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Interview 2015 : Jacques Barbéri pour Mémoire de sable
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Interview 2015 : Jacques Barbéri pour Mémoire de sable

ActuSF : Première question, parlez-nous un peu d’Emmanuel Jouanne, que certains ont peut être un peu oublié aujourd’hui. Quel auteur était-il (on se souvient de son fabuleux Nuage) ? Et quels liens aviez-vous avec lui ?
 
Jacques Barbéri : Emmanuel Jouanne a été une figure importante du milieu de la SF des années 80. Avec Serge Brussolo, il a introduit dans la collection Présence du Futur chez Denoël une science fiction iconoclaste et transgenre, sans chercher à copier forcément les grands auteurs américains, ni faire de distinction entre une littérature dite “grande” et une littérature dite “de genre”, voire “populaire”. On peut lui trouver ainsi des influences du côté de Boris Vian ou Lewis Carroll, mais également du côté de Souvestre & Allain et de leur Fantômas dont il était un grand aficionado. Il a également bousculé le milieu de l’édition et du fandom de façon énergique et salutaire, encourageant de jeunes auteurs de l’époque (dont moi) à persévérer dans une voie non conventionnelle et parfois difficile à assumer. Il est par ailleurs une figure de proue de l’aventure “Limite” qui, avec le recul, représente un moment important de la SF en France dans les années 80. De sérieux problèmes d’addiction, mais pas que (cf. la postface de Richard Comballot), l’ont conduit à se retirer du milieu et a cesser progressivement d’écrire, laissant inachevé ce qui aurait dû être son magnum opus : le cycle de Terre. Emmanuel est enfin et surtout un ami et je suis heureux d’avoir contribué à inscrire un nouveau livre à sa bibliographie.
 
 ActuSF : Quel est l’histoire de ce roman ?
 
Jacques Barbéri : Sans résumer l’histoire — ce serait un peu dur pour ceux qui liraient l’interview avant le roman — on peut y trouver une critique du comportement humain et de la gestion désastreuse de son devenir et de la planète. Avec l’idée que l’avenir de l’homme se situerait plutôt dans la symbiose, la fusion des espèces, animales ou artificielles, macro ou nano. Dans l’idée d’acceptation plus que de conflit, de compréhension plus que de croyance. Que le tout est plus que la somme des parties, ce qui me fait penser qu’il y a aussi dans ce roman un peu de l’esprit des Plus qu’Humains de l’immense Théodore Sturgeon qu’il conviendrait un jour de réhabiliter en publiant par exemple l’intégrale de ses nouvelles.
 
ActuSF : Comment est née l’idée de reprendre et de finir Mémoire de Sable ?
 
Jacques Barbéri : L’idée vient de Richard Comballot. Ce dernier devait diriger à la fin des années 90 une nouvelle collection de SF pour un petit éditeur parisien. Emmanuel Jouanne lui avait envoyé un manuscrit inachevé en vue de le terminer si ce roman convenait à ladite collection.  Mais cette dernière ne vit jamais le jour et Emmanuel ne finit jamais son roman, bien qu’il affirma à Richard Comballot lui avoir bien plus tard envoyé une version finalisée (qui aurait donc été perdue par la poste). Richard me fit lire cette ébauche il y a quelques temps en me demandant s’il n’y avait pas moyen de rédiger une conclusion pour que ce texte devienne publiable. Il y avait déjà un matériel important, mais aucune véritable articulation permettant de savoir où l’auteur voulait en venir.  Essayer de boucler le roman en une vingtaine ou une trentaine de pages était donc tout bonnement impossible, ce qui finalement tombait bien car Mathias Echeney à qui Comballot avait également soumis l’idée, n’était intéressé par le projet qu’à la condition que le résultat final fut un véritable roman de collaboration et pas simplement le roman d’un auteur x terminé par un auteur y. Nous étions finalement sur la même longueur d’onde, il ne me restait plus qu’à me mettre au boulot.
 
 ActuSF : Est-ce que reprendre le texte d’Emmanuel Jouanne a été facile ? Comment avez-vous procédé ?
 
Jacques Barbéri : Je pensais au départ que ça allait être relativement facile. D’abord parce que j’avais déjà travaillé plusieurs fois avec Emmanuel : on a écrit et publié une demi douzaine de nouvelles et un roman ensemble. Ensuite parce que j’avais lu l’intégrale de ses écrits et connaissais donc bien son univers en solo. Mais évidemment il n’en fut rien. S’accaparer des personnages déjà existants, créés par un autre auteur, n’est pas si évident que ça. Ils ne se laissent pas facilement amadouer. J’ai finalement investi le personnage d’Arec en adoptant le principe du buddy movie, en lui collant un “partenaire” emmerdeur et collant, qui finit par devenir son interlocuteur privilégié. J’ai imaginé une bestiole improbable, comme je les aime, qui m’a permis de faire dire à Arec tout ce que je ne connaissais pas de lui.  J’ai beaucoup moins manipulé le personnage de Kô qui reste donc plus la “création” de Jouanne que la mienne. Au final, on pourrait presque dire qu’Arec est devenu mon avatar et Kô celui d’Emmanuel. La structure globale a également été très difficile à boucler. Emmanuel avait lancé plusieurs pistes (Les autres, la Girouette, la Tête, Lia, Isis) mais elles ne se recoupaient quasiment jamais et se concluaient encore moins. Elles étaient toutes intéressantes et je voulais garder la plus grosse partie de son travail. Ce qui s’est vite avéré de la “haute-couture”. Au bout de deux mois de boulot, j’ai failli craquer car j’étais toujours sur la restructuration de la partie déjà écrite. Puis le déclic s’est produit. Le roman était soudain “nôtre”, la collaboration virtuelle devenait effective, et je l’ai alors rapidement terminé. 
 
 
 ActuSF : Le pitch rappelle certains romans comme Le Travail du Furet. Dans quelle mouvance s’inscrit-il ?
 
Jacques Barbéri : Il y a effectivement un coté thriller, qui existait déjà dans le manuscrit d’Emmanuel. Ce qui n’est d’ailleurs pas dans ses habitudes. C’est peut-être une des raisons de ses difficultés à le terminer. La structure habituelle de ses récits fait plutôt appel à l’errance ou la quête. Il libère un, deux ou trois personnages dans la nature et décrit leurs aventures et mésaventures, émaillées d’une séries de rencontres avec des personnages improbables, sans chercher à titiller la corde du suspense. Un peu comme Lewis Carroll dans Alice au Pays des merveilles et De l’autre côté du miroir ou Robert Sheckley dans La Dimension des miracles.  En ce qui me concerne, je flirte souvent avec le thriller et j’aime bien jouer du suspense. Ce qui tombait donc très bien… 
 
ActuSF : Pourriez-vous nous présenter le personnage d’Arec ?
 
Jacques Barbéri :  Il s’agit au départ d’un personnage sinon ordinaire du moins relativement conservateur. Son boulot consiste à effacer des humains contaminés, mais c’est, soit disant, pour la bonne cause et il n’a pas trop d’état d’âme. Mais il aime aussi ne pas se conformer au règlement, ne pas suivre scrupuleusement les consignes et les ordres des dirigeants du bunker. Il a donc en lui des graines non germées de révolte. Et un jour, il commence à avoir des remords. Une succession d’événements incontrôlables vont l’obliger à fuir. Il se retrouve alors confronté à une dynamique de groupe qu’il accepte mal au départ mais qui va peu à peu révéler sa véritable nature, jusque là encroûtée par la routine et le pouvoir hypnotique des dirigeants du bunker. Comme tout héros qui se respecte, il est bien sûr détenteur d’une faculté rare, en l’occurrence celle d’être immunisé contre les autres et pourra ainsi, sinon sauver le monde, du moins l’empêcher de sombrer dans le chaos.
 
ActuSF : On sent une critique du pouvoir. Est-ce qu’on peut dire que c’est un roman engagé ?
 
Jacques Barbéri : Un roman engagé, je n’irai pas jusque là. Je dirai plutôt qu’il s’agit d’une critique de l’absurdité du pouvoir. Et même de l’absurdité du comportement humain en général. S’il fallait trouver une référence, elle serait plutôt (l’idée me vient à l’instant), du côté de Stanislas Lem. Il s’agit, en partie bien sûr, d’une satire du pouvoir et des sociétés humaines un peu dans l’esprit de Mémoires trouvés dans une baignoire, Le Congrès de futurologie ou Les Mémoires d’Ijon Tichy, avec une réflexion sur les technologies “limites” qu’elle soient bio, nano ou psycho. Et comme chez cet excellent auteur polonais, l’humour est également de rigueur.
 
ActuSF : Qu’est-ce que vous aimeriez comme destin pour ce roman ?
 
Jacques Barbéri :  Qu’il devienne un best seller, soit traduit dans une cinquantaine de langues, y compris le klingon, et adapté au cinéma par Guillermo del Toro, juste après Les Montagnes hallucinées. Mais, dans un premier temps, je serais content qu’il soit tout simplement bien reçu par les lecteurs et la critique, et que dans la foulée on reparle un peu de l’œuvre d’Emmanuel Jouanne (avec une ou deux rééditions à la clef).
 
ActuSF : Et puis parlons un peu de vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
 
Jacques Barbéri : Sur la traduction du dixième et dernier volume de la série Eymerich l’Inquisiteur de Valerio Evangelisti (parution le 15 octobre) dont l’intégrale, agrémentée des superbes couvertures de Corinne Billon, sera ainsi bouclée à La Volte, et sur trois romans, dont un commencé il y a plus de vingt ans, Terre de Vérité et un autre en collaboration avec Yves Ramonet. Je viens de terminer par ailleurs une nouvelle pour l’anthologie “Bestiaire humain”, à paraître aux éditions Bibliogs à la rentrée et — en rappelant au préalable que Mémoires de Sable est un livre idéal pour les vacances balnéaires —, ceux qui préfèrent les tablettes, pourront également lire sur les côtes d’Opale, d’Azur ou d’Ailleurs la réédition numérique de mon premier roman, Une Soirée à la plage, à paraître sous peu chez Multivers. Côté audiovisuel, nous avons commencé avec Gilles Bénéjam le tournage d’un long métrage inspiré d’une de mes nouvelles, l’histoire d’un responsable de relais temporel pris dans la bourrasque d’une guerre temporelle. Et vogue la galère (temporelle, bien sûr)…
 
 

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