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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2014

Gabriel Katz, La Maîtresse de Guerre, Scrinéo

Gabriel Katz, remarqué et salué l’année dernière pour sa trilogie Le Puits des Mémoires, nous revient avec un roman one shot situé dans le même univers, mais cette fois côté Sud, dans un sultanat d’Azman évoquant fortement notre Moyen-Orient (magie en plus), et surtout en s’attaquant au défi de l’héroïsme au féminin avec le personnage de Kaelyn. Réduite en esclavage dès le premier jour de la guerre de « libération » qui l’a vu débarquer sur ces terres, la fille d’un maître d’armes du Nordland va renverser la situation en devenant l’apprentie de son « propriétaire », le Maître de Guerre, et bientôt bouleverser l’ordre des choses.
Si on retrouve les grandes qualités de Katz dans la conduite du récit – l’enchaînement des chapitres, jouant sur la multiplication des perspectives, « enchaîne » avec virtuosité le lecteur dans son flux de rebondissements ; les scènes sont fortes, visuelles, cinématographiques : les trois premiers chapitres sont remarquables de ce point de vue –, le pari cependant n’est que partiellement gagné.
Déjà dans Le Puits des mémoires, la jubilation de lecture demandait qu’on laisse un peu de côté son esprit critique, son scepticisme devant certaines situations ou retournements de situation : après tout, les bons feuilletons ne sont pas forcément connus pour leur vraisemblance. Mais là, j’avoue avoir eu du mal à comprendre pourquoi plusieurs personnages, et d’abord Hadrian le Maître de Guerre, mais encore la vieille Larinia ou la belle Anamen, se retrouvent à mettre en péril une situation confortable et souvent durement gagnée pour venir en aide à cette esclave issue du peuple ennemie qu’est Kaelyn, toute séduisante qu’elle soit. Même si le côté « Angélique chez le sultan 2.0 » est assez jouissif, mon vœu du mois dernier d’une héroïne au physique ne serait-ce que neutre n’est, en effet, pas franchement exaucé : la guerrière est fine et superbe (ce qui là encore me semble assez peu vraisemblable). Peut-être Hadrian veut-il alors seulement coucher avec elle, ce qui serait compréhensible mais un peu décevant… Vous comprendrez que les motivations et la personnalité de cet exilé mutique mais charismatique me sont demeurées largement opaques. Quant à Kaelyn, par moment attachante, entre force et faiblesse, j’ai trouvé sa vulnérabilité – son besoin des hommes, tout bêtement – un peu trop accentués.
A lire (à dévorer) comme on regarde un bon film de cape et d’épée, en oubliant, lectrices, toute attente féministe.

Michel Honaker, Le Val de la morte embrassée, Flammarion

Michel Honaker, romancier réputé à la riche carrière, qui a illustré, pour les jeunes et les adultes, toutes les facettes des littératures de genre et notamment de l’imaginaire, nous propose une nouvelle variation sur le personnel des contes de fées, un réservoir d’histoires merveilleuses qui décidément inspirent nos auteurs ces derniers temps. L’idée de départ est originale et excellente : elle consiste à s’intéresser à ceux qu’on a plus l’habitude de voir parodiés ou noircis, ces « Princes charmants » qu’on imagine trop souvent falots ou ridicules. Honaker choisit de leur rendre leur charme (leur puissance, leur magie : le pouvoir de rendre la vie par amour !), tout en imaginant leur devenir dans le monde contemporain.

Jubella, jeune journaliste farouche et déterminée, voit ainsi une chance de lancer sa carrière quand elle est invitée par le dernier d’entre eux, Lord Denholm, qui fut un homme d’affaires admiré avant de se retirer de la vie publique dans un château qui menace ruine. Il a le temps de lui confier le secret de sa nature et de commencer à la convaincre en lui faisant contempler un tableau envoûtant (le Turner qui donne son titre au roman), avant de mourir mystérieusement au cours de la même nuit.  On suit alors l’enquête de Jubella, parallèle à celle de l’inspecteur Morris de Scotland Yard, et la course-poursuite qui l’oppose, dans toute l’Europe, à ceux qui veulent la faire taire. Mêlant ainsi policier et fantastique, le roman a seulement le tort d’être un peu bref à mon goût, si bien que certaines pistes passionnantes, comme ce que peuvent ressentir les « éveillées », pas forcément consentantes, sont malheureusement trop peu développées.

Peter F. Hamilton, La grande route du Nord, Bragelonne
J’adore Peter Hamilton, et en particulier son cycle de la fin des années 90, L’Aube de la Nuit. La découverte de planètes lointaines et d’états nouveaux du monde font du space opera mon genre SF de prédilection, et parmi les auteurs contemporains qui ont permis le renouveau de ces romans longtemps surannés, Hamilton fait figure de maître incontesté. Grand plaisir donc que cette nouvelle ouverture de cycle, qui a pour seule limite de ne pas nous en dévoiler assez – l’énigme principale, savamment construite et entretenue à coup de petites révélations, n’étant autre que l’identité et les objectifs réels de l’héroïne, Angela Tramelo, qui sort de prison, après vingt ans de réclusion, à la faveur d’un nouveau crime qui la disculpe. Le monstre extra-terrestre qu’elle accusait et auquel personne ne croyait semble bel et bien exister, il viendrait de Saint Libra, une des plus importantes exoplanètes reliées par portails à la Terre – et cela va avoir des répercussions politiques et diplomatiques majeures.

Saint Libra est en effet le lieu de provenance du biocarburant qui assure l’approvisionnement énergétique et l’équilibre économique du monde ; c’est aussi la planète des North, la descendance clonée, à différents degrés de distance et de défectuosité, de trois premiers rejetons nommés A, B et C (Augustine, Bartram et Constantine), et qui… C’est du Peter Hamilton, c’est incroyablement foisonnant, comme peut l’être un monde futur (2143) dont toutes les dimensions sont peu ou prou prises en compte. De la vie domestique de l’inspecteur Hurst, qui supervise l’enquête sur le meurtre dans une Newcastle prise sous les neiges, au survol des « essaims Zanth », une forme de vie extraterrestre incompréhensible et ultrapuissante qui s’attaque aux planètes colonisées, en passant par le développement d’un habitat autour de Jupiter ou la vie dissolue des hyper-riches de New Monaco : waouh !

Anne Besson
 

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