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Interview de Célia Chazel
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Interview de Célia Chazel

ActuSF : Commençons par les mouvements en interne, depuis sept ans, tu travaillais avec Audrey Petit. Celle-ci étant partie vers d'autres aventures, est-ce que ça change quelque chose pour Mnémos ?
Célia Chazel : Ça change forcément quelque chose, car l’identité d’une maison d’édition est indissociable de la personnalité de ceux qui la composent, en particulier pour une structure de notre taille. Nous avons collaboré pendant plus de sept ans, et Audrey a profondément marqué l’évolution et les choix éditoriaux de la maison. Son départ et l’arrivée de Sacha Jovanovic marquent donc le passage à une nouvelle période pour Mnémos. Ce sera la troisième, après un premier changement d’équipe il y a huit ans à la suite du départ de Stéphane Marsan.

ActuSF : Comment va s'organiser le travail avec son remplaçant ?
Célia Chazel : Afin d’assurer au mieux la transition, je reprends dans un premier temps la direction de la majorité des projets éditoriaux, sur lesquels Sacha m’assistera tout en se consacrant à la recherche de nouveaux textes pour constituer son propre « pool » d’auteurs.

ActuSF : Quels seront les grands titres à venir dans les prochains mois ?
Célia Chazel : Je n’aime pas établir une hiérarchie entre les titres que j’édite, donc, voilà une réponse longue… Nous démarrons en janvier la trilogie Nightrunner de Lynn Flewelling, qui a déjà démontré chez Pygmalion son talent pour une fantasy dramatique fortement axée sur les ressorts psychologiques et le charisme de ses personnages.

Je citerai aussi la réédition collector du Goût de l’Immortalité de Catherine Dufour, également prévue pour janvier. D’une part, parce que l’un de mes objectifs pour l’année 2008 est de proposer chez Mnémos une réelle plus-value sur la qualité du livre en tant qu’objet, comme c’est le cas pour cette réédition. D’autre part, parce que nous sommes – et ici, j’inclus particulièrement dans le « nous » Audrey qui en est la première éditrice – très fiers du succès de ce titre qui démontre qu’il est possible de vendre, aujourd’hui, de la science-fiction francophone ambitieuse, sous une signature féminine.

Suivront en février Les Enfants de Dana, qui marque le retour de Nicolas Bouchard chez Mnémos, dans un registre plus adulte et plus mélancolique, qui m’évoque beaucoup la fantasy de Robert Holdstock, ainsi qu’une réédition « luxe » des deux tomes du Secret de Ji de Pierre Grimbert. En mars, Requiem pour un Elfe Noir, de John Gregan, un nouveau venu au catalogue, grand ami de Wayne Barrow.

ActuSF : Ces derniers mois, vous avez traduit de nouveaux auteurs ou presque comme Brust, Kilworth, Louise Marley et quelques autres. Est-ce qu'il reste encore beaucoup d'auteurs de fantasy non traduits à "importer" en France ? Et est-ce que ces auteurs que je viens de citer on réussi à conquérir le public français, ou y a-t-il encore un peu d'effort à faire pour les faire connaître ?
Célia Chazel : Je crois qu’on peut avoir confiance en la vivacité du genre pour continuer à produire des œuvres de qualité et à se renouveler, que ce soit dans les domaines francophone ou étranger. Si la plupart des best-sellers actuels sont effectivement déjà traduits, il n’en reste pas moins de nombreux auteurs et titres tout aussi intéressants, voire davantage, en ce qui concerne la ligne éditoriale de Mnémos. Évidemment, je ne cracherai pas sur l’occasion d’acquérir les droits d’un bon roman de fantasy qui cartonne en VO. Mais je suis convaincue qu’un de nos points forts est la capacité de défendre commercialement des titres s’écartant plus ou moins des sentiers battus du genre, comme le roman de Catherine que j’évoquais plus haut. J’ai également en tête l’exemple de la série de James Hetley, un véritable bijou de fantasy urbaine qui allie à la perfection le divertissement à la modernité psychologique, paru discrètement aux États-Unis, dont nous avions publié le premier tome il y a trois ans et dont la suite sortira très bientôt, simultanément à la ressortie poche du premier chez Folio-SF.

Concernant les auteurs que tu cites, ils ont sans surprise connu des fortunes diverses : Steven Brust s’est installé peu à peu et vient de franchir un cap avec un démarrage très satisfaisant sur son dernier roman, Les Gardes Phénix. Les résultats sont plutôt décevants à l’heure actuelle pour Gary Kilworth et Louise Marley, mais il est trop tôt pour tirer des conclusions. Ce sont des auteurs plus récents à notre catalogue et nous venons à peine de sortir le dernier tome du cycle des Rois-Navigateurs.

ActuSF : Après les anglo-saxons, parlons des auteurs français comme Michel Robert, Xavier Mauméjean, Johan Heliot ou Fabien Clavel. Est-ce que vous allez continuer de les publier et pourquoi pas d'en publier d'autres ?
Célia Chazel : La défense des auteurs francophones a été le premier pari des fondateurs de Mnémos. Succès aidant, c’est resté l’une de nos principales spécialités et nous allons continuer sur cette voie, avec d’ailleurs une tendance au rééquilibrage par rapport aux traductions qui avaient pris une place peut-être un peu excessive ces dernières années. Divers projets sont en cours de réalisation ou d’élaboration avec des auteurs réguliers de la maison et d’autres. Personnellement, je souhaite de tout cœur poursuivre la collaboration avec les auteurs à présent confirmés qui ont fait un bout de chemin avec nous, dont nous avons souvent publié les premiers romans, et à qui Mnémos doit beaucoup en terme de reconnaissance.

En guise d’habile transition, c’est pour cette raison que je considère le travail de défrichage que représente la publication de premiers romans arrivés « par la poste » comme quelque chose d’absolument fondamental sur le long terme. Mais d’une part, contrairement à une légende répandue, les excellents manuscrits n’encombrent pas les étagères des éditeurs, et d’autre part, ça nécessite un boulot d’édition et de communication très spécifique, sans aucune garantie de résultat. Rater le lancement d’un auteur, ça nous est arrivé, et c’est très compliqué à rattraper par la suite. Par contre, quand ça fonctionne, c’est une des réussites les plus gratifiantes qui soient pour un éditeur. Ce sera plus spécifiquement le travail de Sacha dans les temps qui viennent.

ActuSF : Vous avez un gros travail sur le fond de la collection Mnémos avec des rééditions de romans. Pourquoi ce choix ? Est-ce parce que cela fonctionne bien ou est-ce parce qu'il est difficile aujourd'hui de publier des romans inédits ?
Célia Chazel : Honnêtement, si la réédition du fond ne fonctionnait pas et que les nouveautés inédites se vendaient comme des petits pains pour disparaître de la circulation six mois plus tard, ça poserait un problème, non ? À long terme, la santé d’une collection se mesure notamment à l’équilibre délicat qui s’installe entre le fond et les nouveautés. Mine de rien, après plus de douze ans d’existence, Mnémos est aujourd’hui l’une des plus anciennes collections d’imaginaire grand format en activité, avec près de 200 titres au catalogue. Quand on a la chance de posséder cette richesse-là, il serait absurde de ne pas travailler sur la mise en valeur du fond pour continuer à faire vivre ces titres. Cela ne nous a pas empêchés de sortir quinze inédits en 2007, et d’en prévoir autant pour 2008, ce qui est tout à fait honorable pour une structure de notre taille. Personne n’est tenu, que je sache, de participer à la course à la production.

ActuSF : Mnémos est un éditeur de fantasy mais qui ne dédaigne pas la science fiction voire des genres comme le steampunk. Allez-vous continuer à travailler dans cette voie ?
Célia Chazel : Mnémos est un éditeur de fantasy ET d’uchronie ET de science-fiction. Dans cet ordre. Depuis le début. Avec quelques miettes de fantastique et de machins bizarres par-ci par-là. Un éditeur d’imaginaire, quoi. Donc oui, nous allons continuer dans cette voie, avec une réorientation partielle, déjà entamée, vers les français que j’évoquais plus haut.

ActuSF : Comment se portent les éditions Mnémos en terme de ventes sur le marché de la fantasy ? Et globalement la concurrence n'est-elle pas trop rude actuellement ?
Célia Chazel : Mnémos à connu une passe difficile sur la période fin 2006 - début 2007. Nous avons sans doute encaissé plus que d’autres la dépression qui a traversé l’ensemble du marché de l’édition. Ça remonte doucement depuis le printemps 2007, parce que la conjoncture va un peu mieux, que nous avons fait un effort d’adaptation par rapport au changement de comportement des libraires (notamment avec les rééditions que tu évoquais), et que nous avons connu quelques beaux succès commerciaux récents dont les Gardes Phénix de Steven Brust et Belle de Mort, la fin du cycle de dark-fantasy Michel Robert. Quant à la concurrence, pour rude qu’elle soit, je considère que c’est un jeu normal qui n’oblige pas à abandonner le terrain de la qualité. Pour paraphraser Jérôme Noirez qui s’exprimait (vachement bien) sur un sujet connexe dans les colonnes d’un forum voisin, je ne crois pas que la littérature soit soluble dans la concurrence. 

ActuSF : Allez pour finir, la tarte à la crème : comment se porte le marché de la fantasy ?
Célia Chazel : Il va bien, merci. Je peux avoir un café, avec la tarte ?

ActuSF : Quelques questions pour Sacha Jovanovic. Bonjour, le public ne vous connaît pas pour l'instant. Quel est votre parcours jusqu'à Mnémos ?
Sacha Jovanovic : Bonjour. J'ai suivi des études supérieures de littératures et de civilisations axées sur l'Europe centrale et orientale. Je me suis par conséquent spécialisé dans l'étude de l'histoire byzantine et ottomane. L'un des vecteurs importants de cette étude a été l'analyse de l'écrit diffusé dans ces régions où le fantastique tient un grand rôle dans l'imaginaire populaire (le concept du loup-garou ou de Dracula par exemple). Rejoindre l'équipe de Mnémos est par conséquent la suite logique de ce travail.

ActuSF : Vos goûts de lecteur vous ont surtout porté vers quels genres et quels auteurs jusqu'ici ?
Sacha Jovanovic : J'ai eu de la chance en commençant ma découverte de ce genre par la lecture du cycle d'Elric le nécromancien de Michael Moorcock suivi de la Quête d'Erekosë et des livres de Corum. J'ai alors lu tout ce qui me tombait sous la main car à l'évidence la science-fiction au sens le plus large du terme (fantasy, uchronie, space opera, etc.) se révèle être une partie incontournable de la littérature. J'ai adoré le cycle d'Hypérion (et d'Endymion) de Dan Simmons. Plus récemment, Des milliards de tapis de cheveux, de Andreas Eschbach. Il est important de mentionner les précurseurs comme Mikhail Boulgakov. Avant d'oublier, je peux également citer les « grands classiques » : le Seigneur des anneaux de Tolkien, la majeure partie des œuvres de Lovecraft, Stefan Wul, Jack Vance, Conan de Robert Erwin Howard et tant d'autres…

En définitive, l'ensemble de la littérature fantastique recèle pour un lecteur tel que moi de réels trésors et l'assurance d'obtenir davantage que du « bon temps ».

Enfin pour terminer, spéciale dédicace à Johan Heliot.

ActuSF : Qu'avez-vous envie de faire avec les éditions Mnémos ? Quelle sera votre ligne de conduite ou tout du moins votre ligne éditoriale ?
Sacha Jovanovic : Je souhaite d'une part poursuivre la recherche de nouveaux auteurs français dont le potentiel et la qualité d'écriture ne sont plus à prouver (Pierre Grimbert, Johan Heliot, Michel Robert…). D'autre part, j’aimerais faire découvrir aux lecteurs de Mnémos des auteurs que j'appelle « trans-genres » à l'instar d'un Milorad Pavic (que je vous invite à lire au plus vite, avec son emblématique Dictionnaire Khazar) qui mélange avec virtuosité légendes, réalités historiques et un imaginaire foisonnant. L'idéal étant peut-être de combiner les deux !

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