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Un mois de lecture, Anne Besson - Octobre 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson - Octobre 2014

Waldgänger de Jeff BalekWaldgänger de Jeff Balek, Bragelonne « Thriller » : sombre super-héros

Un vétéran, mercenaire, revient atrocement défiguré, brulé jusqu’à l’os par une arme jamais vu ; le retour au foyer, sinistre tant le regard qu’il porte sur sa femme et sa fille est d’un pessimisme radical, se complique d’étranges phénomènes, qui pourraient être une malédiction, ou de nouveaux pouvoirs. Le roman de Jeff Balek, dont je découvre ici le quartier imaginaire de Yumington, est d’abord rugueux, voire déplaisant : les diatribes contre le monde-caniveau et la vie poubelle me lassent assez vite, en général. Mais rapidement, quand on rencontre Ahasvérus le Juif Errant, quand on comprend que c’est l’amulette (la « Clé ») qui fait parler la colère chez Blake, le héros, le réprouvé (« Waldgänger ») du titre, il faut bien ajuster le tir : en fait, foin de réalisme, on est dans un comic ! Une série très noire à la Frank Miller, dans la nuit éclaboussée de sang de la Dark Urban, où les jolies journalistes tombent des toits, où les maires ourdissent des plans diaboliques et où l’être humain, si vil qu’il soit, a droit au rachat dans le sacrifice. Et notre héros, car c’en est un, le misanthrope faisant tout pour sauver son quartier pourri, se révèle un avatar attachant de cette grande famille des « super » qui pourraient mal tourner, précocement usés par leur (trop) grande responsabilité.

La Voie des oracles. I : Thya, d’Estelle Faye, Scrinéo : la nouvelle prophétesse

Décidément, les romans d’Estelle Faye se suivent (en rangs serrés) mais ne se ressemblent pas ! – si l’on excepte la couverture, signée Aurélien Police comme celle d’Un éclat de Givre (Les Moutons Electriques) et encore superbement réussie, nous donnant un aperçu suggestif des identités multiples qui se superposent chez l’héroïne, Thya, mèches brunes, perruque rousse, feuilles et bois des créatures sylvestres dont elle partage les anciens pouvoirs. Le parallèle s’arrête là : pour la première fois Estelle Faye se donne le temps de la trilogie, et si elle retrouve pour héroïne une jeune fille, comme dans La dernière lame (Le Pré aux Clercs), c’est cette fois une sympathique prophétesse, jeune patricienne en fuite, avec un ancien soldat et un séducteur ambigu, dans un monde, la Gaule du Ve siècle, qui condamne ses pouvoirs et voit l’Empire romain agoniser sous les attaques des barbares.

Très bien maîtrisé, le roman est empreint d’un classicisme, nouveau chez la romancière, qui apparait presque un peu trop sage : le voyage, en quête de soi et de la vérité sur le passé, manque ainsi parfois de tension (les motivations du méchant frère et de ses sbires semblant notamment assez faibles). Mes moments préférés dans ce contexte sont alors les apparitions, sur la route des héros, des dieux celtes et des créatures antiques, faune, harpie ou ondine, bizarroïdes et presque impuissants, à la fois déplacés et familiers, à la manière de ceux que Gaiman invoque dans American Gods. L’intériorité du personnage, qui n’est d’abord donnée à saisir que de l’extérieur, par ses actions et par les sentiments qu’elle fait naitre chez autrui, évoquant trop un vide rempli par les visions oraculaires, se dévoile peu à peu sur la fin de ce premier tome, et augure d’une mutation qui pourrait être passionnante. J’aimerais que cette suite annoncée soit aussi l’occasion d’aller plus loin aussi dans la découverte du contexte historique d’arrière-plan, tout à fait fascinant mais peu lisible au-delà de ses grandes lignes (une carte de la Gaule m’aurait bien aidée…).

Le goût des cendres de Maëlig Duval, éditions du Riez : le goût amer de l’inachevé

Le parcours d’Aldire Quarataïs, petite provinciale débrouillarde et butée, qui en vient à côtoyer, mi-muse, mi-espionne, les milieux politiques et culturels des grandes villes du royaume de Ravagne, et à être le témoin des crises qui le déchirent, a retenu mon intérêt pendant plusieurs centaines de pages. Cela a malheureusement rendue plus forte encore la déception ensuite éprouvée, de plus en plus nettement, au fil de la deuxième partie. En effet, la curiosité est d’abord piquée : un début abruptement in medias res nous oblige, accroché.e.s au point de vue de l’héroïne (qui en outre à ce stade est affligée d’un patois bien difficile à suivre !), à tenter de reconstituer les informations nécessaires à une bonne intelligence de l’intrigue. Ensuite, de vraies qualités d’écriture engagent à poursuivre : Maëlig Duval a l’art du petit détail vrai, elle sait rendre la rumeur d’une ville ou d’un salon, les banalités qui s’échangent en arrière-plan et viennent donner de la profondeur au premier plan ; en bon auteur de nouvelles, elle écrit aussi et surtout des scènes magnifiques : un concert, une émeute, une nuit d’amour… Le problème, c’est que les petits détails ne s’agrègent pas pour « faire monde », et que les scènes non plus n’en viennent pas à faire une intrigue, quelque chose qui ait, tout bêtement, un début, un milieu et une fin. L’héroïne navigue à vue, et le lecteur avec, mais aussi le roman, finit-on par comprendre quand une, puis une deuxième, puis une troisième ligne d’intrigue possibles disparaissent dans les limbes tandis que d’autres surgissent que rien ne laissait attendre ; quand une, puis deux, puis trois histoires d’amour esquissées se dissolvent au profit d’une autre encore, guère plus convaincante que les précédentes, en rien plus nécessaire à une progression ou à une cohérence d’ensemble.  Et pour finir, pas une seule des promesses de la narration n’est tenue – le pouvoir de la perle, les Pénitences, le mystérieux voyage des Pérégrins, la survie, peut-être, des Déesses… Le parcours de l’héroïne tourne court et s’arrête nulle part. Sans doute est-ce cela, « le goût des cendres » annoncé par le titre, mais cela reste un bien singulier projet romanesque, en fantasy, que de produire cet effet-là.

Anne Besson
 

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