La science-fiction, c'est aussi affaire de titres. Etranges, intrigants ou drôles, certains sont presque emblématiques du genre. Ainsi Des Fleurs Pour Algernon renvoie à tout un monde, celui de la SF sixties qui flirtait gentiment avec la contre-culture émergente. Entre fable humaniste et voyage intérieur, Keyes signe ici SON chef-d'œuvre. Le monsieur, il est vrai, n'est guère prolixe puisqu'il n'a signé que trois romans et une petite dizaine de nouvelles en trente ans de carrière. Et c'est d'ailleurs sous cette forme qu'est d'abord parue en 1959 Des Fleurs Pour Algernon. Elle rapportera à Keyes un prix Hugo et, lorsque huit ans plus tard il décidera de l'étoffer pour en faire son premier roman, celui-ci décrochera le prix Locus. C'est dire, que l'on a bel et bien affaire à un classique.

Un programme un peu spécial...

Algernon est une souris de laboratoire qui a servi de cobaye sur un programme expérimental visant à augmenter de manière significative les capacités intellectuelles. Il y a eu bien d'autres essais auparavant, mais c'est chez Algernon que les effets semblent, pour la première fois, suffisamment encourageants pour que le Pr Nemur et le Dr Strauss envisagent l'expérimentation humaine. C'est Charlie Gordon - un jeune arriéré mental - qui va être choisi, en raison de sa persévérance à vouloir apprendre à lire et à écrire. Une condition primordiale, car elle va permettre un suivi de l'expérience de l'intérieur. C'est donc sous la forme, assez classique, d'une suite de comptes-rendus que l'on va suivre l'éveil à l'intelligence et à la vie de Charlie, avec en fond les bulletins de santé d'Algernon. Car si l'opération est un succès, rien ne garantit que les effets soient permanents. Des prémices balbutiantes du jeune homme à la confirmation de son génie, tout va très vite, mais le processus pourrait s'inverser tout aussi soudainement…

Un voyage interieur par procuration

Des Fleurs Pour Algernon est un voyage intérieur par procuration dont on espère sortir grandi, ne fût-ce qu'un tout petit peu. La forme est assez convenue mais habilement utilisée, et très très vite on s'attache au personnage de ce garçon touchant et un peu perdu. Jamais Keyes ne moralise, jamais il n'est condescendant. Il se contente de décaler subtilement le prisme de notre quotidien. En même temps qu'il apparaît aux yeux de Charlie, un monde tout neuf se fait jour pour nous. Il n'est ni bon, ni mauvais, ni meilleur ni pire, c'est le nôtre et il est à notre image. La composition est intelligente, le style imagé pour une très belle fable douce-amère, tout entière tendue vers une fin que l'on sait inéluctable. On accompagne Charlie tout le long du chemin, et lorsque se referme cette courte parenthèse dans notre vie de lecteur, on est finalement heureux d'avoir fait ce petit bout de route avec lui.