La technologie, ou plutôt l'enveloppe technologique dans laquelle nous évoluons et nous nous construisons, comme humain, change tout : notre boulot, le statut des livres, la façon de les lire (sur écran), la militance… Je suis d'une génération qui a vu l'arrivée de l'ordinateur personnel (le PC, personal computer), du portable, d'internet et rien que ces trois inventions ont complètement révolutionné notre façon de penser, d'apprendre, de communiquer, d'être au monde, d'échanger avec les autres. prenons ce forum : il était inimaginable en 1995, à peine 15 ans. Je dialogue avec des fantomes portés par leurs mots, je leur réponds avec mon fantôme bavard, quelque chose se passe, mais quoi ?ElGato a écrit : Est-ce que tu penses que la "technologie" a pu changer le boulot d'écrivain et, disons, le militantisme ?
Le livre ne mourra pas sous sa forme papier mais il se déploiera AUSSI sous des formes fragmentaires, séquentielles, interactives, enrichies de sons, d'images, de possibilités d'échanges. Opportunités ? Oui, à condition d'être pleinement conscient que la littérature, dans sa forme livre papier, est infiniment loin d'avoir offert ce qu'elle pouvait offrir. Donc c'est comme si, sachant un peu jouer au tennis, on demandait aux joueurs de le faire sur un court antigravité et en 3D, en leur expliquant que le jeu n'en sera que plus riche. C'est juste faux parce que tout medium a besoin d'une certaine sobriété pour s'épanouir pleinement. La littérature est l'art du cerveau, à savoir l'art le plus abstrait qui soit, parvenant à susciter des sensations complètes et des idées à partir de l'alignement de lettres noires sur une surface blanche découpée en rectangle. Le langage passe directement dans le cerveau, qui reconstitue seul tout le champ sensuel, alors que la musique ou la peinture, le cinéma ou la sculpture passent par un vecteur sensuel prédominant (la vue, l'ouie, le toucher…).
Cette sobriété et cette pauvreté extraordinaire du matériau livre, on veut nous faire croire qu'elle doit être enrichie par la technique, qu'y ajouter de l'image ou du son, ou des possibilités interactives, ouvrira une richesse nouvelle. Je ne crois pas à ça, ou seulement pour quelques artistes hors norme qui sauront synthétiser le multimedia de façon géniale et croisée. Je crois que la sobriété de la forme livre est précisément ce qui en fait un medium infiniment riche. Parce que le cerveau y est l'organe récepteur pur et qu'à partir de lui, vous pouvez toucher la sensation de chaleur, la couleur, le poids, la force, la vitesse, la vision, le son, tout. Et le sens.
Mais si vous produisez le son en plus du livre, ou l'image en surplus de l'imaginaire, vous écrasez la faculté à imaginer, vous créez du stimuli-réaction alors que l'imaginaire doit être simplement effleuré, agi, en douceur. C'est ma conviction en tout cas.