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Gainsbourg, vie héroïque - Le film
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Gainsbourg, vie héroïque - Le film

Que Joann Sfar décide de se frotter au cinéma n'est pas à proprement parler une surprise. Plusieurs auteurs de BD avant lui sont déjà passés de l'image fixe à l'image en mouvement, avec pas mal de réussite : Enki Bilal, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Philippe Caza... Mais si ceux-ci restent généralement dans l'univers qu'ils ont développé en BD, Joann Sfar a choisi de s'attaquer à un morceau de choix : Serge Gainsbourg. Un pari risqué pour une première réalisation, mais un pari largement réussi.

Gainsbourg, vie héroïqueSfar dit qu'il est un amoureux de Gainsbourg, et la preuve la plus convaincante en est sans doute d'avoir fait un film personnel, mettant en scène la perception qu'il avait du chanteur plutôt qu'un banal biopic fidèle point pour point à la vie de son héros. Si Sfar en a suivi la trame, il a largement brodé autour, imaginant des extrapolations fantasmatiques et jouant avec le personnage de Gainsbourg, avec ses chansons, tout en restant attaché à sa personnalité et aux grandes lignes de son existence. Comme le dit Sfar lui-même, ce film est un conte et pas une biographie romancée.

On suit donc le parcours de Serge Gainsbourg, en partant du jeune Lucien Ginsburg, garçon fantasque et artiste dans l'âme, dont le père tente de lui inculquer l'art du piano avec une sévérité parfois violente. Lui préfère le dessin (ce qui permet à Sfar de nous offrir quelques dessins et peintures sublimes). Le contexte est celui de la seconde guerre mondiale, avec la stigmatisation des juifs. Tout petit, Ginsburg montre déjà son goût pour la provocation (il est le premier à aller chercher son étoile jaune à la préfecture), un bagout qui cache une certaine timidité et une très forte envie de plaire. De ces bases qui donneront le futur Gainsbarre, on va suivre son évolution, de ses débuts dans les bars à ses grands succès, ses grands amours : Brigitte Bardot, Jane Birkin…

Gainsbourg, vie héroïqueL'intérêt du film réside essentiellement dans les rencontres plus ou moins fantasmées du chanteur avec ses égéries ou ses collaborateurs : Juliette Gréco, Boris Vian, Les Frères Jacques, France Gall… Au lieu de s'en tenir aux faits, Sfar réinvente ces rencontres, en fait des instants parfois magiques. On retiendra particulièrement la magnifique scène avec Juliette Gréco (Anna Mouglalis), qui se calque sur la chanson que Gainsbourg a écrite pour elle, La Javanaise : les deux personnages s’aiment ainsi « le temps d’une chanson ». Une scène subtile, révélatrice de la sensibilité de Sfar qui, comme dans ses BD, fait passer des émotions avec des moyens simples, sans emphase, sans projecteurs.

Cette collection de rencontres plus ou moins irréelles donnent peu à peu corps au mythe Gainsbourg, au héros Gainsbourg. Mais Sfar ne cherche pas à en faire un héros au sens commun du terme, pas dans le sens « regardez tout ce qu’il a accompli » ou « comme il était engagé, malheureux ! » ou autres clichés laudatifs. Le réalisateur n’a pas cherché ici à faire passer un quelconque message sur la vie de Gainsbourg. Il a juste voulu montrer son côté artistique, poète, plus que ses actes. Et aussi la tragédie d’un homme qui depuis tout petit rêve d’être aimé, d’être célèbre, et lutte sans arrêt pour y parvenir. C’est de l’héroïsme banal pour un homme qui n'a rien de banal.

Gainsbourg, vie héroïqueCette notion de héros est renforcée par l’idée que le personnage doit prendre le pas sur la personnalité. On peut y lire une justification de la naissance de Gainsbarre. Cette idée de double est très bien exploitée. C’est d'ailleurs ce qui fait une grande partie du charme du film, au cours duquel Gainsbourg est accompagné par un personnage imaginaire, qui lui ressemble mais en beaucoup moins timide, qui le pousse vers le succès. C’est un peu Gainsbarre, mais c’est aussi une réminiscence de l’enfant Lucien – il naît d’ailleurs à l'époque de Lucien. Cela donne des scènes drôles mais aussi touchantes, parfois tragiques, où l’on voit Gainsbourg hésitant, un peu perdu, se laissant guider par ce frère imaginaire qui, finalement, n’est peut-être que l’instinct du chanteur, son inconscient qu'il ne maîtrise pas vraiment.

Côté réalisation, c'est plutôt classique, sans surprise malgré quelques beaux plans. L’invention vient surtout de la représentation du double, de la fantaisie qui immerge tout le film et aussi de la peinture, du dessin, que Sfar maîtrise bien évidemment à la perfection. Quelques flashbacks apocryphes viennent rompre la linéarité du film : Sfar imagine Lucien sur une plage, comme une espèce de refuge que Gainsbourg regagne en pensée de temps en temps.

Gainsbourg, vie héroïqueEn revanche, l'interprétation de Gainsbourg est une énorme surprise : Eric Elmosnino est tout simplement parfait. On pourrait dérouler les clichés du genre « il est habité par le personnage », « il a un grand talent d’imitation ». Mais ce serait passer à côté de l'essentiel. Oui, Elmosnino ressemble physiquement à Gainsbourg. Oui, il a repris ses tics, sa façon de parler, de chanter, de bouger. Oui, on y croit à fond. Mais si on y croit, ce n'est pas parce qu'il imite Gainsbourg. C’est justement parce qu’on ne voit pas la performance. Elmosnino nous fait tout simplement oublier qu'il s'agit d'un film, qu’il est un acteur jouant une légende. Il n’y a plus de notion de rôle, de fiction : c’est comme si l'on était projeté dans un monde parallèle où Elmosnino serait Gainsbourg. Un véritable tour de force aussi bien de l’acteur que du réalisateur, qui a su si bien le diriger. Les autres rôles présentent moins de surprises et restent plus au niveau de l'imitation, même si cela reste très bien joué : Lucy Gordon en Jane Birkin, Sara Forestier en France Gall, Laetitia Casta en Brigitte Bardot... Un très bon point commun à tous cependant : le chant.

La musique est bien évidemment inévitable dans ce genre de film, mais il ne s'agissait pas simplement pour Sfar de faire joli ou de composer une BOF qui se vendrait à des millions d’exemplaires. La musique n’est pas centrale : elle accompagne les personnages, elle les illustre. Là aussi, Sfar et les acteurs ne recherchent pas la performance, bien qu'elle existe. Il s'agit plus d'une question d’ambiance, de construction, d’évolution. Le dosage est équilibré, ni trop, ni trop peu.

Gainsbourg, vie héroïqueGainsbourg, vie héroïque n’est pas un film génial. Il ne va pas révolutionner le cinéma, il ne va pas réhabiliter Gainsbourg aux yeux de ceux qui le critiquent ou le ressusciter pour ses adorateurs. Mais on en ressort avec l’impression d’avoir vu quelque chose de vivant. Comme pour ses BD, le talent de Sfar ne réside pas dans des coups de génie, mais dans une constance dans la qualité, dans l’enthousiasme, dans la démarche, dans l’amusement. Et dans sa capacité à nous transmettre cet enthousiasme, à nous communiquer le plaisir qu’il prend à réaliser ses œuvres, quelles qu’elles soient.

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