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Hokuto No Ken

Buronson (Scénariste), Tetsuo Hara (Dessinateur), Tristan Brunet (Traducteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Japonais
Aux éditions : 
Date de parution : 15/05/2008  -  bd
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Hokuto No Ken

Flash back

C'est au cours de l'année 1988 que le public français découvrit Hokuto No Ken sous le titre Ken le Survivant, à travers sa médiocre adaptation animée diffusée dans le Club Dorothée. Le dessin animé, ultra violent, programmé le mercredi après-midi à une heure de grande écoute, fit immédiatement scandale auprès des parents ; le choc fut tel que les interprètes de la version française, dirigée par Philippe Ogouz, n’acceptèrent de continuer à doubler la série qu’à la condition de pouvoir la tourner en dérision via des dialogues absurdes et poussifs. À cause de cela, jusqu’à une période récente, vingt ans après son arrivée en France, Hokuto No Ken continuait encore à souffrir de l’image d’une série bâclée affublée d’un doublage ridicule (ce qu'elle était), dont le seul intérêt se limitait à voir un ersatz de Bruce Lee faire exploser des crânes de punks idiots en pressant leurs points vitaux. Heureusement, la sortie récente du long métrage L'Ère de Raoh dans les salles françaises – un privilège pour un dessin animé japonais – et la réédition en DVD du film d'animation tiré de la série laissent à penser que son fidèle public hexagonal n'a jamais été dupe quant aux réelles qualités de l'œuvre saccagée.

L’arlésienne

Car avant d’être un dessin animé, Hokuto No Ken était un manga bien plus intéressant que sa réputation peut le laisser croire. Mad Max 2, film ancré dans un monde post-apocalyptique, était sorti sur les écrans deux ans auparavant quand Buronson et Tetsuo Hara, très impressionnés par ses paysages désertiques où des hordes sanguinaires de punks motorisés terrorisaient des villageois, décidèrent de créer un manga dans lequel l’héritier d’une école de kung-fu assumerait son destin dans un monde ravagé par les guerres nucléaires.

L'œuvre, publiée en 1983, n’aura connu les honneurs d’une édition française qu’en 1999, onze ans après la diffusion de son adaptation animée dans le Club Dorothée. Les éditions J’Ai Lu, impliquées dans la vague manga initiée par Dragon Ball Z, la publièrent alors dans une édition très contestée : les fans purent ainsi découvrir la fin de l'histoire opposant Kenshirô à son frère Raoh (jamais diffusée en France, puisque la série fut interrompue avant ses derniers épisodes) et l'excellente seconde partie de la saga située sur la terrible « Île des Démons » (également adaptée en dessin animé, distribuée dans nos contrées en 2004 via une édition DVD). La troisième partie, très courte et assez anecdotique, semble-t-il imposée aux auteurs, n'a quant à elle jamais été transposée à la télévision. Jusqu'à présent, les mangas publiés par J'Ai Lu étaient donc la seule façon de connaître Hokuto No Ken dans son intégralité, ce qui explique sans doute pourquoi les derniers tomes de cette édition depuis longtemps épuisée se monnayent encore à des prix avoisinant les vingt euros sur des sites d’enchère...

Pendant longtemps, la réédition de Hokuto No Ken dans une version digne de ce nom demeura une arlésienne, comme souvent pour des questions de droits. Lorsque Panini fit l'acquisition de Fist of the Blue Sky, un autre manga conçu par les mêmes auteurs et mettant en scène un ancêtre de Kenshirô, les fans espérèrent la publication prochaine de Hokuto No Ken dans une version aussi soignée que celle de ce Fist of the Blue Sky. En vain. C’est finalement cette année, en mai 2008, que les éditions Asuka annoncèrent, à la surprise générale, la sortie de Hokuto No Ken dans une nouvelle traduction approuvée par son scénariste.

« Tu es déjà mort mais tu ne le sais pas »

Les premiers épisodes de Hokuto No Ken, assez simplistes, relatent la rencontre d’un certain Kenshirô, rescapé du désert atomique, avec deux enfants : Lynn, une petite fille muette à qui il rend la parole à l’aide d’une étrange technique consistant à presser des points vitaux, et Batt, un voyou. Nous découvrons par la suite que cet art secret lui permet également de faire exploser des corps humains, après avoir vu Kenshirô mettre en déroute un groupe de brigands venus mettre un village à feu et à sang. Comme le prouvent les sept cicatrices marquées sur son torse, cet homme est en réalité l’ultime héritier du Hokuto Shinken (le « poing de la Grande Ourse »), une technique martiale deux fois millénaire si redoutable qu’un seul homme est autorisé à la pratiquer.

La philosophie du poing

Soyons honnête : ce premier tome ne vaut que pour l'exposition du décor et des personnages, tant il reste tout du long au niveau d'une banale histoire de justicier résolu à venir en aide aux innocents. Sa lecture est toutefois indispensable pour comprendre les fondements d'une épopée qui, dans son déroulement, atteint par la suite une profondeur rarement atteinte dans le genre. Dans Hokuto No Ken, Dieu est mort et sa place est libre. Le contexte d'un monde post-apocalyptique n'est ici qu'un prétexte pour opposer des hommes aux aptitudes surhumaines – et aux corps parfois disproportionnés de façon surréaliste – condamnés à se surpasser pour survivre, et finalement atteindre le statut de dieux vivants. Pour cela, ils doivent s'affronter en utilisant des techniques secrètes mortelles dans des affrontements dantesques où la moindre erreur entraîne une mort immédiate, et dont le vainqueur devient à chaque combat plus fort, en attendant l'inévitable affrontement final.

Dans cette logique inexorable, le fatalisme dont est empreint le destin des hommes est inscrit dans le ciel, suivant la disposition des étoiles, conformément aux principes de l'astrologie. Chaque école de combat est attachée à une constellation, dont la signification influence l'avenir de ses adeptes : la vie de Kenshirô – placée sous l'égide de la Grande Ourse – se voit ainsi liée à la mort, qui s'abat irrémédiablement sur ses amis comme sur ses ennemis.

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort

Au-delà de sa trame principale – pour peu que l'on s'intéresse à son second niveau de lecture – l'histoire de Hokuto No Ken s'avère donc assez complexe, profondément inspirée par l'astrologie, la religion et la philosophie (occidentales et chinoises). Sa principale référence repose cependant sur les théories de Nietzsche, du nihilisme à la recherche du surhomme capable de s'affranchir de toute morale imposée, sans devoir se soumettre à un quelconque dieu. Kenshirô poursuit son destin et ses adversaires, pour l'instant bien faibles, jouent un rôle visant à donner toute sa légitimité à l'héritier du Hokuto Shinken, seul homme à pouvoir ramener l'ordre dans le chaos où se trouve plongé le monde. Par conséquent, sa fiancée (qu'il cherche à retrouver dans ce premier tome) n'est qu'un mirage, un leurre pour le scénariste désireux de donner des allures de récit chevaleresque à cet épisode, où le preux chevalier veut rejoindre sa bien-aimée retenue captive dans une tour. Le vrai propos de Hokuto No Ken est ailleurs, dans une quête personnelle (tout comme la recherche du Graal, pour reprendre l'exemple chevaleresque), mais le lecteur ne peut s'en rendre compte qu'en suivant la série sur la durée sans se contenter de ses premières impressions.

Dans cette optique, on pourrait s'étendre longuement sur la portée philosophique du manga, très empreint des thèses de Nietzsche comme nous l'avons vu, mais aussi de philosophie chinoise : le Hokuto Shinken, qui détruit le corps de l'intérieur et le Nanto Seiken, qui le détruit de l'extérieur, sont ainsi des équivalents du Yin et du Yang. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les pratiquants du premier sont des guerriers à l'allure virile quand les adeptes du second ont une apparence plus féminine, conformément à l'opposition complémentaire des deux concepts (Rei, adepte du Nanto Suichôken, est d'ailleurs pris pour une femme lors de sa première apparition).

Les références religieuses ne sont pas en reste, et particulièrement avec l'apparition de Toki, frère d'arme de Kenshirô et personnage à la symbolique hautement christique : Toki, cheveux longs et barbe naissante, tout de blanc vêtu, s'est sacrifié en se laissant contaminer par des radiations atomiques pour sauver Kenshirô. Initialement choisi comme héritier du Hokuto Shinken avant cet accident, sa maîtrise de l'art martial est telle qu'il a su le détourner pour en faire une méthode médicale plutôt qu'une technique mortelle ; son altruisme le pousse à se rendre de village en village pour faire marcher les paraplégiques, rendre la vue aux aveugles... Autrement dit : ce personnage, élu en tant que « messie » d'un culte qu'il est né pour transmettre, et après s'être sacrifié pour son frère, fait évoluer son savoir pour le mettre au service de l'humanité comme le Christ fit évoluer le judaïsme vers le christianisme et guérit des villageois en accomplissant des « miracles ».

Asukwaaa ?

Alors, que vaut cette nouvelle édition ? Eh bien tout d'abord, sur l'aspect extérieur, le manga reprend les couvertures originales aux superbes couleurs représentées sur une jaquette de protection amovible. À l'intérieur, le lecteur découvrira un papier de bonne qualité, un bon point pas toujours évident concernant les mangas, et un contraste du noir et blanc assez prononcé pour mettre en valeur les dessins sophistiqués de Tetsuo Hara, à mille lieues du graphisme brouillon du dessin animé. Voilà qui change de l'encre grise de l'édition J'Ai Lu.

En revanche, on notera vite deux inconvénients : d'abord, les cases semblent dépasser du cadre des pages, comme c'était le cas pour l'édition précédente. On ressent donc la désagréable impression, justifiée ou infondée, qu'une partie des dessins manque sur les contours des cases.

Ensuite, les traumatisés de la version française du dessin animé tiqueront devant cette nouvelle traduction, plus crue, et qui fait la part belle aux « expressions de jeune » à base de « Kwaaa ? » ou de « C'est chelou ». Le traducteur, interpellé sur ce point, s'est d'ailleurs justifié en arguant du fait que, en version originale, les punks s'expriment dans un registre extrêmement populaire en regard du japonais parlé couramment. On pourra donc épiloguer des heures sur le choix des expressions de substitution, mais en admettant toutefois qu'il fallait bien trouver des équivalences...

Le cri du coeur

Pour finir, j'espère que ces quelques mots auront dissipé les préjugés entourant cette œuvre d'une très haute tenue philosophique, derrière ses aspects bourrins (il faut cependant reconnaître que le manga est particulièrement hardcore). Le travail effectué ici mérite un coup de chapeau, malgré les inconvénients évoqués. On précisera juste que l'histoire ne décolle vraiment qu'à partir du troisième tome, où de nouveaux personnages viennent se greffer à l'histoire pour lui apporter une nouvelle ampleur. Et ça tombe bien, il est déjà sorti !
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