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Morgane la sirène

John William Waterhouse (Illustrateur de couverture), Charles Le Goffic ( Auteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/05/2001  -  livre
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Morgane la sirène

La Bibliothèque celtique poursuit sa réédition de l’œuvre considérable de Charles Le Goffic. La passion pour les lettres était affaire de famille puisque le père de Charles était imprimeur libraire. Charles décida de se tourner vers l’enseignement. A 23 ans le jeune agrégé lance avec Maurice Barrès Les Chroniques une revue littéraire. Dès lors, les parutions, poésies, romans, essais et pièces de théâtre confondus, s’enchaînent et le mènent en 1930 parmi les Immortels. Aux dires du Duc de Castries, cette intronisation lui fut fatale puisque fatigué par les contraintes liées à l’Habit vert il meurt en 1932, laissant ses livres témoigner à jamais de son indéfectible attachement à sa Bretagne natale.

La fille de la mer et la fille de la terre

Annette a été fort éprouvée par le krach de l’Union Nationale : la ruine de son père a entraîné la rupture de ses fiançailles, son père succombe finalement à une hémorragie cérébrale. Annette et sa mère une femme évanescente collectionneuse de bibelots trouvent refuge dans une petite maison de Rûn-Rouz. Elles y vivent en recluse avec Fante, leur nouvelle femme de chambre autochtone, Gertrude et Yvon deux anciens domestiques qui ont insisté pour les suivre dans leur disgrâce. Voilà que réapparaît Georges le cousin d’Annette, engagé depuis des années dans la marine. Il partage et transfigure le quotidien des deux femmes et sème le trouble dans le cœur d’Annette. Le jeune homme participe aux bonnes œuvres d’Annette et éprouve pour elle des sentiments plus que fraternels. Leurs scrupules respectifs empêchent de tendres aveux.

Mais un soir brumeux un bateau de pêche sur lequel Annette s’était embarquée ne revient pas. Georges reçoit un billet d’une mystérieuse Morgane qui dit avoir recueilli la jeune fille. Il se précipite sur l’île d’Aval où se dresse l’étrange château de la dite Morgane. Quels sont les desseins de cette dernière, obnubilée par les prédictions concernant le rétablissement d’une lignée arthurienne. Quel sort réserve-t-elle à ceux qui s’opposeraient à ces plans ?

Une histoire savoureuse servie par une langue précieuse

Le texte plus que centenaire semble s’être bonifié avec le temps. Des adjectifs devenus désuets ajoutent un vernis mystérieux à l’histoire ainsi Morgane a les yeux smaragdins (je vous renvoie à vos dictionnaires si vous voulez percer la signification de cet étrange vocable)

…Une observation minutieuse

Le texte retrace l’histoire familiale des deux jeunes amants sur plusieurs générations. La biographie de Morgane est elle aussi narrée en détail.

Mais l’étude des mœurs et la narration de destins, précieux témoignage sur la France à l’aube du XXème, siècle, ne se limite pas à l’aristocratie décadente « en fin de race ». Elle s’étend au peuple breton, des familles de pécheurs et sa croyance profonde en des figures légendaires. C’est un relevé quasi ethnologique qu’Annette consigne dans son journal.

…Et une construction ingénieuse

Il y a beaucoup d’échos dans l’histoire. Le plus ironique étant la longue réflexion qui ouvre le journal d’ Annette sur la légende de Morgane Ker-Is dont elle devra affronter l’incarnation. La résolution de Morgan rappelle l’obstination passionnée de Job, le grand-père d’Annette et Georges, qui a poursuivi le rêve d’un trésor. Le sacrifice consenti par Yseult qui malgré l’image persistante de son compagnon de jeux devenu marin accepte un mariage de raison préfigure celui d’Annette. Et les vœux secrets d’Yseult pour une « restauration de sa race » rentrent en résonance conflictuelle avec la détermination de Morgan à effectuer la restauration de la race celtique.
Trois folklores tissent la trame fantastique du récit : la prédiction de la sorcière sakalve que Georges a rencontrée lors de ses navigations, la légende populaires bretonne de la morg’hreg et la matière celtique que récapitule Morgane pour convaincre George. La prophétie sur la fille de la mer et de la terre fait peser une menace sur Annette quand elle se retrouve à la merci de sa possible rivale, la crainte instinctive de Fante à l’égard de Morgane entretient également cette tension. Le château et ses habitants (le harpeur gallois aveugle et mené par sa fille) confèrent un véritable aura mythique à Morgane qu’elle se plaît à consolider par une érudition ésotérique.

Immortalité du rêve celte

Ce roman à la structure savamment composée dénonce l’illusion de toute retour à l’âge d’or et proclame la primauté sur ces chimères des attachements simples et sincères. Mais la sceptique Annette est, lors de l’heureux dénouement, persuadée du fondement des légendes et elle conclut en affirmant la toute-puissance et la beauté du rêve celte. Nous lui laisserons le mot de la fin, qui pourrait faire figure de credo pour cette bibliothèque celtique.

« L’espérance survit et la foi. Cette cité du mystère, léthargique merveille de l’abîme, elle ne cesse point, elle ne cessera jamais de refleurir en nous. Le rêve celte est plus fort que la mort. »

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