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Blanche ou la triple contrainte de l'enfer

Hervé Jubert ( Auteur), Marc Moreno (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2005  -  jeunesse
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Blanche ou la triple contrainte de l'enfer

En 1998, feue la collection Abysses publie Le Roi sans visage, premier roman d’un jeune auteur Hervé Jubert. Des visages marquants, il y a en aura pourtant dans la suite de son œuvre et des visages récurrents puisque la plupart du temps, il offre à ses héros plusieurs aventures. Celles de Pierre Pèlerin constituent une trilogie et Georges Beauregard apparaît également dans plusieurs opus. Avec Le Virus de décembre, Hervé Jubert fit une incursion dans le policier avant de s’attaquer à la jeunesse et d’ouvrir le bal avec le duo Clément Martineau et Roberta Morgenstern dans la collection Wiz. Hervé Jubert entame une nouvelle série jeunesse avec une jeune héroïne en prise avec les évènements qui secouèrent Paris en 1870. Tout en imaginant le deuxième épisode de Blanche, Hervé Jubert travaille actuellement à une biographie romancée d’Alexandre le Grand et songe à renouer avec Beauregard en réécrivant ses histoires sous forme de BD.

Une grande liberté dans Paris encerclée

Dans la cohue qui s’est formée autour du dernier train à quitter Paris, Blanche est séparée de sa famille et reste à quai. Elle se retrouve livrée à elle-même alors que les Prussiens déjà à Versailles marchent sur la capitale. Cette situation ravit la jeune fille plus qu’elle ne l’angoisse. Elle a désormais tout le loisir de s’adonner à ses expériences, d’échanger avec son oncle, Gaston Loiseau commissaire de police sur les enquêtes en cours. Elle va rejoindre son oncle à la morgue et lui permet d’identifier la victime puisqu’elle reconnaît le chapelier du passage Vivienne. Par contre, elle doute des conclusions de son oncle quand il arrête l’apprenti Victor, un jeune et gentil garçon. Ce dernier s’évade et Blanche s’efforce de faire avancer l’enquête pour détourner les soupçons de Victor. Elle profite du désordre ambiant pour assister à une séance de dissection (cours habituellement réservé à un auditoire masculin) ; quelle n’est pas sa surprise de découvrir sur le corps utilisé le même tatouage que portait le chapelier assassiné. Et coïncidence encore plus étrange ces deux macchabées se liquéfient inexplicablement. Des dirigeables expérimentaux au pigeon messager en passant par les impériales des omnibus ou le projecteur d’images dans les nuages, Blanche devra user de toutes les ressources que lui offre Paris assiégée avant d’expliquer et peut-être d’arrêter cette série de meurtres.

Une enquête haletante

Bien sûr, une partie de l’enjeu de l’intrigue repose sur son aspect policier. Trois approches des enquêtes policières interviennent : le traditionaliste et méthodique Gaston Loiseau, contraint de faire avec les consignes de ses supérieurs et de recourir aux services d’un furet (enquêteur privé peu recommandable) afin d’infiltrer certains milieux, doute de l’efficacité de techniques plus modernes (notamment le relevé d’empreintes digitales) auxquelles recourt le jeune inspecteur Arthur Léo. Enfin, Blanche, Victor et Emilienne font plus appel à leurs intuitions, à leur sens de la débrouille ou à leurs relations et n’hésitent pas à prendre de grands risques. L’histoire mêle des considérations scientifiques empruntées à des dictionnaires de l’époque et des éléments plus ésotériques liés aux sociétés secrètes ou à la voyance. Ce flou dans les frontières entre deux conceptions du monde relaie l’ambiguïté de l’héroïne qui se veut cartésienne mais qui, au cours de ses aventures, adoptera, plus ou moins malgré elle, des positions plus nuancées. La trame des évènements se déroule peu à peu et puis finit par décoller (dans tous les sens du terme) et s’emballer.

Une atmosphère envoûtante et une héroïne attachante

Ce roman nous entraîne dans un Paris de la Commune très vivant et saisissant. Des scènes des ambulances (bâtiments transformés en hôpitaux de fortune pour soigner les blessés du front) à celles qui ont pour cadre la halle aux faits divers, chaque épisode implique une foule bigarrée dont se détachent quelques protagonistes au caractère marqué voire fantasque. Hervé Jubert explore aussi bien le ciel que les bas-fonds de Paris, les bosquets du Jardin des Plantes comme les cintres de l’Opéra et dépeint des tableaux haut en couleurs, en sensations diverses. Quelques interludes viennent illustrer l’inventivité et la réactivité de certains face aux restrictions ainsi le dîner de réveillon concocté par le restaurateur épicurien Philippe à base de viande bien particulière ou la fête organisée par le Club des Lanternes Rouges. Blanche incarne à la perfection la jeune héroïne en période de grand chamboulement : le siège de Paris et sa nouvelle indépendance la confrontent à des situations inédites, dans lesquelles elle se précipite et dont elle retire de nombreux enseignements. Pleine de contradictions (aucun des personnages principaux n’est d’ailleurs manichéen) et de fougue, elle se retrouve mêlée à des événements exceptionnels qui mettent en danger sa vie ou celle de ses proches, danger qui suscite des cas de conscience.

Un texte inspiré et foisonnant

Blanche enseigne à Victor l’orthographe et celui-ci s’empresse d’utiliser ses récentes découvertes pour associer les premières lettres d’une ligne d’omnibus avec un mot incongru. L’indice laissé sur un des cadavres repose sur un jeu avec les lettres et le nom des personnages. En plus de cette énigme linguistique, la poésie est souvent à l’honneur, à plusieurs reprises des vers sont cités. Et de nombreux livres interviennent : des traités ésotériques, le livret de l’Opéra de Faust et de même que la Bibliothèque Nationale via son site Internet a fourni des éléments à l’auteur, elle offre aux personnages une clé importante. Bel hommage narratif. L’humour réside parfois dans la situation (par exemple la truculente affaire d’une certaine relique) mais aussi dans l’expression. Les blessés de l’ambulance échangent des réparties ironiques, le moderne Léo risque des néologismes burlesques (ainsi réclame-t-il un réchauffisant quand son hôtesse lui propose un rafraîchissement).

Avec Blanche, Hervé Jubert redéploie le genre du feuilleton : sur fond d’une éblouissante fresque parisienne, il mêle à un tourbillon d’événements des personnages aux caractères savoureux, y ajoute des rebondissements pertinents et des références plus culturelles, laissant son lecteur un peu pantelant devant tant d’inventions mais désireux déjà de se replonger dans la suite des étourdissantes aventures de Blanche Pachelain.

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