Pour mettre mon grain de sel catho en marge de l'Eglise: l'opposition que vous faites entre religion et spiritualité est très forte. Elle a sans doute plusieurs origines, de type philosophique, théologique et historique.Pierre Bordage a écrit :Pour Roland : la religion est pour moi la négation même de la spiritualité. À partir du moment où l'on substitue le dogme et la structure à l'expérience, à la perception directe, on perd l'essence même de la spiritualité, qui est la liberté. Les paroles prophétiques sont la plupart du temps libératrices, elles indiquent une façon de se sortir des conditionnements qui interdisent d'entrevoir d'autres réalités, sa propre réalité en fait, qui est forcément différente de celle du voisin (cf Porteurs d'Âmes). Ce qu'en font les disciples, après... Le plus bel exemple : la différence incroyable entre les paroles du Christ, alors même qu'elles ont été retouchées par l'Église, et leurs application par cette même Église. Comment une parole comme "tu ne jugeras pas", a pu aboutir à l'Inquisition et aux guerres de religion, voilà une passionnante illustration de l'énigme humaine.
Tout d'abord, il y a l'ambivalence fondamentale de l'Evangile lui-même. Bien malin qui saurait dire quel est le discours politique que véhiculait l'Evangile: il est pluriel et contradictoire. A la séparation de César et de Dieu (rendre à l'un ce qui est à l'un, etc.), on peut opposer Jésus disant qu'il vient apporter le glaive, baptiser les hommes "par le feu"... bref on n'en sort pas. C'est d'ailleurs pour ça que l'interprétation en est infinie. Et qu'on a des Jésus aussi différents que le Pasolini, le Scorsese, le Zeffirelli... pour prendre des exemples cinématographiques: chacun sonde une possibilité interprétative de l'Evangile, sans qu'aucune ne soit infondée.
Cela nous mène à réfléchir sur le potentiel théocratique du message chrétien, paradoxalement, et sur le fait qu'un message, si universel qu'il se veuille, doit, pour s'incarner, entrer dans l'histoire, s'historiciser, et entrer dans des relations de pouvoir. Tout message un tant soit peu général, et non une quête strictement personnelle (ce que vous nommez "spiritualité"), ne peut perdurer et se communiquer qu'en empruntant les voies d'un certain pouvoir, d'une certaine temporalité, d'une certaine géographie. D'où la diffusion du message chrétien dans tout l'Empire romain, et la constitution de l'Eglise. Et puis, c'est tout de même Jésus qui a appelé de ses voeux la constitution de l'Eglise: "Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise..."
Philosophiquement, c'est donc l'énigme d'une universalité qui ne peut se communiquer qu'en s'historicisant, en devenant concrète, temporelle.
Aujourd'hui, bien des gens sont fascinés par le message chrétien intemporel, sans voir que celui-ci, vécu pleinement, ne peut pas ne pas passer par la voie/voix d'une institution...
Mais pour conclure sur cette notion de spiritualité, je la trouve très belle, et je suis d'autant plus content de la retrouver chez vous que c'est peut-être Alain Damasio qui m'a le mieux initié à cette forme de spiritualité sans dogme et sans transcendance, par La Horde puis par les échanges qu'il a bien voulu avoir avec moi. Cette soif de spiritualité libre et profonde est tout à fait fascinante, même pour un chrétien qui prétend trouver dans le dogme de la Résurrection la clef de tout sens et de toute vie vraiment aimante.