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Un mois de lecture, Anne Besson - Septembre 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson - Septembre 2014

Le premier ouvrage sur Metal et Fantasy (Frantz-E. Petiteau, éditions Camion Blanc)
C’est la rentrée du « mois de lecture », et je commence par un ouvrage critique qui est une sorte d’ovni – ça tombe bien, on aime ce genre d’objets… Metal et Fantasy, de l’amateur érudit Frantz-E. Petiteau (éditions Camion Blanc), est à ma connaissance le premier ouvrage abordant ainsi les rapports, qu’on sait étroits et fructueux, entre le heavy metal, genre musical illustré en leurs temps par Black Sabbath ou Judas Priest, aujourd’hui très vivant et diversifié, et l’inspiration qu’il puise dans l’imagerie et l’imaginaire de la fantasy : métal, dragon, barbares, magie, et au-delà, une certaine conception du rapport au monde… Le livre est une somme de quelque 750 pages – et encore n’est-ce que le premier volume, consacré à la sword and sorcery (ou heroic fantasy), et donc en particulier aux influences de Howard ou Moorcock, avant un second volume qu’on nous annonce consacré à Tolkien (chouette !). 
Je dois avouer ma grande méconnaissance du domaine, mais on ne peut qu’être frappé par la masse d’informations réunies et la pertinence de la démonstration d’ensemble : un lien qu’on devinait, complétant la dimension multimédiatique inhérente au genre « fantasy » par son versant musical, s’avère ici multiplement illustré. Les nombreux artworks reproduits constituent un des points forts de l’ouvrage, d’ailleurs fort bien illustré par Jean-Pascal Fournier, auteur de fameuses pochettes ; s’y ajoutent des analyses de lyrics et d’albums complets, ainsi que de nombreux entretiens avec les acteurs du milieu, en France et à l’étranger. Le livre est loin de n’avoir que des qualités ; on aurait pu se passer de la longue introduction qui résume à la hache l’histoire de la fantasy et de ses différents vecteurs, et plus généralement il est manifeste que l’auteur a peiné à organiser son énorme documentation, ce qui semble bien naturel. Ainsi le plan, bizarroïde (classement parfois par groupe, parfois par source d’inspiration, avec des focus, par exemple sur le genre « doom », etc.), laisse-t-il passer pas mal de répétitions. Reste qu’on a là, sur un beau sujet, un outil tout à fait intéressant et utile, qui mérite de figurer dans toute bibliothèque de passionné(e).
 
 
Subliminale (La Balance brisée, t. 1)  de Lise Syven (Castelmore) : Dans la famille Harry Potter, je demande…
Elie Salenz !, l’héroïne de « Subliminale » (le joli titre… incroyable que personne n’y ait pensé avant), premier tome d’une nouvelle série française pour jeunes lecteurs, La Balance brisée. « Dans la famille Harry Potter » car, c’est vrai, on est en terrain familier : les parents d’Elie et Karl viennent de mourir dans ce qui ressemble à un accident de voiture, et voici que l’adolescente découvre un pan caché de la réalité qui l’entoure, l’existence de créatures et de castes de magiciens auxquelles appartiennent les membres de sa famille, ainsi que ses propres pouvoirs dans le « subliminal » (manipulation, persuasion…). Des puissances anciennes et maudites sont de retour, et rien n’est clair du côté de l’Ordre Magistral. Elie, son frère, sa tante Mag et sa copine Fatou partent sur la piste des secrets du passé. 
Sur cette trame qui peut sembler un peu convenue – disons familière, car elle nous est chère, non ? – Lise Syven brode une variation tout à fait délectable, qui renouvelle le plaisir de lecture. Deux points en particulier assurent ce sentiment de découverte : l’humour qui ressort du point de vue d’Elie, narratrice en première personne, convaincante dans sa peine comme dans ses curiosités ; et surtout l’ancrage dans un contexte français contemporain. Là où Harry nous faisait découvrir le pensionnat anglais, Elie nous raconte son collège, les tensions et les occupations d’une bande de filles et de garçons, multiculturelle et pas niaise du tout : c’est à mes yeux peut-être le meilleur de l’ouvrage que l’entrelacement réussi entre ce réalisme quotidien, qui assurera l’identification des lecteurs, et les développements surnaturels qui parviennent à y trouver place sans fausse note.    
 
 
Le Monde des Sinks (Praërie I) de Jean-Luc Marcastel, Scrinéo : Pas tendre, la vie des petites bêtes
Jean-Luc Marcastel, le sympathique auteur des séries jeunesse Louis Le Galoup ou La Geste d’Alban, nous revient avec une variation sur le monde miniaturisé – entre Arthur et les Minimoys et Tobie Lolness si l’on veut, mais dans un esprit très différent, dont la présentation vidéo du livre (visible ici) donne une idée avec ses dessins et objets (casque, arme…), tous œuvres du même Marcastel, créateur aux multiples talents. Le « monde des Sinks » est une jungle sous nos pieds, et les insectes deviennent, à l’échelle minuscule où se déroule l’aventure, de terrifiants prédateurs – le rocher se fait montagne, la mare mer.
Reprenons : Vincent Marty, soldat d’élite hyper entraîné, va tenter de comprendre ce qui est arrivé au village et au laboratoire de ses parents, brutalement disparus de la carte 20 ans plus tôt. Il se fait donc miniaturiser, grâce à une technologie partiellement récupérée sur place, et découvre peu après que, accélération moléculaire oblige, de multiples générations d’êtres humains se sont déjà succédé dans le vallon-monde qui accueille désormais une civilisation ancienne et primitive, les Sinks (prononcez « cinq », comme les doigts de la main). Commence alors une course contre la montre pour trouver le labo tout en échappant aux dangers incessants, insectes omniprésents, a fortiori autres animaux, et encore certains Sinks, attachés à leurs traditions et à leurs privilèges, bien décidés à éliminer le groupe de héros. C’est dire que le roman est très rythmé, même si cela passe par le retour de scènes de combat finalement pas si variées. Ces confrontations avec les adversaires insectoïdes atteignent vraiment leur but, nous faire regarder autrement ces bestioles (brrr…). Elles possèdent en outre des qualités télé/cinégéniques évidentes (l’attaque de l’hélicoptère par la libellule !), mais aussi, ne le cachons pas, un côté gore assez prononcé, qui pose parfois la question du public visé. Les mœurs très barbares et la psychologie un peu sommaire des personnages Sinks peuvent également gêner. Il est vrai que la découverte de leur civilisation est écourtée par la fuite nécessaire, tandis qu’on manque encore d’informations sur les « filles volmorts », contre-société de femmes-guêpes à fonctionnement matriarcal. Dans le prochain volume sans doute, car on peut faire confiance à Marcastel sur le world building, comme en témoignent ici les annexes illustrées.
 
 
Un éclat de givre d’Estelle Faye, Les Moutons électriques : Après la fin, douceur et nostalgie
Grand espoir de la fantasy française depuis son superbe Porcelaine en 2013, Estelle Faye propose avec Un éclat de givre un court roman one shot, dans un genre paradoxal, le « post-apocalyptique joyeux », selon les mots de l’auteur ! Comme le laisse deviner la superbe couverture d’Aurélien Police, on est transportés dans un Paris futur pas si lointain que ça, seulement beaucoup plus délabré et beaucoup plus chaud : sale, métissé, envahi par des plantes proliférantes qui le rendent soudain exotique, et contribuent à la moiteur dont il me semble qu’elle résume l’atmosphère du roman, autrement plus capiteuse que le titre, très frais, ne le laisserait supposer. Le beau héros, Chet, est un travesti charmeur qui se voudrait sans attaches ; nous on s’attache à ses pas, mi-errance enivrée, mi-enquête désinvolte, sur fond des plus grandes voix féminines du jazz. Les codes sont ceux d’un certain roman noir où le privé, en imper fatigué, ne cesse de prendre des coups mais s’accroche à une mission qu’il aurait pourtant bien refusée… Sans en dire davantage sur celle-ci, notons qu’elle soulève (non : plutôt, qu’elle effleure) de belles questions, bien d’aujourd’hui, sur le vivre-ensemble urbain.
Si le contexte post-apocalyptique ne semble pas tout à fait abouti, simplement parce que l’objectif du texte n’est en rien de nous raconter l’histoire de ce monde, mais juste quelques jours dans la vie de ce type, la sensibilité d’Estelle Faye éclaire chaque page. Choix du masque, amour des freaks (plusieurs très beaux seconds rôles), goût des arts, notamment scéniques (ici le tour de chant, entre cabaret et piano-jazz) forment comme la basse continue sur laquelle l’intrigue « principale », en réalité presque secondaire par moments, figurerait l’envolée mélodique. C’est un roman qui se dévore d’un trait : il n’est pas excessivement ambitieux, mais il est délicieux, à la fois doux et infiniment nostalgique. 
 
 
La Voix du sang (Blood Song t. 1) d’Anthony Ryan (Bragelonne) : du sang neuf en fantasy épique
Une vraie bonne surprise que ce premier roman de l’anglais Anthony Ryan, lecture conseillée à tous les amateurs de bonne fantasy classique, avec monde secondaire fouillé et quête initiatique à rebondissement. Attention, toutefois, l’effet met un peu de temps à se produire, et ceux qui n’auraient pas dépassé les cent premières pages pourraient bondir en m’entendant parler de « sang neuf ». En effet, ça commence méchamment comme du Patrick Rothfuss (entre autres…) : le héros devenu une légende à la réputation sanglante, Vaelin Al Sorna dit « le Tueur d’Espoir », combattant d’élite, homme-lige du roi par qui la guerre est arrivée, raconte à un chroniqueur, pas acquis d’avance, l’histoire telle que lui l’a vécue. Et ça continue comme moult autres romans, par un récit de formation : l’enfance de Vaelin, abandonné par son père, tristement célèbre Seigneur de Guerre, à la porte de la Loge du Sixième Ordre, soldats de la foi aux apprentissages plutôt rudes. Mais en fait c’est très loin de s’arrêter là ! Le roman s’avère incroyablement riche, ses 650 pages réussissent à contenir davantage que plusieurs tomes d’autres séries : après les Épreuves de la scolarité, déjà jalonnées de révélations, ce sont les premières missions de Vaelin et ses amis, sa découverte de sa véritable nature (le « chant du sang » du titre), puis la guerre qui approche dont on sait déjà qu’elle sera perdue, puis la fin du voyage du héros-prisonnier et ses nouveaux rebondissements… Chaque étape voit s’élargir les perspectives du personnage, qui comprend de mieux en mieux qui il est et ce qui se passe autour de lui, et nos propres perspectives de lecture, avec la découverte de nouveaux espaces et de nouveaux personnages qui toujours enrichissent le monde fictionnel. Ryan maîtrise admirablement la façon dont sont distillées les informations, revisitant la façon dont il nous avait d’abord présenté tel épisode passé, maintenant constamment l’intérêt du déroulement de son intrigue. 
La seule chose qui fasse défaut de mon point de vue, c’est un peu d’intensité émotionnelle : certes on s’attache à Vaelin – il est tellement parfait, alors qu’il est censé ne pas l’être –, mais il l’est justement tellement qu’on n’est guère touché par ce qui lui arrive à titre personnel, que ce soit par sa découverte de l’amour (assez peu problématique) ou ses questionnements existentiels (il s’en veut d’être un tueur : mais non Vaelin, t’es trop sympa !). Les relations amicales sont à mon goût les mieux rendues, ce qui fait des dernières pages, très inattendues, le moment le plus poignant de l’ensemble.

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