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Time Opera

Robert Silverberg ( Auteur), Sparth (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 31/12/2003  -  livre
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Time Opera

Une bonne idée du Bélial que de regrouper en un seul volume deux romans plutôt anciens de Robert Silverberg. Tout d'abord parce que ni l'un ni l'autre ne justifiait réellement de sortie séparée, et bonne idée ensuite parce que, datés respectivement de 1967 et 1969, Les Déserteurs temporels et Les Temps parallèles n'avaient pas été réédités depuis le milieu des années 80.

S'il est clair que ni l'un ni l'autre de ces deux romans ne sont devenus des classiques, ils sont intéressants à plus d'un titre.

Les années 67 à 69 correspondent à une intense période de remise en question pour Robert Silverberg. Sur le plan professionnel, il est lassé de l'écriture à la chaîne qui lui avait jusqu'à présent assuré un revenu régulier, sinon convenable.

Dès lors, et sous l'impulsion d'auteurs et d'éditeurs comme Frederick Pohl ou Harlan Ellison, il se met à essayer. Nouveaux thèmes, nouvelles formes de narration ou expériences stylistiques. Peu à peu le mercenaire disparaît au profit de l'écrivain. La mutation va s'accélérer début 68, après le traumatisme engendré par l'incendie de sa maison. En même temps qu'une rupture avec son passé, le sinistre sera le point de départ d'une quête intérieure qui aboutira à quelques-uns des plus grands classiques de la SF contemporaine.

Les Déserteurs temporels et Les Temps parallèles, sont précisément à cheval sur cette brisure dans la carrière de Robert Silverberg. Et en tant que tels, ils constituent le parfait témoignage de cette lente maturation.

Ecrit en 1967, Les déserteurs temporels met en scène Joe Quellen, fonctionnaire de police septième classe dans un monde surpeuplé et strictement urbain, qui se voit chargé d'une enquête épineuse. Depuis quatre ans, des prolétaires au bout du rouleau désertent le monde ultra normé du XXVème siècle, pour sauter dans le passé, laissant femmes et enfants à leur morne quotidien. Cela ne peut plus durer. Du moins c'est ainsi qu'en ont décidé ainsi les membres du Gouvernement Suprême. Et c'est à Joe Quellen, que revient la mission d'endiguer l'hémorragie.

Puisque les noms et années de départ de tous les sauteurs sont consignés dans les archives de leur siècle d'arrivée, il devrait suffire de suivre l'un des déserteurs dont le saut n'a pas encore eu lieu pour remonter la filière. Mais comment donner un coup d'arrêt à un phénomène, qui est déjà écrit dans l'histoire ? Pire, les derniers sauteurs ont été signalés au départ de l'année suivante, que se passera-t-il alors, si la filière est démantelée avant ? Peut-on agir dans le présent sans risque de modifier le passé ? Et si le passé est modifié, qu'en sera-t-il, en retour, du présent ?

Assez curieusement, les réponses se retrouvent au cœur de l'intrigue des Temps parallèles, preuve finalement de la pertinence du choix éditorial du Bélial.

La confrérie des guides du temps

C'est cette fois au départ d'un futur nettement moins claustrophobe que Judson Daniel Elliott, s'embarque pour son périple dans le temps. Etudiant en histoire désœuvré, spécialiste de Byzance, il est recruté par le Service Temporel, afin de servir de guide à des touristes fortunés, désireux de visiter le passé.

En rejoignant la confrérie des guides du temps, il fait la connaissance de personnages singuliers, iconoclastes (c'est le cas de le dire) ou pathétiques, et tous plus ou moins contrevenants aux lois de la préservation du passé. En principes simples, ces réglementations s'embourbent dans un marécage de paradoxes, encore aggravées par la commercialisation des grands événements historiques, où les itérations des guides s'accumulent parfois dangereusement, remplissant le même instant de l'histoire de plusieurs versions d'eux-mêmes, et peuplant le passé d'hommes du futur venus assister à la crucifixion de Jésus, ou à la destruction de Ste Sophie.

Lorsque le doyen des guides, Metaxas, affirme à Judson qu'il n'a rien connu du passé tant qu'il n'a pas couché avec l'une de ses ancêtres, le jeune homme est encore loin de s'imaginer jusqu'où cette transgression des règles élémentaires va pouvoir l'entraîner.

Deux courts romans. Deux approches du voyage dans le temps où Silverberg se plaît à jouer avec les paradoxes. Bizarrement, le plus original dans l'univers qu'il aborde est Les Déserteurs temporels. Bien que plus ancien, plus maladroit dans sa construction - avec ses incessants zappings en plein chapitre -, et bien que plus classique dans sa facture, il effleure d'autres thèmes, qui se recoupent avec d'autres textes de Silverberg. Le monde surpeuplé n'est pas sans évoquer celui qui est au centre de Traverser la ville une nouvelle de 1973. Quant aux applications de la technologie du voyage dans le temps envisagées par le Gouvernement Suprême, elles sont le point de départ des Déportés du Cambrien dont la première mouture date, elle aussi, de 67.

Subversif

Toutefois, Les Temps parallèles, reste bien moins naïf dans son jeu sur les paradoxes temporels. On y sent un vrai plaisir à semer la confusion dans l'esprit du lecteur. Derrière un traitement très Golden Age, parfois même à la limite du ringard, Silverberg s'amuse follement avec son concept. Tordre ainsi les codes du roman de SF classique pour y instiller sexe, transgression et ironie, correspond précisément au type de virage abordé par Robert Silverberg dès le milieu des années 60. S'il s'en tire bien moins brillamment qu'avec certains de ses autres textes, c'est peut-être qu'il a trop bien réussi son coup. Forçant le trait lorsqu'il dépeint un futur outrageusement grotesque, il ne met pas assez d'ironie dans son traitement pour que le lecteur d'aujourd'hui puisse s'arracher au premier degré de l'intrigue.

Pourtant que l'on ne s'y trompe pas, tout comme Les Déserteurs temporels, bien plus même, Les Temps parallèles reste formidablement subversif en regard des standards de l'époque, puisque sa trame entière se déroule autour de la transgression du tabou ultime : l'inceste.

Instantané d'un génie littéraire en pleine éclosion, ce Time Opera est un authentique plaisir pour tout amateur du genre et est rigoureusement indispensable à tout fan de Robert Silverberg qui se respecte.

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