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Interview de Laurent Whale
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Interview de Laurent Whale

Actusf : On sait assez peu de choses sur vous, à part que vous êtes né en Angleterre, que vous avez exercé divers métiers hétéroclites et que vous vivez en région parisienne. Pourriez-vous nous en dire plus ? Notamment, comment êtes-vous arrivé à la SF, en tant que lecteur puis en tant qu'écrivain, et qu’y recherchez-vous ?
Laurent Whale : L’arrivée en SF… c’est un peu comme une entrée en religion, d’après votre question. Non, je rigole ! Dans mon cas, la SF est arrivée en moi plutôt que l’inverse. Elle s’est tout naturellement imposée comme un mode d’évasion de ma campagne où l’ennui était si épais qu’on pouvait en faire des fagots ! À l’époque, dans cette France reculée, on ne trouvait que les FNA, et aussi des petits formats, Cosmos, Atom Kid, Antarès… En me basant sur les dessins, j’imaginais alors d’autres aventures formidables. Rêves de môme, quoi. Ecrire, c’est venu plus tard. Il a d’abord fallu que je voyage un peu. Histoire d’avoir des aventures bien à moi, je suppose. L’Afrique en premier, pendant 3 ans (Soldat, Aïe ! pas la tête !). C’est de là que me vient cette fascination pour la forêt vierge ; on la retrouve dans Le Chant des Psychomorphes. Dans le prochain roman aussi d’ailleurs. La jungle, c’est la pureté, l’homme y est un parasite. Ensuite retour chez les rosbifs, pays de mes origines, pendant 7 ans (mécano, musicien… etc). Séjour émaillé de multiples voyages (autour de la boule bleue) et de lectures des grands Anglais et Ricains. Puis retour chez les Froggies en ‘89 jusqu’à maintenant. Faut croire que je m’y plais ! Un boulot de m…. pendant 10 ans (commercial grand comptes chez IBM, entre autres), qui m’a conduit à l’hosto, et, enfin, décision de changer de vie. Elle est trop courte pour la gâcher. Voilà, les 4 ou 5 dernières années ont été consacrées à trouver des moyens de subsistance (brocante, musique, cours d’anglais, traductions…) qui me permettent d’écrire.

Actusf : Vous avez reçu le prix Merlin en 2005 pour votre nouvelle Hélas, Elias ! Comment avez-vous accueilli ce prix ? Que vous a-t-il apporté pour votre carrière finalement assez jeune ?
Laurent Whale : Le fait d’être nominé était déjà, en soi, une satisfaction. Quelque chose que je n’aurais jamais imaginé possible seulement quelques mois plus tôt. Alors l’avoir… Je crois que le cours de l’action SFR a dû sérieusement augmenter, ce soir-là ! Dans des proportions égales à ma note de téléphone ! Le Merlin m’a surtout apporté de faire circuler mon nom. « Laurent Whale ? ah ! oui : c’est le mec avec le chapeau qui a eu le prix… ». Sans rire, en dehors de ça, je pense que c’est bon pour l’égo (si, si, les auteurs en ont un !) et la confiance en soi. Maintenant, il est possible que cela ait influé sur la signature de mon deuxième roman, mais il faudrait poser la question à l’éditeur ! Sans blague, ça fait du bien, quand même.

Actusf : Le Chant des Psychomorphes est votre premier roman édité. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de l’écrire ? Comment s’est présentée l’occasion de le publier ?
Laurent Whale : Expliquer ses envies, en ce qui me concerne, c’est un peu comme essayer de sculpter du vent : vachement difficile. Dans le cas de ce roman, il s’agissait plutôt d’un besoin. Comme celui d’ouvrir une fenêtre dans une pièce trop longtemps enfumée. Je m’explique : je venais de finir un autre manuscrit (non publié à ce jour) dont la rédaction intense m’avait épuisé. Il me fallait une soupape, de l’action, quelque chose qui libèrerait toute cette énergie contenue. Peut-être la peur de devenir un auteur « torturé » a-t-elle présidé également à ce besoin/envie ? Allez savoir. Ecrire est maintenant jubilatoire pour moi. Il m’est essentiel de le faire dans la joie (bon, je ne saute pas en l’air !). Même si, paradoxalement, le point de départ de chaque phase d’écriture est souvent une colère, ou une contestation. En résumé : je suis un anarchiste à tendance béate… Pour la publication, je m’étais laissé dire que Rivière Blanche cherchait des manuscrits inédits dans le style du FNA. J’ai envoyé le mien, sans trop y croire, puis oublié la chose. Quelques mois plus tard, à l’occasion de la convention de Tilff (2005) j’ai rencontré P.J. Herault – un grand monsieur - déjà publié chez eux. C’est de sa bouche même que j’ai appris que mon manuscrit était accepté ! Ce fut une vraie bonne surprise, car j’ai vraiment un lien affectif avec cette collection qui me parait être dépositaire d’une certaine idée « populaire » de la SF. Pour un premier roman, j’étais comblé. En bref : si les élites ne m’ennuient pas, elles me laissent assez froid.

Actusf : Votre livre suit un schéma classique du space opera : un héros plongé dans l’aventure, un environnement technologique familier, des batailles spatiales, des planètes exotiques, des extra-terrestres variés… Pensez-vous qu'aujourd'hui on puisse encore innover dans ce genre ? Pensez-vous qu’il faille innover ?
Laurent Whale : Merci mon cher ! Cette description que vous faites du roman est exactement ce que j’avais envie/besoin d’écrire. Sans oublier deux mesures d’humour, histoire de lier le tout ! Bien sûr, il est toujours possible d’innover, il y a des tas de pistes à explorer, c’est qui fait le sel du genre. A plus ou moins longue échéance, si on n’innove pas, on meurt.

Actusf : Quelles sont vos influences ? Certains éléments du Chant des Psychomorphes ne sont pas sans rappeler Star Wars : un gouvernement coercitif, une alliance rebelle…
Laurent Whale : Ouh là !!! Star Wars, rien que ça ! Je n’avais pas fait le rapprochement, et, après réflexion, il me semble que le contexte politique est bien moins présent chez moi. J’avoue sans peine que les décors, ou les accessoires de SW m’ont marqué (surtout la première série), mais le scénario n’est que le reflet des peurs étasuniennes. Les ambiances et les interactions entre les personnages sont bien plus importantes à mes yeux. Le cinéma noir des années 30 à 50 me fascine beaucoup plus que les navets à gros budget dans le style Independance day. La poésie d’un Forbidden Planet, ou des nanars SF et polar des fifties, me sont éminemment plus chers que les gesticulations de moines à sabres lasers. Pardon aux fans de Lucas, mais je n’ai guère goûté le côté obscur de la farce des derniers épisodes ! Sur un plan littéraire, c’est la SF française qui a bercé mes premiers émois du genre. Evidemment, Van Vogt ou Sheckley sont aussi passés par là, mais dans l’ensemble j’ai plutôt été influencé par les français. Que ce soit Peter Randa (le père), J.P Garen, Bruss ou Hérault, même J. Guieu (si, si), ou plus tard J.P Andrevon, Houssin ou Pagel ; ils ont tous laissé leur empreinte sur mon univers. Cette manière d’aller droit au but, sans développement à rallonge, un certain naturel aussi. Je suis un instinctif.

Actusf : Votre roman surprend plus là où on ne l’attend pas forcément : le traitement des personnages, très maîtrisé, très naturel. Particulièrement celui du narrateur, dont les réactions s’éloignent souvent des clichés du genre. Est-ce pour vous essentiel de mettre en scène des personnages crédibles ? Qu'y avez-vous mis de vous-même ?
Laurent Whale : Encore merci ! Surprendre, c’est un méga compliment. Pour moi, la crédibilité des personnages prime sur les aspects technologiques ou politiques d’un récit. C’est une manière d’humaniser le propos. De sortir du schéma habituel du space op’. J’ai toujours préféré les histoires avec de vrais morceaux d’humanité dedans. J’ai envie de faire rêver, si je peux faire réfléchir en même temps, c’est royal, mais pas obligatoire. Et si je peux faire rire, ou sourire, c’est encore mieux. De moi ? Je crois qu’il y a une certaine désinvolture, un peu d’humour acidulé et un goût prononcé pour l’exotisme. Un zeste de cynisme aussi, mais pas trop, parce que ça fait mal, hein ! Sûrement aussi une méfiance viscérale à l’égard de toute forme de politique bien pensante. Zéar Shibbs (le héros – malgré lui) est comme un demi frère, celui qui ne vient qu’à Noël ou aux enterrements, et qui a toujours un tas d’histoires incroyables à raconter…

Actusf : Le choix de la narration au présent n’était pas le plus évident et est plutôt original pour ce type de récits. Pourquoi ce choix ?
Laurent Whale : Pour coller au personnage. Voir à travers ses yeux, vivre ses sentiments. Certains récits sont basés sur l’environnement, d’autres sur les personnages, pour ce roman j’avais choisi mon camp. Ce choix permet également de dynamiser l’action, même s’il rend parfois difficile la gestion des intrigues parallèles. Je voulais créer un ensemble où le lecteur se promène comme chez lui. Où il puisse s’approprier le personnage, devenir lui, vivre ses émotions. En fait, je pense que je vais sûrement encore utiliser ce mode de narration avec, sans doute, certaines variantes, mais toujours proche de l’humain – ou de l’extraterrestre !

Actusf : Vous avez participé à la 33ème convention nationale française de la SF. Que représente pour vous ce type d’événements ?
Laurent Whale : Bonne question. Il y a de tout dans les conventions – certains diraient « à boire et à manger », mais surtout à boire ! On y apprend plein de choses, (notamment au bar. Si, je vous assure) on s’y amuse, on passe du bon temps entre passionnés et on y fait de belles rencontres. On rit beaucoup aussi, ce qui ne gâche rien. Celle de Bellaing, cette année, n’a pas fait exception à la règle. Elle était la troisième à laquelle je participais. Il n’y a pas si longtemps (3 ans, pour être précis) j’ignorais tout du milieu SF français. C’est un hasard fabuleux qui m’a fait rencontrer Alain le Bussy, lequel s’est empressé de combler cette lacune ! Il m’a proposé d’aller à la convention de l’Isle sur la Sorgue (2004) et j’y ai signé mon premier contrat pour une nouvelle (Hélas Elias !). Je m’y suis plu, l’ambiance et les gens présents m’ont conquis. L’année suivante c’était Tilff, et la chance a voulu que ma nouvelle obtienne le prix Merlin. Là encore, l’ambiance était au rendez-vous et la chance aussi puisque c’est à cette occasion (comme je le disais plus haut) que j’ai appris que mon roman était signé chez Rivière Blanche. Cette année encore, la fête était des plus réussie, donc j’y serai l’année prochaine ! Et comme j’étais nominé au Rosny… pourquoi eût-il fallu que je m’en privasse ? Hmm ? Pourquoi ?

Actusf : Quel regard portez-vous sur la science-fiction actuelle, et notamment la science-fiction française ?
Laurent Whale : Je suis fan. Sans rire. Complètement. Pourtant la plupart des auteurs n’écrivent pas vraiment de space op’, mais j’adore. Depuis 1 an ou 2, je commence à lire des livres récents, de jeunes ou de moins jeunes. Il y a eu une période sombre - vers la fin du FNA – où pas mal de gens faisaient du « remplissage » mais tout ça est derrière nous maintenant. Il me semble que les esprits s’ouvrent formidablement, et des ovnis comme Catherine Dufour ou Roland C. Wagner, mais bien d’autres aussi, que je ne peux tous citer (Genefort, Lehman, Mauméjean, Di Rollo…) propulsent la SF vers de nouveaux horizons. Et là, je frétille de tous mes tentacules !

Actusf : Quels sont vos projets aujourd’hui ?
Laurent Whale : Me donner les moyens d’écrire plus. D’explorer de nouveaux univers, de progresser. Après Le Chant des Psychomorphes, un nouveau roman sort chez Eons (l’éditeur qui avait signé Hélas Elias !) Les pierres du rêve, déjà sorti mi-septembre en e.book et prévu en librairie début 2007. En parallèle, je travaille sur quelques nouvelles et un prochain roman qui sera un space op’ uchronique. Et puis, je tiens une chronique régulière sur le site web d’un libraire (www.omerveilles.com) habitué des conventions francophones. Voila, vous n’êtes pas encore débarrassés de moi !

Bibliographie :

Romans : Le Chant des Psychomorphes. Ed. Rivière Blanche (Black Coat Press) 2006.
Les pierres du rêve. Ed. Eons 2006 (E.book. Sortie librairie prévue 2007).

Nouvelles :
- Une tourte pour huit. In Géante Rouge N°1, 2006.
- La lettre au père Noël. In La machine venue d’ailleurs (Richard Bessiere) Ed. Eons, 2005.
- Hélas Elias ! In Les enfants du silence (Claude Ecken) Ed. Eons, 2004. Prix Merlin 2005.
- G’Tarosh ou l’amère sève. In Libres souvenirs, convention de Tilff 2005.
- L’étoile sur la lande. In Xuensé N° 53. En collaboration avec A. le Bussy. 2004
- L’étoile sur la lande. Ed. Demeyer (Belgique) En collaboration avec A. le Bussy. 2004

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