une bonne partie de la droite américaine, ils seraient plutôt isolationnistes.
N'oublions pas non plus que la Nation et le Peuple souverain (comme collectivité) sont des inventions relativement récentes, guère plus de deux siècles.


Ce passage (et tout ton message précédent) me paraît très convaincant (parce que c'est exactement l'idée que je me fais...(*)).
Et précisément, les Etats-Unis me semble un bel exemple de nation dont on a pu assister à la constitution (ce n'est pas si courant). Et, de en effet, elle s'est largement construite sur l'idée du refus de l'Etat perçu comme source d'arbitraire (les immigrants "fuient" souvent UN état, pour différentes raisons).
Là où je m'interroge, c'est sur le rapport entre les libertariens et l'état dans lequel ils se trouvent, lorsque cet état prétend agir pour l'intérêt national, dans sa politique étrangère (économique comprise). L'aspet "nationaliste" doit-il jouer, c'est-à-dire le libertarien considère-t-il qu'il doit entériner les décisions de l'état (qu'elle lui plaise, qu'elles ne lui plaisent pas, ou qu'il ait du mal à se faire un avis)
Considère-t-il qu'il y a là quelque chose qui est "au-dessus" ou, si on veut, "disjoint" de la liberté individuelle, et qu'il doit de toute façon se plier à un minimum de discipline collective? D'où mes interrogation sur le "présupposé" national chez les libertariens américains (ce sont à peu près les seuls libertariens un peu rpérables...).
Chez van Vogt, le problème "national" est résolu dans la mesure où les non-A (très proches des libertariens, apparemment, avec cependant une notion de solidarité qui est présentée comme considérable dans le roman) les plus "accomplis" (tests de la Machine) émigrent sur Vénus et, de ce fait, parviennent à constituer une forme de nation, avec son territoire (Vénus) et ses citoyens responsables et solidaires. Evidemment, l'attitude des non-A n'est pas "nationaliste" dans le sens de "fidélité à" ou de "défense" du "sol sacré de la Patrie". Le non-A a pour vocation de s'installer partout, facilitant ainsi le progrès de la société humaine "universelle", si l'on peut dire.
Un non-A ne respecte pas de "nation", mais prend ces décision en fonction de l'intérêt de la philosophie non-A, pour faciliter son expansion. S'il est amené à participer à une guerre apparemment menée dans l'intérêt d'une nation (ou d'autre chose), ce n'est qu'une apparence: la véritable raison est l'intérêt de la philosophie non-A (qui se trouve, tout à fait ponctuellement et par ailleurs, coïncider avec d'autres intérêts, mais ce n'est pas un problème).
Il s'agit bien sûr d'un roman... les libertariens américains ne me semblent pas se situer tellement dans cette vision, disons, "supranationale" proposée par van Vogt. Van Vogt me semble, à ce niveau, beaucoup plus "idéaliste" que les libertariens américains, dont les motivations, outre la méfiance traditionnelle et fort compréhensible (vu l'histoire de la formation de leur nation). Je vais plus loin en disant que parler de libertarien n'a pas de sens si ce n'est pas dans le cadre de la nation américaine.

(*) Cet argument vaut bien certains arguments de Saint-Augustin, alors, pouet pouet aux critiques...

Oncle Joe

Posté : lun. juil. 25, 2011 2:09 pm
par Gérard Klein
Les libertariens sont responsables ET solidaires. Exactement comme les Non-A. Ils estiment par exemple que la couverture des frais maladie qu'un individu ne peut pas supporter et qu'il n'est pas question d'abandonner à une autorité d'État doit être assurée par l'entourage et les amis du malade en question. On a lu fréquemment des appels en ce sens par exemple dans Locus.
Mais chacun décide de qui il doit aider. Cette solidarité implique une réciprocité qui n'est guère concevable que dans de petites communautés, ou dans des communautés dispersées mais avec un fort centre d'intérêt commun comme la science-fiction.(Les amateurs de fantasy manifestent-ils une telle solidarité? On peut aisément imaginer que j'en doute.) Les débats récents et moins récents sur l'instauration d'une sécurité sociale aux ÉU tournent en partie autour de cette question.

Le problème est que cette approche est économiquement inefficace. Notre SS n'est certainement pas parfaite ni exempte de gaspillages et de fraudes mais nos dépenses de santé ne représentent qu'environ 11% de notre PNB avec un résultat plutôt satisfaisant alors que les Américains consacrent 17% de leur PNB à la santé avec un résultat médiocre pour ne pas dire désastreux à considérer la plupart des indicateurs. La simple solidarité volontaire peut difficilement résoudre de vastes problèmes de santé publique.
Il y a chez les libertariens un darwinisme social rarement explicité quoiqu'il le soit chez Ayn Rand. On le rencontre parfois chez Nancy Kress (Beggars in Spain). On le trouve aussi dans le dernier McAuley: le solidarisme des Outers est en fait d'inspiration libertarienne.
Ce darwinisme social est implicite chez AEVV: que deviendront les humains inaptes au Non-A une fois tous les élus partis pour Vénus?

La question que l'Oncle soulève quant à l'approbation ou non par des individus de choix de l'État ne se pose guère face à un État réellement minimal qui ne peut pratiquement prendre aucune décision sans avoir d'abord convaincu une très large majorité de la population. Et ceux qui ne le seraient pas seraient tout à fait susceptibles d'entrer en guerre contre cet État. C'est toute la question de l'interprétation du texte constitutionnel concernant la détention d'armes.

L'Oncle rétorquera que l'ordre international ou plutôt ce désordre rend cette solution problématique (mais il ne faut pas oublier que pour beaucoup d'Américains, les ÉU, c'est le Monde et que l'existence du reste est au mieux folklorique et au pis ennuyeuse).
Ce qui amène une réflexion intéressante: dans la pratique les quelques deux cents États qui se partagent la planète se comportent en général comme des individus libertariens, n'acceptant aucune autorité au dessus d'eux (l'autorité de l'ONU est vraiment minimale) et ne se sentant liés que par des conventions entre eux, des traités.
C'est aussi le problème de l'Union Européenne qui ne parvient pas à choisir entre le régime d'une autorité fédérale (à mes yeux indispensable) et celui de coalitions (souvent de fortune, ou d'infortune) face à des problèmes économiques et financiers et à la guerre.

Pour revenir aux ÉU et à la diffusion des idées libertariennes dans les classes moyennes, il faut bien prendre la mesure du déficit budgétaire américain financé par la Chine pour l'essentiel et qui atteint des niveaux record: de l'ordre déjà de 100% du PNB, il pourrait atteindre 115% avec l'élévation du plafond de l'endettement réclamé par Obama vers 2020. Soit des niveaux au moins comparables à ceux des États européens en crise aiguë. La solution, outre la réduction des dépenses publiques, notamment militaires, est évidemment fiscale. Et les classes moyennes, notamment moyennes supérieures, qui se sentent évidemment visées, ont tendance à réclamer un amaigrissement de l'État aussi bien local (Californie) que fédéral.

Posté : lun. juil. 25, 2011 3:58 pm
par Fabien Lyraud
Le système américain est beaucoup plus compliqué que cela. Les églises se sont bien souvent substitué aux pouvoirs publics en ce qui concerne la solidarité : elles gèrent des dispensaires, des hôpitaux, des maisons de retraites, viennent en aide aux demandeurs d'emplois et aux plus pauvres....

Posté : lun. juil. 25, 2011 4:35 pm
par Gérard Klein
Fabien Lyraud a écrit :Le système américain est beaucoup plus compliqué que cela. Les églises se sont bien souvent substitué aux pouvoirs publics en ce qui concerne la solidarité : elles gèrent des dispensaires, des hôpitaux, des maisons de retraites, viennent en aide aux demandeurs d'emplois et aux plus pauvres....
Je le sais probablement mieux que toi qui ne manque jamais une occasion d'enfoncer une porte ouverte. Mais je n'avais pas l'intention d'écrire un essai de mille pages sur le système social américain qui n'était du reste pas le sujet du fil. En revanche, la tendance libertarienne est très présente dans une grande partie de la science-fiction américaine et cela depuis très longtemps, voire depuis les origines, même si cela ne s'appelait pas comme ça, et c'est ce que j'ai cherché à éclairer sommairement.

Réflexion faite, les églises ont une forte connivence avec la Fantasy.

Posté : lun. juil. 25, 2011 4:49 pm
par Fabien Lyraud
Sinon j'ai toujours du mal à comprendre qu'un théoricien de la société de l'information comme Eric S Raymond défende l'idéologie libertarienne. En effet la société de l'information considère que tout doit être mis en réseau. Et que ce modèle du réseau s'oppose à celui du marché marque de fabrique de la société industrielle. Il faut bien qu'il y ait des autorités régulatrices pour les réseaux humains fonctionnent correctement. D'autant plus que dans une société faisant primer la coopération, la synergie et la complémentarité plus que l'opposition et la compétition, les réseaux de solidarité sont une nécessité.
Par contre on comprend très pourquoi Eric S Raymond a opposé le modèle très centralisé de la cathédrale à celui décentralisé du bazar. Raymond s'est fait connaître comme défenseur d'internet et également du logiciel libre. Le modèle décentralisé du tous vers tous fonctionne très bien en ce qui concerne la technique. Mais appliqué à la société c'est une autre paire de manche.

Posté : lun. juil. 25, 2011 5:02 pm
par bormandg
Fabien Lyraud a écrit :Sinon j'ai toujours du mal à comprendre qu'un théoricien de la société de l'information comme Eric S Raymond défende l'idéologie libertarienne. En effet la société de l'information considère que tout doit être mis en réseau. Et que ce modèle du réseau s'oppose à celui du marché marque de fabrique de la société industrielle. Il faut bien qu'il y ait des autorités régulatrices pour les réseaux humains fonctionnent correctement. D'autant plus que dans une société faisant primer la coopération, la synergie et la complémentarité plus que l'opposition et la compétition, les réseaux de solidarité sont une nécessité.
Par contre on comprend très pourquoi Eric S Raymond a opposé le modèle très centralisé de la cathédrale à celui décentralisé du bazar. Raymond s'est fait connaître comme défenseur d'internet et également du logiciel libre. Le modèle décentralisé du tous vers tous fonctionne très bien en ce qui concerne la technique. Mais appliqué à la société c'est une autre paire de manche.
La première partie de ta remarque est incohérente, comme le monre la deuxième: tu confonds l'existence d'un réseau et sa centralisation, et Eric S Raymond, adepte du logicien libre et du réseau décentralisé, pose justement le libertarisme comme la différence entre réseaux centralisés = Etats et réseaux libres = société libertarienne.
Sinon la remarque finale sur l'"autre paire de manche" prouve seulement que, dansla société, le poids de certaines habitudes que libertariens (et libertaires) voudraient rejeter (voire sanctionner) est important, pas que le système est voué à l'échec.

Posté : lun. juil. 25, 2011 5:08 pm
par Fabien Lyraud
Réflexion faite, les églises ont une forte connivence avec la Fantasy.
Quelque part on peut se demander si la sword and sorcery avec ses héros solitaires qui défendent la justice et luttent contre la corruption n'est pas à ses débuts une littérature libertarienne. Je ne connais guère les idées politiques de Robert Howard, mais l'opposition entre la barbarie et la civilisation qui canalise son oeuvre est peut être un avatar de cette pensée. La barbare paré de nombreuses vertus s'oppose au civilisé ramolli incapable de se défendre et de combattre pour ses idéaux. Or la civilisation telle que l'entends Howard ce sont des empires, des royaumes, généralement raffinés, la civilisation n'existe pas sans l'état.
La sword and sorcery a bien évolué, notamment depuis les années 80 avec David Gemmell chez qui le civilisé peut avoir un coeur pur et la barbare peut aussi être corrompu. L'opposition barbarie vs civilisation disparaît pour une opposition corruption vs pureté. La justice incarné par le héros solitaire triomphe de la corruption qui vient défendre les personnage pur. Mais le héros de Gemmell et des auteurs de sword and sorcery plus moderne n'est pas sans tâche. C'est aussi un personnage en quête de rédemption. Un criminel peut très bien y change de vie pour défendre des idéaux juste si les circonstances l'y amène. Encore une fois les personnages qui représentent les autorités y sont représentés comme veules, couards, calculateurs. On peut se demander si justement présenter des marginaux défendent des idéaux nobles alors que les représentants des autorités en sont incapables, là aussi n'est pas une vision du libertarisme. Malgré son évolution cette forme de fantasy semble donc aussi bien que la SF puiser dans cette idéologie.

Quant à la fantasy et la religion, des auteurs récents comme Paul Kearney et R Scott Bakker ont violemment critiqué l'intolérence religieuse dans leurs romans. Donc, non la fantasy n'est pas une littérature du religieux.

Posté : lun. juil. 25, 2011 5:51 pm
par bormandg
Fabien Lyraud a écrit : Donc, non la fantasy n'est pas une littérature du religieux.
La correlation est loin d'être totale, mais il y a plusieurs liens entre la pensée religieuse et la fantasy, que le rôle en général négatif des prêtres dans les histoires de fantasy ne suffisent pas à compenser. Mais c'est un sujet totalement hors-fil et déjà bien usé ailleurs... :twisted:

Posté : mar. juil. 26, 2011 7:29 am
par Lensman
Gérard Klein a écrit : L'Oncle rétorquera que l'ordre international ou plutôt ce désordre rend cette solution problématique (mais il ne faut pas oublier que pour beaucoup d'Américains, les ÉU, c'est le Monde et que l'existence du reste est au mieux folklorique et au pis ennuyeuse). .
C'est bien le problème que je soulève... Je me demande justement si tous les théoriciens se réclamant des libertariens on cet a priori (ouvertement assumé, ou non dit) , s'il n'y en a tout de même pas un ou deux qui raisonnent sérieusement en tenant compte de ce facteur.
Oncle Joe

Posté : mar. juil. 26, 2011 7:55 am
par Lensman
Gérard Klein a écrit : Ce qui amène une réflexion intéressante: dans la pratique les quelques deux cents États qui se partagent la planète se comportent en général comme des individus libertariens, n'acceptant aucune autorité au dessus d'eux (l'autorité de l'ONU est vraiment minimale) et ne se sentant liés que par des conventions entre eux, des traités.
C'est aussi le problème de l'Union Européenne qui ne parvient pas à choisir entre le régime d'une autorité fédérale (à mes yeux indispensable) et celui de coalitions (souvent de fortune, ou d'infortune) face à des problèmes économiques et financiers et à la guerre.
.
Voilà très exactement le genre de problème qui me paraît important et dont je me demande s'il traverse l'esprit des théoriciens libertariens (mais je pense que j'en demande bien trop: il est probable que l'idéologie libertariennne ne consiste qu'en une forme de pragmatisme - "moins d'état", point, sans davantage se poser de question sur la nature de l'état et son rapport au monde - qui n'a pas spécialement de vocation universelle (les USA suffisent bien à faire un monde, et le reste du monde sert au commerce, au tourisme, aux safaris, à la récolte de recettes culinaires exotiques et aux guerres, éventuellement, quand il est trop casse-pied).

Oncle Joe

Posté : mar. juil. 26, 2011 8:37 am
par Lensman
bormandg a écrit : Sinon la remarque finale sur l'"autre paire de manche" prouve seulement que, dansla société, le poids de certaines habitudes que libertariens (et libertaires) voudraient rejeter (voire sanctionner) est important, pas que le système est voué à l'échec.
Quelles "mauvaises habitudes"? Celle de se curer le nez en public, par exemple ? Parce que, il ne faut peut-être pas confondre "mauvaise habitude" avec "facteur structurant de la société" (sans doute discutable, mais structurant), et c'est là que les choses me paraissent ( à moi...) intéressantes: comment théoriser cette distinction ? (Scier une autre branche que celle où on est assis...)
J'ai l'impression que, pour l'idéologie (si elle existe de manière un peu structurée, et pas seulement sous forme de slogans...) libertarienne, qu'importe la société. Il n'existe pas conceptuellement quelque chose qui pourrait vraiment s'appeler une "société libertarienne". Ce qui existe, c'est une "attitude libertarienne" (une "posture", dans le cas des "purs" hypocrites qui veulent juste ne pas payer d'impôt...), laquelle essaierait de se manifester à l'intérieur de n'importe-qu'elle société (sauf que, dans les faits, cela concerne uniquement la société américaine, les autres tentatives me semblent - on me corrigera - juste mériter le qualificatif de marginale...).
Par exemple, je pourrais lancer, non pas une idéologie cherchant à diminuer le champ d'action de l'état dans quelque société que ce soit (il y a déjà les liberariens), mais une idéologie cherchant à diminuer le champ d'action du SPORT dans quelque société que ce soit (enfin, surtout celle où je suis...): l'asportivisme.
Bref, pour que l'idéologie libertarienne (et l'asportivisme) existent, il faut déjà qu'existe en arrière-fond, comme condition nécessaire, une structure de société raisonnablement solide, à l'intérieur de laquelle on va pouvoir tenter de favoriser les tendances qui nous sont chères (mais seulement les tendances: il n'est pas question de toucher à l'arrière-fond qui assure la stabilité sociale).
et j'ai l'impression que cet aspect est mal pris en compte: la nécessité d'une structure sociale raisonnablement solide en arrière-fond.
Se pose alors la (vieille...) question: est-ce que les tentatives pour favoriser telle ou telle tendance ne risquent pas de saper les fondements de la société qui est en arrière-fond, laquelle, par exemple, garantit des choses qui ne sont pas du tout évidentes en soi, comme, notamment, la notion de propriété (laquelle n'est évidement pas un truc posé comme ça naturellement ou par l'action du Saint Esprit, mais découle de la structure même de la société). Enfin, il me semble ...
Je fais cette remarque sur la notion de propriété, car j'ai l'impression que la propriété tient à cœur aux libertariens (je me trompe peut-être ?) et donc que sa définition la plus claire et la plus complète possible, avec tout ce qu'implique sa pérennité, est un enjeu considérable, que l'on ne peut pas traiter par dessus la jambe en se contentant d'une attitude pragmatique ("Touche pas, c'est à moi, et tu te prends une baffe si tu y touches !"). Ou alors, effectivement, la question ne se pose pas, on prend la notion de propriété telle qu'elle est à l'instant t dans une société donnée, sans se poser de question, et le libertarien va lutter contre le "trop" d'influence de l'état dans cette société donnée, quelle qu'elle soit, sans se poser de question particulière quant aux liens qui attachent l'état au concept de propriété, censé être tombé du ciel...

Oncle Joe

Posté : mar. juil. 26, 2011 9:04 am
par Erion
Lensman a écrit : J'ai l'impression que, pour l'idéologie (si elle existe de manière un peu structurée, et pas seulement sous forme de slogans...) libertarienne, qu'importe la société. Il n'existe pas conceptuellement quelque chose qui pourrait vraiment s'appeler une "société libertarienne". Ce qui existe, c'est une "attitude libertarienne" (une "posture", dans le cas des "purs" hypocrites qui veulent juste ne pas payer d'impôt...), laquelle essaierait de se manifester à l'intérieur de n'importe-qu'elle société (sauf que, dans les faits, cela concerne uniquement la société américaine, les autres tentatives me semblent - on me corrigera - juste mériter le qualificatif de marginale...).
Voilà ce qu'écrivait Carl Schmitt en 1932 :
"Mais la question est de savoir si le principe pur et rigoureux du libéralisme individualiste peut donner naissance à une conception spécifiquement politique. Il faut répondre par la négative. Car si la négation du politique impliquée dans tout individualisme conséquent commande une praxis politique de défiance à l'égard de toutes les puissances politiques et de tous les régimes imaginables, elle n'aboutira toutefois jamais à une théorie positive de l'Etat et du politique qui lui est propre. Il s'ensuit qu'il existe une politique libérale sous forme d'opposition polémique visant les restriction de la liberté individuelle par l'Etat, par l'Eglise ou par d'autres, sous forme de politique commerciale, de politique scolaire et des cultes, ou de la culture, mais qu'il n'y a pas de politique libérale sui generis, il n'y a qu'une critique libérale de la politique. Le système théorique du libéralisme n'intéresse guère que la lutte contre la puissance de l'Etat sur le terrain de la politique intérieure (...)
Très systématiquement, la pensée libérale élude ou ignore l'Etat et la politique pour se mouvoir dans la polarité caractéristique et toujours renouvelée de deux sphères hétérogènes : la morale et l'économie, l'esprit et les affaires, la culture et la richesse. Cette défiance critique à l'égard de l'Etat et de la politique s'explique aisément par les principes d'un système qui exige que l'individu demeure terminus a quo et terminus ad quem. L'unité politique doit exiger, le cas échéant, que l'on sacrifie sa vie. Or, l'individualisme de la pensée libérale ne saurait en aucune manière rejoindre ou justifier cette exigence. Un individualisme qui reconnaîtrait à un autre qu'à l'individu lui-même le droit de disposer de la vie physique de celui-ci serait pure phraséologie, ainsi qu'une liberté au sens libéral dont les limites et le contenu seraient définis par un autre que l'homme libre lui-même. Pour l'individu en tant que tel, il n'existe pas d'ennemi contre lequel il ait l'obligation de se battre à mort s'il n'y consent de lui-même, le forcer à se battre contre son gré est en tout cas, vu dans la perspective de l'individu, une atteinte à la liberté et une violence"

Précision, Carl Schmitt définit le critère du politique comme la capacité à déterminer l'ami et l'ennemi. C'est pourquoi, dans sa pensée, l'Etat est une unité essentiellement politique, parce que construite et existant pour déterminer les amis et les ennemis. Il explique ainsi pourquoi la SDN n'est pas une "société", mais plutôt une ligue d'Etats. Parce qu'ils ne peuvent pas conférer à une organisation extérieur le pouvoir de distinguer ami et ennemi sans abolir la politique en elle-même. La SDN, ne peut être qu'un lieu de compromis, de négociations, mais ne peut pas se substituer.

Posté : mar. juil. 26, 2011 9:14 am
par Lensman
C'est assez l'impression que j'ai... Maintenant, il faut que je m'inquiète un peu, vu la carrière de ce juriste... surtout à l'arrivée du nazisme...

Oncle Joe

Posté : mar. juil. 26, 2011 9:30 am
par Erion
Lensman a écrit :C'est assez l'impression que j'ai... Maintenant, il faut que je m'inquiète un peu, vu la carrière de ce juriste... surtout à l'arrivée du nazisme...

Oncle Joe
C'est un peu complexe, mais la commission d'enquête des Alliés a conclu à un non-lieu sur son cas. En fait, même s'il publia de nombreux ouvrages entre 1933 et 1935 pour théoriser le nazisme, on lui reprocha son trop grand libéralisme, à tel point qu'en 1936, un article parut dans le journal des SS, Der schwarze Korps, le menaçant nommément. Comme il était conseiller d'Etat, il ne fut pas inquiété, mais se replia sur son activité universitaire.

Posté : mar. juil. 26, 2011 9:53 am
par rmd
Fabien Lyraud a écrit :Sinon j'ai toujours du mal à comprendre qu'un théoricien de la société de l'information comme Eric S Raymond défende l'idéologie libertarienne. En effet la société de l'information considère que tout doit être mis en réseau. Et que ce modèle du réseau s'oppose à celui du marché marque de fabrique de la société industrielle. Il faut bien qu'il y ait des autorités régulatrices pour les réseaux humains fonctionnent correctement. D'autant plus que dans une société faisant primer la coopération, la synergie et la complémentarité plus que l'opposition et la compétition, les réseaux de solidarité sont une nécessité.

C'est un peu n'importe quoi ce que tu dis. Mélanger les réseaux informatiques et les réseaux de solidarité, ca n'a aucun sens. En informatique, les réseaux décentralisés ne nécessitant par d'autorité régulatrice se sont imposés et l'interconnexion d'un réseau type internet est avant tout géré par des accords de peering sans régulation centrale. Les seules autorités régulatrices sont purement techniques et ne servent qu'à faire fonctionner des services particuliers (le DNS par exemple qui n'est qu'un annuaire). Tout ca ne s'oppose absolument pas aux thèses libertariennes.