Actusf : La plupart de vos BD relèvent des genres de l'imaginaire. Qu'est-ce qui vous plait dans ce genre d'univers ?
Arleston : J'ai toujours été un gros lecteur de science-fiction et de fantasy. Ce sont des domaines qui m'attirent depuis tout petit. Sans doute parce qu'ils correspondent aux gens qui cherchent à échapper au réel. Je suis de ceux qui se réfugient dans le rêve en permanence parce que la réalité me déprime horriblement. Donc tout petit déjà, j'adorais toutes les histoires qui commençaient par " Il était une fois " avec un château et une princesse… Même chose pour les mythes et légendes antiques et les mythes grecs. Avec une maman prof d'histoire, ça aide ! Ensuite on se réfugie dans ces univers de l'imaginaire qui permettent d'aborder tous les sujets, tous les thèmes, mais en les décalant et donc en les enrichissant, en leur donnant plus de profondeur que dans la littérature générale. C'est ce que j'aime trouver dans ce que je lis, même si ce n'est pas ce que je fais en tant qu'auteur. J'essaie parfois de m'attaquer à des trucs sérieux et puis au bout de deux pages j'ai rajouté un coussin péteur et trois gags de bas étages. Je ne sais pas faire autrement. C'est l'aspect parodie qui m'amuse. Mais pour que ça fonctionne, il faut un scénario solide derrière. D'ailleurs l'invité d'honneur du festival de science-fiction de Nantes, c'est Terry Pratchett. C'est un bon exemple. Tous les romans du Disque Monde sont fabuleusement drôles mais derrière il y a une véritable intrigue, avec, à chaque fois, de vrais enjeux. C'est cette colonne vertébrale qui rend l'humour intéressant.
Actusf : Y a-t-il d'autres auteurs qui vous ont marqué ou que vous aimez plus particulièrement ?
Arleston : Oui. Un en particulier qui pour moi est sans doute le plus grand dans son domaine : Jack Vance. C'est un vrai raconteur d'histoires et d'univers. Quelqu'un qui donne de l'épaisseur à tout ce qu'il fait tout en restant populaire. Aujourd'hui il y a beaucoup d'auteurs qui veulent se donner des alibis culturels, et qui finalement sont pontifiants et sans grand intérêt. Alors qu'un Jack Vance, tout en étant facile à lire par tous, avait derrière une qualité d'écriture, une vraie plume et un vrai style. Quelque chose de très bien structuré. Je devais avoir 12-13 ans quand je l'ai découvert et jusqu'à 25 ans c'est l'auteur que j'ai le plus lu, relu, et re-relu. Au moins cinq fois chaque roman. Je viens de recevoir la réédition de La Planète Géante aux éditions du Bélial, et je me sens prêt à replonger. Je découvre systématiquement autre chose. C'est un auteur élégant et subtil. Je suis très content d'avoir eu l'occasion, il y a quelques années, de pouvoir passer un repas en face de lui avec 4 ou 5 autres personnes aux Utopiales. Ca m'a permis de comprendre d'où vient son humour.
Actusf : Adapter du Vance est quelque-chose qui pourrait vous tenter ?
Arleston : Oui beaucoup. Ce serait un vrai défi, comme pour le cinéma, de passer du texte à l'image. En effet la BD, de ce coté là, se rapproche enormément du 7ème art. On ne peut pas, en BD passer 8 pages sur 2 types en train de discuter dans un coin, alors que c'est possible dans un roman. J'adore les longues discussions de marchandage de Vance. Je me suis déjà amusé à le faire en BD mais ce n'est possible que sur 6 cases, 7 au maximum. Plus compromettrait l'équilibre de l'ensemble. Alors que chez Vance ces marchandages sont des poèmes, des morceaux d'anthologie.
Actusf : Et Pratchett ? Vous avez pu le voir, discuter avec lui ?
Arleston : Je n'ai pas osé l'embêter. Il est tellement entouré sur le festival des Utopiales que je ne vais pas aller le déranger même si je suis fan. Je suis ce qu'il fait depuis le début. Son humour me fait beaucoup rire. J'aime l'humour anglais de toute façon. Dans le dernier il définit la seconde new-yorkaise comme la plus petite unité de temps de l'univers. C'est le moment entre lequel le feu tricolore passe au vert et celui où le taxi de derrière commence à klaxonner. J'adore !
Actusf : Reparlons un peu des livres qui sont sortis sur Lanfeust…
Arleston : Nicolas Jarry est le tout premier à avoir eu l'idée d'adapter la BD en roman. Mais on a vite laissé tomber le projet. J'ai alors été contacté par la Bibliothèque Verte chez Hachette qui voulait faire l'adaptation. Ils avaient choisi deux médecins qui venaient du jeu de rôles pour l'écrire. Je me suis très vite bien entendu avec eux.. Ils étaient bien dans l'esprit de Lanfeust. Ils ont ensuite pondu un très bon texte, que j'ai recorrigé un peu derrière. Les deux volumes dans la Bibliothèque Verte sont sortis à plus de 25 000 exemplaires je crois. Par contre, le grand format qui les réunit a l'air d'être un échec, sans doute parce qu'on ne sait pas assez qu'il comporte des chapitres inédits par rapport à la première version... Mais bon ce n'est pas grave. On fera peut-être une autre version dans quelques temps. Mais pour le fun seulement. Tu sais, j'ai une chance extraordinaire : Lanfeust et les Trolls représentent 20% de mon temps mais assurent 90% de mes revenus. Donc je pourrais très bien ne faire que ça. Le reste c'est vraiment pour m'amuser. Beaucoup de gens ont l'impression qu'avoir du succès t'enferme dans un personnage. Alors qu'au contraire, c'est l'inverse. Cela t'offre une liberté incroyable. Non seulement tu as de l'argent mais en plus ton éditeur fait ce que tu veux et est même prêt à perdre un peu de sous sur certains projets puisque tu lui en fais gagner à côté. Le succès est un luxe.
Actusf : Est-ce que c'est pour cette raison, ce confort, que vous continuez Lanfeust ?
Arleston : Non, pas du tout. On a galéré 10 ans avec Tarquin. Puis on a connu le succès pendant 10 ans et maintenant on a assez de sous de côté jusqu'à la fin de nos jours. Donc la suite de Lanfeust, c'est vraiment pour le fun encore une fois. D'ailleurs, il n'est pas dit qu'on ne s'arrête pas du jour au lendemain lorsqu'on n'en aura assez. Maintenant c'est que du bonus. On profite. (rire). Et puis il y a une autre raison. Lorsque faire un Lanfeust deviendra un ennui profond, cela se ressentira pour le lecteur. Le public n'est pas dupe. Il le sent. Aujourd'hui on fait ce qu'on veut avec cette série. Mais il se peut très bien qu'à un moment on ne corresponde plus au goût des lecteurs. A un moment notre courbe, nos envies, ont croisé celles du public, mais il se peut que ces deux courbes s'éloignent. C'est déjà tellement formidable d'avoir eu à un moment ce contact, cette trajectoire commune. Et puis d'autre part, on sait qu'on gardera toujours des lecteurs fidèles. Aujourd'hui Lanfeust c'est 300 000 exemplaires à chaque sortie. Au pire on tombera à 100 000.
Actusf : Autre projet, le dessin animé en trois D ?
Arleston : Ca c'est à l'eau maintenant. La boîte de production qui s'en occupait a coulé. Mais on a retrouvé nos droits depuis fin septembre et ça repartira d'une manière ou d'une autre. Parce que j'ai encore quelques contacts et quelques amis dans ce monde là. Le cinéma a besoin d'idées et de personnages. Et comme Lanfeust a du succès, ça se fera.
Actusf : C'est une envie ce projet ?
Arleston : Oui si c'est bien fait. Ca aurait déjà pu se faire plusieurs fois mais on a toujours refusé parce que le niveau de qualité qu'on voulait avec Tarquin n'était pas au rendez-vous. Si quelque chose sort et que c'est mauvais, ça peut nuire à l'image des albums.
Actusf : Avec le succès, vous avez acquis une certaine liberté. Qu'est-ce que vous avez envie de faire aujourd'hui ?
Arleston : De la BD de qualité. Je suis un gamin et j'adore mon métier. Je m'amuse. Et les jours ou ça m'énerve d'être scénariste, je vais faire autre chose comme Lanfeust Mag. Et puis j'ai des nouveaux projets, des nouvelles séries. J'ai envie de faire des one shot par exemple avec certains dessinateurs. Mais pour que les titres puissent durer en librairie, j'ai imaginé une collection de one shot dans le monde de Troy : Légendes de Troy. L'univers est tellement vaste que je peux raconter n'importe quelle histoire de fantasy si je joue entre la géographie et les époques. J'ai déjà deux, trois histoires en tête qui m'amusent beaucoup et des auteurs prêts à se lancer. Tarquin veut en faire un d'ailleurs. (rire). J'ai aussi un projet de séries avec Varanda et une autre avec Le Floch sur des naufragés de l'espace.