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Interview : Pascal Godbillon pour les 15 ans de Folio SF
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Interview : Pascal Godbillon pour les 15 ans de Folio SF

ActuSF : Peux-tu nous rappeler dans quelles conditions est née la collection ?
 
Pascal Godbillon : La collection Folio SF est née après l’arrêt de la collection Présence du futur aux éditions Denoël. Beaucoup de grands classiques ont donc permis de lancer la collection : Fondation d’Isaac Asimov, Le cycle des princes d’Ambre de Roger Zelazny, L’échiquier du mal de Dan Simmons, Fahrenheit 451 et Chroniques martiennes de Ray Bradbury, L’homme qui rétrécit et Je suis une légende de Richard Matheson et je vais m’arrêter là. Mais, on le voit, la collection naissait plutôt sous de bons auspices !
 
ActuSF : Quelles sont ses grandes lignes ? Comment est-ce que tu la présenterais aujourd’hui ?
 
Pascal Godbillon : L’idée de départ, à l’époque, était de constituer une « bibliothèque idéale des genres de l’imaginaire ». C’est toujours le cas aujourd’hui, même si, évidemment, la quasi-totalité des grands classiques est d’ores et déjà disponible. Cela étant, la collection peut se targuer de proposer, outre les grands classiques d’hier, ceux d’aujourd’hui et de demain : Stéphane Beauverger, Alain Damasio, Jean-Philippe Jaworski, Robert Charles Wilson et cette liste n’est pas exhaustive, loin de là.
 
ActuSF : Comment choisis-tu les titres que tu réédites dans cette collection ?
 
Pascal Godbillon : Eh bien, au regard de ce que j’ai dit plus tôt, ça me semble assez évident. Éditer ou rééditer un ouvrage, c’est faire un choix, mais c’est, au départ, un choix de lecteur. Donc, je lis le livre et je me demande si ce livre m’a plu. Si oui, est-ce qu’il s’inscrirait au catalogue ? Si oui… Alors, il y a de fortes chances pour que ce titre finisse en Folio SF ! Après évidemment, un titre peut me plaire mais… ne pas être pour Folio SF. Ca peut paraître surprenant, mais… C’est très subjectif. C’est d’ailleurs difficile à expliquer à un éditeur ou à un auteur. « Oui, ce livre est bien, oui l’auteur a du talent, mais je ne le vois pas en Folio SF, ça n’est pas mon univers, pas celui de la collection… » Pas forcément évident à entendre, voire à comprendre. J’en ai bien conscience, mais je n’ai, malheureusement, pas d’autre explication.
 
ActuSF : Il y a des grands textes au catalogue et d’immenses noms, d’Asimov à Zelazny, en passant par Philip K.Dick. Quelle est l’importance du “Patrimoine” pour toi chez Folio SF ? Et est-ce que la collection a une sorte de rôle dans la “sauvegarde” ou la “mise en valeur” de ces textes et de ces auteurs historiques ?
 
 Pascal Godbillon : Le patrimoine, on l’a vu, a une place très importante pour moi et pour la collection. C’est lui qui a permis d’installer Folio SF, il y a quinze ans et, surtout, c’est ce qui permet au jeune lectorat d’entrer dans le genre : Asimov, Brown, Bradbury, Zelazny, les nouvelles de Dick… Ce sont autant de textes abordables par des ados (ou moins ados, d’ailleurs) et qui leur donneront le goût pour l’imaginaire sous toutes ses formes. Maintenant, est-ce que la collection a un rôle ? Je ne sais pas si on peut parler de rôle, mais c’est évident que si rôle il y a, c’est de garder ces titres disponibles, de leur donner de nouvelles couvertures pour leur offrir, si besoin, une nouvelle jeunesse, bref… Oui, si rôle il y a, c’est celui qu’assume la maison Gallimard depuis plus de cent ans : faire vivre un fonds pour proposer aux lecteurs le choix le plus large et le meilleur possible.
 
ActuSF : Comment travailles-tu avec ces textes ? Est-ce que c’est le même travail éditorial qu’avec des textes plus récents ?
 
 
Pascal Godbillon : Sur le texte lui-même, en général, pour le poche, on ne travaille rien à la réédition. Alors, parfois, pour les classiques « anciens » on propose des traductions révisées, lorsque celles-ci étaient un peu datées, mais sinon, on ne travaille pas le texte. De même, pour les textes plus récents, le travail éditorial a été fait en amont pas l’éditeur grand format, donc ce n’est pas utile de travailler sur le texte. Mais on peut proposer des bonus en accord avec l’auteur et l’éditeur. On l’a fait, à l’époque, pour Janua vera, par exemple, puisque l’édition Folio SF proposait une nouvelle supplémentaire par rapport à la première édition en grand format (par la suite, l’édition grand format a réintégré ce texte).
 
ActuSF : Folio SF est l’une des seules collections de poche à publier régulièrement des titres inédits. Pour quelle raison et comment choisis-tu ces titres ?
 
Pascal Godbillon : La publication d’inédits participe de ce que j’évoquais plus tôt : essayer de proposer, aussi, les classiques de demain, de montrer que le genre est un genre vivant. Cela donne donc une visibilité, à moindre coût pour le lecteur, à des textes d’auteurs actuels. Quant au choix, il se fait en connexion avec le catalogue, toujours. Thomas Day, Serge Brussolo ou Léo Henry, pour prendre les derniers auteurs d’inédits en Folio SF sont des auteurs qui avaient déjà des textes au catalogue de la collection (une nouvelle, dans le cas de Léo Henry) et les projets qu’ils m’ont proposés me semblaient cohérents avec leurs textes déjà présents en Folio SF, donc on les a faits. Le choix n’est, finalement, pas si différent que pour un « non-inédit ». Il est évident qu’un auteur francophone qui n’a jamais publié un seul roman ne sera pas publié directement en Folio SF. Ca n’a pas de sens, d’un point de vue éditorial : une collection de poche ne pourra pas « lancer » un nouvel auteur comme pourra le faire un éditeur grand format.
 
ActuSF : Un petit mot sur Alain Damasio. C’est FolioSF qui réédite ses livres. Quel regard portes-tu sur l’auteur ?
 
Pascal Godbillon : Il est évident qu’Alain est un auteur à part. Je parle beaucoup de « classiques » depuis le début de cet entretien, mais La Horde du Contrevent est, d’ores et déjà, un classique. Il était encore dans les 50 meilleures ventes du genre, l’an passé, et fait désormais partie des meilleures ventes de la collection. C’est tout de même la marque d’un grand, pour moi, de s’imposer ainsi en un temps très court. Alain a un talent énorme, il a su créer une œuvre exigeante et populaire, ce qui n’est pas rien non plus. Bref… Ca se voit que j’ai beaucoup d’admiration pour son travail ?
 
ActuSF : Est-ce que tu sens un engouement particulier pour cet auteur de la part des lecteurs comme on peut parfois le voir sur les salons ?
 
Pascal Godbillon : Évidemment. À toutes les dédicaces ou rencontres auxquelles j’ai pu assister, il y a toujours eu au moins une personne pour lui dire qu’il avait changé sa vie d’une façon ou d’une autre. Ça arrive parfois pour d’autres auteurs, mais pas à chaque fois ! Alors qu’avec Alain, c’est systématique.
 
 
ActuSF : Le concours de fanfiction lié au quinze ans de la collection tourne autour de la Horde du Contrevent ? Pourquoi ce livre et qu’a-t-il de spécial pour toi ?
 
Pascal Godbillon : Si ce que j’ai déjà dit ne suffisait pas, ce livre est spécial pour moi à plus d’un titre. C’est, pour la petite histoire, le premier titre que j’ai acheté lorsque je suis arrivé à la tête de la collection. Les négociations avaient déjà été lancées avant mon arrivée, mais j’ai finalisé l’achat des droits et c’est donc le premier contrat que j’ai fait signer. Mais mon admiration pour ce roman datait de bien avant. Il se trouve que j’avais pu lire le roman sur manuscrit, avant qu’il paraisse. Et, tout de suite, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? ». Il faut voir que, contrairement au lecteur qui achète le Folio SF, par exemple, je n’avais pas la signification des symboles qui introduisent chaque « voix » pour aider ma lecture. C’était donc une plongée tête la première dans un univers hors-norme. Et j’en suis ressorti ébloui. Maintenant, pourquoi avoir choisi ce livre pour le concours, eh bien, il se prête particulièrement à l’exercice, il me semble. Déjà, c’est plus facile et plus logique de faire un concours de fanfiction avec une fiction qui a des fans, non ? Or, avec plus de 120.000 exemplaires vendus rien qu’en poche, avec un bouche à oreille exceptionnel, avec des relais nombreux et dithyrambiques sur les blogs et l’engouement qui entoure les déplacements d’Alain, comme on l’a dit, des fans, il y en a. (Petite parenthèse personnelle : j’ai vu, un jour, dans une soirée, deux personnes qui ne se connaissaient pas, former, au bout de cinq minutes de discussion, un pack pour « contrer le vent » après s’être aperçu qu’elles venaient toutes les deux de lire et adorer La Horde… Fans ? Tu parles !) Le choix de ce roman était donc une évidence.
 
ActuSF : Comment est née d’ailleurs l’idée de ce concours de fanfiction autour de La Horde du Contrevent ?
 
Pascal Godbillon : Nous souhaitions faire quelque chose d’un peu original, pour nos quinze ans, pas un simple concours avec questionnaire, par exemple. Nous souhaitions une vraie participation des lecteurs, un « partage » avec eux. Très vite, nous avons pensé à un concours de nouvelles, mais… pour ce qui est de l’originalité, ça n’était pas tout à fait ça. Or comme nous voulions aussi que cela soit relayé sur le web et les réseaux sociaux, où notre lectorat est très présent, la fanfiction s’est imposée et, tout de suite, l’évidence donc : La Horde du Contrevent ; un univers fort, susceptible d’être partagé par de nombreux lecteurs.
 
ActuSF : Folio SF a depuis peu une nouvelle maquette. Comment l’avez-vous conçu ?
 
Pascal Godbillon : Lorsque l’idée de changer la maquette a été lancée, nous avons laissé (presque) carte blanche à Pascal Guedin, le graphiste qui s’occupe de la collection, chez Gallimard. Il y avait bien quelques idées directrices, mais pas tant que ça : passage en illustration pleine page pour laisser toute la place aux images (on avait déjà fait des essais avec la jaquette pour Les Lames du Cardinal, par exemple), abandon de la couleur « violet-métal » (et encore, rien n’était gravé dans le marbre, à ce sujet)… Pascal a longuement bossé et, au final, le projet qu’il a proposé est quasiment celui qui est désormais en librairie, à quelques détails près. Je  trouve qu’il a accompli un travail remarquable. La nouvelle maquette est vraiment moderne et élégante et je n’ai eu, pour l’instant, que des retours positifs.
 
 
ActuSF : Il y a aussi désormais des intégrales. Quels titres seront réédités dans les prochains mois sous ce format ?
 
Pascal Godbillon : Alors, on ne peut pas vraiment parler d’« intégrales »… Nous appelons ça des Folio XL. Le format est un petit peu plus grand et nous donne une vraie liberté pour faire de très gros volumes qui n’auraient pu voir le jour autrement. Par exemple regrouper trois des plus beaux romans de Richard Matheson ou redonner à L’échiquier du mal son format original en un seul volume. Parmi les titres à venir en 2015, nous aurons Les princes d’Ambre de Zelazny, en deux tomes (cycle de Corwin et cycle de Merlin) et un projet un peu dingue (juste un peu…) : Les récits du Vieux Royaume de Jean-Philippe Jaworski. Le lecteur aura là, en un seul volume, Janua vera ET Gagner la guerre. Je pense que ce sera un bel ouvrage, un gros ouvrage ! Mais je suis aussi admiratif de Jean-Philippe Jaworski que je le suis d’Alain Damasio, alors… je ne suis pas tout à fait impartial !
 
ActuSF : Cela fait quelques années que tu es à la tête de Folio SF, quels ont été les temps forts pour toi de la collection ?
 
Pascal Godbillon : Dès 2007, la parution de La Horde du Contrevent a donc été un gros temps fort pour la collection. Par la suite, il y a eu Spin de Robert Charles Wilson, Janua vera et Gagner la guerre, donc. Puis Le Déchronologue de Stéphane Beauverger. Plus récemment Les Lames du Cardinal de Pierre Pevel. Et ça me permet de remarquer que, parmi ces titres, presque tous sont écrits par des auteurs francophones. Ce qui est plutôt « amusant » puisque quand je suis arrivé à la tête de la collection j’entendais beaucoup de gens me dire : « les “Français”, ça se vend pas » ou « ça manque de “Français”, chez Folio SF »… Bref, Folio SF, c’est aussi ça : tordre le cou aux idées reçues ! Hormis les titres publiés, il y a eu les dix ans de la collection, un anniversaire qui m’a permis de constater que la collection bénéficiait tout de même d’un fort capital de sympathie, dans le milieu de l’imaginaire, mais aussi à l’extérieur. Le Grand Prix de l’Imaginaire reçu par Thomas Day pour Du sel sous les paupières m’a également fait très plaisir (je ne vous ai pas encore dit que j’étais admiratif du travail de Thomas Day ? C’est fait.). Et puis, l’année dernière, la belle réception de mon projet un peu « fou » de sortir cinq titres autour du thème décalé de « Rock et SF ». J’en oublie sans doute. 
 
ActuSF : Quel regard portes-tu sur ces quinze ans de Folio SF ?
 
Pascal Godbillon : Il me semble que la collection est une des composantes importantes, voire indispensables, du paysage éditorial de l’imaginaire. Si, au démarrage, on pouvait trouver cela « normal », voire « facile », d’imposer la collection du fait de la reprise des principaux titres de Présence du futur, les succès plus récents montrent que sa force est ailleurs : cohérence et qualité de la ligne éditoriale, disponibilité du fonds, confiance accordée aux auteurs, qualité typographique et de fabrication des ouvrages proposés… Bref, j’aimais Folio SF avant d’en devenir l’éditeur ; je suis assez fier de ce qu’elle est toujours après lui avoir fait subir ce que je lui ai fait subir pendant neuf ans !
 
 
ActuSF : Est-ce que la place des collections de Poche dans le paysage éditorial a changé ces dernières années ? Garde-t’elle le même rôle avec l’arrivée notamment du numérique ?
 
Pascal Godbillon : Je ne crois pas que la place des collections de poche ait changé, non. Pour moi, elles permettent toujours aux lecteurs de trouver, à moindre coût, dans un format plus maniable, des ouvrages qu’ils ne souhaitaient pas (ou ne pouvaient pas) acheter en grand format. Voire à donner une nouvelle chance à des ouvrages qui avaient pu passer inaperçus auprès du public (récemment, Loar de Loïc Henry, par exemple, s’est très bien vendu dans son édition de poche et a, en plus, reçu le prix Imaginales des lycéens ou Seeker de Jack McDevitt, que nous avons déjà réimprimé deux fois.) Quant à son rôle par rapport au numérique, pour moi, là non plus, ça ne change pas radicalement la donne. Le numérique est une offre complémentaire, qui peut très bien cohabiter avec les autres formats d’édition (et qui le fait très bien d’ailleurs).
 
 
ActuSF : Enfin, que peux-tu nous dire du programme à venir de la collection ?
 
Pascal Godbillon : En mars, viennent de paraître Vortex de Robert Charles Wilson, le dénouement de la « trilogie Spin », Avilion, le très beau dernier roman de Robert Holdstock, les deux volumes d’Omale de Laurent Genefort, initialement parus en Lunes d’encre, chez Denoël et Les étoiles s’en balancent de Laurent Whale, qui fait son entrée au catalogue. Par la suite, autre entrée au catalogue qui me tient particulièrement à cœur, celle de Roland C. Wagner avec les magnifiques Rêves de Gloire et Le train de la réalité. Puis on poursuivra avec des habitués du catalogue : Ian McDonald (La maison des derviches), Jean-Philippe Depotte (Le chemin des dieux), Bernard Simonay (Le secret interdit), Jean-Michel Truong (Reproduction interdite) ou Serge Brussolo, avec un nouvel inédit, qui fait suite à Frontière barbare. Et encore plein de belles choses au second semestre, mais je t’en dirai plus lors de notre prochain entretien !
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