Fan de science-fiction depuis l'âge de douze ans, Zenna Henderson fut l'une des premières femmes à être reconnue dans ce domaine dès le début des années cinquante. Avec seulement une quarantaine de nouvelles à son actif, cette institutrice parvint cependant à se démarquer de ses contemporains avec des histoires dans lesquelles la compassion prend plus de place que l'action. Ses extra-terrestres sont bons, sensibles, et les pouvoirs dont ils sont dotés servent généralement à faire le bien. Le manque de culture scientifique qu'elle reconnaissait être le sien a poussé Zenna Henderson à évoluer dans un registre proche de celui de Clifford Simak, à travailler sur les sentiments de ses personnages sans les placer dans un contexte technologique futuriste, ce qui fait de Chronique du Peuple un fix-up convaincant et intemporel.

 

 

Lea, désespérée, prend le car et s'arrête au hasard. Sur le point de mettre définitivement un terme à son mal de vivre, elle en est empêchée in extremis par Karen, une jeune femme qu'elle vient de rencontrer et qui se révèle capable de maîtriser la pesanteur. Elle l'emmènera jusqu'à un village isolé au pied d'une montagne. Au cours de réunions pendant lesquelles seront remémorés les épisodes marquants de la vie de la communauté, Lea fera connaissance avec une microsociété dont les membres descendent des rescapés du naufrage d'un vaisseau spatial, tous liés par le souvenir atavique de leur planète-mère disparue, le Foyer. Dotés de pouvoirs psys qu'ils craignent de révéler aux Terriens, les membres du Peuple les évitent le plus possible. Des interactions sont pourtant inévitables. Doivent-ils dévoiler leur présence et mettre leurs dons au service de l'humanité ou continuer à vivre à l'écart du reste du monde ?

 

 En parcourant une biographie, même succincte, de Zenna Henderson, on perçoit sans peine ce qui a influencé ses histoires. L'omniprésence des enfants, des institutrices et même l'importance de l'école dans le décor de Chronique du Peuple laissent deviner l'enseignante derrière l'auteur. On peut également supposer que sa conscience aigüe de la différence lui vient de son expérience durant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'elle enseigna dans un des camps où furent internés une centaine de milliers d'américains d'origine japonaise. Que l'étranger soit terrien ou membre du Peuple, handicapé ou déprimé, sa présence et ce qui le différencie de la norme sont toujours mis en relief dans ces nouvelles dont les personnages préfèrent tenter de comprendre et aider plutôt que juger. Chacun finit par trouver sa place au sein de la société. Liés par une forme de télépathie, les membres du Peuple ne souffrent jamais de la solitude et leur tendance naturelle à l'empathie les rapproche finalement d'un idéal... d'humanité !

 

 La religion a visiblement aussi tenu une place importante dans la vie de Zenna Henderson. Comme Orson Scott Card, elle fut membre de l'Eglise des Saints des Derniers Jours (Mormons) et les références bibliques abondent dans chacune de ses nouvelles. Il n'y est pourtant pas vraiment question de religion mais plutôt d'une forme de spiritualité que l'on pourrait rapprocher de certains mouvements new-age ou neo-païens. Les pouvoirs que possèdent les membres du Peuple semblent procéder d'une insertion harmonieuse au sein du cosmos, la Puissance, plutôt que de pratiques véritablement magiques, ce que confirme l'apparente absence de rituel, de clergé ou encore de toute forme de législation ou de morale d'origine divine. Plutôt que dompter la nature, le Peuple est doué de la capacité de convaincre celle-ci de lui prêter main-forte afin d'accomplir des miracles. A la fois démonstration de pensée positive et invitation à la sérénité, Chronique du Peuple mérite largement une petite visite chez votre bouquiniste favori.