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Interview de Jonathan Stroud
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Interview de Jonathan Stroud

ActuSF : Vous avez établi pour « The Guardian » la liste de vos dix livres de fantasy préférés. Et de La Saga de Grettir par Anon, en 1320, à La chambre d’Angela Carter, 1979, le choix est étonnant… (pour voir la liste complète, cliquer sur http://books.guardian.co.uk/top10s/top10/0,,1338108,00.html)
Jonathan Stroud : L’idée était de sélectionner mes dix préférés, et si j’ai choisi de citer les livres que j’avais aimé lorsque j’étais plus jeune, c’est parce que je pense vraiment que les histoires que l’on lit enfant sont celles qui ont le plus d’effet sur nous (et peut-être aussi certaines que l’on lit à 20 ou 21 ans). Tous les titres que j’ai choisis sont donc des lectures de jeunesse, et je suis convaincu que c’est pour cela que j’ai autant d’affection pour eux.
J’ai également choisi de retenir des romans qui n’étaient pas trop célèbres, car si j’avais cité Le Seigneur des anneaux ou Harry Potter, ou une autre saga du même acabit, j’aurais été trop prévisible !
Enfin, ces dix livres sont aussi ceux qui m’ont sans doute le plus inspiré. Les productions plus contemporaines, comme les romans de Philip Pullman ou Harry Potter ne m’influencent pas autant.

ActuSF : Vous continuez tout de même à lire de la fantasy ?
Jonathan Stroud : Oui, mais pas autant que par le passé. Quand j’étais plus jeune, je lisais absolument tout en fantasy… les livres pour jeunes adultes, les romans pour adultes…

ActuSF : Vous faites une comparaison saisissante sur votre site : les livres dans votre chambre sont pour vous comme des os dans la cage d’un lion…
Jonathan Stroud : C’était vraiment ça. Et je crois que je rencontre beaucoup d’enfants qui ont cet insatiable appétit de lecture et qui lisent très vite. Ils ont des bouquins énormes sur leur table de chevet et ils continuent à alimenter la pile !
De mon côté, je me sens parfois un peu coupable de moins lire. A la fin de la journée, après avoir passé beaucoup de temps sur mon propre texte, je suis fatigué et je n’ai généralement plus le courage de lire.
Par ailleurs, depuis que je suis auteur, je crois que je préfère lire des romans qui n’ont rien à voir avec la fantasy : quand vous lisez un livre qui traite peu ou prou des mêmes sujets que ceux qui sont contenus dans votre histoire, ça devient oppressant. Quand vous construisez un monde, vous avez besoin de place autour de lui.

ActuSF : Vous avez cité les livres qui vous ont marqué, mais quelles sont vos autres sources d’inspiration ? Le cinéma ? La musique ?
Jonathan Stroud : La musique, pas vraiment, même si j’aime cela. Mais je ne crois pas qu’elle m’inspire. En fait, je n’écoute jamais de musique pendant que j’écris, car le rythme de la musique serait forcément différent de celui que j’ai dans la tête.
En revanche, les lieux, les villes, les châteaux (un de mes livres se déroule dans un château que j’ai visité) sont de vraies sources d’inspiration. Je suppose que les gens que je rencontre aussi. Et les rêves…

ActuSF : La pluie ?
Jonathan Stroud : (Rires) La Trilogie de Bartiméus a commencé sous la pluie. Je marchais, seul, j’ai laissé mon esprit dériver et… Bartiméus est apparu.
Un écrivain doit garder son esprit ouvert en permanence, on ne sait jamais ce qui peut arriver.

ActuSF : Cela vous est-il « arrivé », depuis le début de votre séjour à Paris ?
Jonathan Stroud : Hier, j’avais un peu de temps libre, j’ai flâné dans le quartier de Montparnasse, du côté du Jardin du Luxembourg, puis vers Saint-Sulpice et Saint-Germain. J’ai admiré l’architecture et me suis assis dans l’église, j’ai alors eu une impression étrange et forte… Qui sait ? Peut-être que dans deux ans, des bribes de ces moments resurgiront dans un livre.

ActuSF : Et Bartiméus, aimeriez-vous le faire revenir dans un autre roman ?
Jonathan Stroud : Lorsque j’ai fini la trilogie, je me suis dit : « Plus jamais. » J’étais épuisé… Aujourd’hui, je ne peux plus dire que je n’écrirai plus jamais rien qui mette en scène Bartiméus, je préfère penser que si je tiens une bonne intrigue, peut-être alors pourrais-je lui écrire de nouvelles aventures. Mais seulement si j’ai une intrigue nouvelle et intéressante.

ActuSF : Vous écrivez tous les jours sur votre site… Que vous apporte ce « journal » en ligne ?
Jonathan Stroud : Là encore, je plaide coupable ! Voilà quatre semaines que je n’ai rien écrit… J’étais à Vienne pour une conférence, puis j’en avais une autre à Glasgow, et maintenant Paris… Donnez-moi une semaine ou deux, et tout cela sera sur mon site !
C’est agréable de parler un peu de ce que j’écris. Et quand je reste silencieux trop longtemps, les gens s’impatientent : « Mais que fait donc Jonathan Stroud ? Est-il en vacances ? » (rires)

ActuSF : Vous devez recevoir beaucoup de courrier de vos fans…
Jonathan Stroud : Pas mal, oui. Je tiens à répondre à chacun d’eux, et je le fais, mais ça prend beaucoup de temps. Bon, rien à voir avec J.K. Rowling, qui doit en recevoir une sacré pile tous les jours. Comparativement, j’en reçois peu. Les lettres viennent surtout des Etats-Unis et de l’Angleterre, mais aussi de la France.

ActuSF : Sans doute du monde entier, puisque la trilogie est traduite en une trentaine de langues ?
Jonathan Stroud : Oui, en 37 ou 38 langues, je ne sais plus.

ActuSF : Et qu’en est-il de l’adaptation à l’écran ?
Jonathan Stroud : J’ignore si elle va se faire ou pas. C’est frustrant, car je crois que ça pourrait faire un bon film. Il y a trois ans, nous avions un script, un metteur en scène et un producteur, et j’étais complètement excité : « Mon histoire va devenir un film et ce sera génial ! » Puis tout est retombé. Disney et Miramax se sont séparés, et ce film est à présent comme un enfant pris dans la tourmente du divorce, dont le sort est suspendu au jugement… Je ne sais pas ce qui arrivera ni quand, mais ça pourrait être bien.

ActuSF : Quel acteur verriez-vous dans le rôle de Bartiméus ?
Jonathan Stroud : Ma femme milite pour Johnny Depp. Je ne crois pas qu’il accepterait parce qu’il est déjà engagé dans la série Pirates des Caraïbes. Mais il pourrait vraiment bien coller : il est charismatique, intéressant et drôle, il possède une forte personnalité, avec ce côté un peu étrange… L’équipe du film m’a prévenu que si, dans le livre, Bartiméus prend l’apparence humaine de Ptolémée adolescent, il était néanmoins préférable qu’il se manifeste dans le film sous une apparence plus adulte, afin de pouvoir travailler avec un acteur célèbre et chevronné. J’ai accepté puisque c’est pour le bien du film. Je crois cependant que ce sera un peu moins fidèle à l’esprit de Bartiméus.

ActuSF : Y a-t-il eu des adaptations au théâtre ?
Jonathan Stroud : Non. Seulement des feuilletons radiophoniques en Angleterre et aux Etats-Unis. Les deux étaient très bons ; l’acteur britannique qui jouait Bartiméus notamment était excellent, car il avait vraiment la voix du personnage.

ActuSF : Comment travaillez-vous une fois l’intrigue ébauchée, faites-vous un plan ?
Jonathan Stroud : Pour la Trilogie de Bartiméus, je me suis lancé sans plan. Je savais simplement que mon histoire mettrait en scène un génie dans un monde où les magiciens feraient de la politique. J’ai commencé à écrire en me disant « magnifique, j’adore ce personnage », et comme ça pendant cinquante ou soixante pages avant de réaliser que j’avais besoin d’un cadre plus étoffé… Je me suis alors arrêté et j’ai défini plus précisément l’histoire.

ActuSF : Aviez-vous conscience, à ce moment-là, de l’ampleur du projet que vous entrepreniez ?
Jonathan Stroud : Absolument pas. Quand j’ai commencé, j’envisageais un livre court, court et rapide et léger, parce que je pense que beaucoup de récits de fantasy sont souvent trop longs, trop pesants et trop sérieux. Mais ça m’a échappé… Et ensuite, j’étais simplement fier que le troisième tome soit plus court que le deuxième ! Du moment que chaque tome n’était pas plus long que le précédent, ça allait.

ActuSF : Vous avez souhaité qu’il y ait un équilibre dans l’écriture et la taille des tomes, mais la recherche de l’équilibre est aussi l’un des enjeux de l’intrigue…
Jonathan Stroud : La trilogie tout entière repose sur la volonté de trouver l’équilibre entre différentes personnes et différents groupes. Au début, c’est le chaos : Bartiméus est asservi, les politiciens détiennent le pouvoir au détriment des gens ordinaires. Je suppose que l’idée de trouver la voie vers l’équilibre est une composante du message du cycle.

ActuSF : Vous n’imposez pas au lecteur un narrateur omniscient, et préférez lui laisser le choix : à lui d’adopter tel ou tel point de vue sur l’histoire. Pourquoi ?
Jonathan Stroud : Parce que dans la Trilogie de Bartiméus et un peu aussi dans mes autres romans, je m’identifie à différents personnages au cours des chapitres.
Bartiméus est drôle et charismatique, mais tout un livre avec lui serait épuisant : des blagues, des blagues et encore des blagues… Par pitié, assez ! C’était bien de dire « non, il y aura aussi des chapitres avec Nathaniel », qui est beaucoup plus calme, presque froid, et pendant lesquels l’histoire est plus sérieuse. Pas de blagues ou presque pas. Le ton change, les lecteurs doivent un peu s’accrocher, et ça m’a également permis de maintenir intact mon intérêt.

ActuSF : Vous utilisez les notes de bas de page d’une manière peu commune et astucieuse…
Jonathan Stroud : Ce fut une révélation. J’ai commencé à écrire, au début de L’Amulette de Samarcande, cette scène où le djinn apparaît au garçon. Et dès qu’il s’est mis à parler, j’ai compris que ce génie était persuadé qu’il savait tout, qu’il était bien plus intelligent que Nathaniel et que le lecteur, et qu’il lui faudrait des notes en bas de page pour pouvoir crâner.
J’avais déjà vu le procédé utilisé, de temps à autre, mais je crois que c’est la première fois que les notes de bas de page deviennent quasiment un personnage à part entière, ou au moins une partie du personnage, sa marque de fabrique, et j’ai trouvé cela très utile.
Quand j’étais enfant, j’écrivais des histoires du genre « les livres dont vous êtes le héros » et j’adorais prévoir et concevoir les différentes options, les parcours possibles. Je crois que les notes de bas de page peuvent aussi servir à cela, proposer une alternative : soit vous poursuivez votre lecture, soit vous trouvez dans la note un petit bout d’histoire en plus…

ActuSF : Vous avez travaillé sur des livres illustrés… Racontez-nous un peu cet épisode de votre carrière.
Jonathan Stroud : J’ai écrit deux livres d’énigmes quand je travaillais comme éditeur dans la maison qui publie la série Où est Charlie ? Un sur les vikings, l’autre sur les pirates. Les deux sont à mi-chemin entre un Où est Charlie ? et un Astérix, avec des bandes dessinées et beaucoup d’énigmes.
J’ai également travaillé avec Cathy Gale pendant près d’un an sur les pirates. J’écrivais le script, elle faisait la bande dessinée et les images… puis je réécrivais. Mais quand nous allions voir les responsables pour leur soumettre les planches qu’elle avait dessinées, il y avait toujours quelque chose qui clochait : trop de mots ici, un dessin trop gros là. Je crois qu’on a refait entièrement le projet sept fois et, à chaque fois, ils n’étaient pas satisfaits. C’était un gros projet !

ActuSF : Aimeriez-vous néanmoins retravailler avec un illustrateur ?
Jonathan Stroud : Ma femme est designer et illustratrice, et j’adorerais faire un livre avec elle un jour.

ActuSF : Puisqu’on en est aux projets, qu’en est-il de votre prochain livre ?
Jonathan Stroud : Je pense que je touche au but. Encore deux chapitres, deux chapitres et demi, et je l’envoie à mon éditeur. C’est un nouveau roman de fantasy, mais dans celui-là, le matériau magique est bien caché dans le background, et peut-être ne se verra-t-il pas de prime abord…

ActuSF : Petite question bonus : si vous rencontriez un djinn, que lui demanderiez-vous ?
Jonathan Stroud : Plus de temps ! J’aimerais que le génie me donne une boucle temporelle pour pouvoir soit dormir soit écrire aussi longtemps que je le désire, et que le temps ne s’écoule pas. Que quand je revienne, ce soit encore la même heure. Bref, je lui demanderais de rendre le temps plus flexible.

ActuSF : Qu’on le lise ou qu’on l’interviewe, le temps semble s’arrêter en compagnie de Jonathan Stroud. Merci à lui pour cette interview.

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