Actusf : Pouvez-vous nous parler de la genèse de la trilogie du Rempart Sud, dont les lecteurs français découvrent le premier tome avec Annihilation ?
Jeff VanderMeer : J’ai eu des complications suite à une opération chez le dentiste, avec de la fièvre et de grosses douleurs qui m’ont cloué au lit un certain temps. J’ai fait un cauchemar durant cette période, où je marchais dans un tunnel, ou une tour, et je voyais des mots qui bougeaient sur les murs, j’étais seul, il soufflait un vent frais, et le chemin que je parcourais s’enfonçait dans les profondeurs. Le genre de rêves où on ne sait pas qu’on rêve, et qui du coup est plutôt terrifiant, mais qui reste vivace au moment du réveil. Mon côté écrivain s’est dit qu’il y avait de la matière pour une histoire et avant d’en oublier le détail, je me suis donc levé, j’ai noté les mots du mur, qui sont exactement ceux que l’on retrouve dans le roman. Je me suis ensuite rendormi et à mon réveil suivant, j’avais le personnage de la biologiste, l’idée de cette expédition dans un endroit mystérieux... j’ai commencé à écrire les dix premières pages par la suite, avant de retourner me coucher à cause de la fièvre, et ainsi de suite pendant deux semaines, et au milieu de la deuxième semaine, j’avais dans ma tête l’intégralité de la trilogie. Ce n’est pas si inhabituel dans ma façon de travailler, puisque la majeure partie de mes romans ont démarré de cette façon !
Actusf : Pouvez-vous nous parler un peu du New Weird et du lien de votre roman avec ce genre, et de l’importance des rêves dans ce type de littérature ?
Jeff VanderMeer : Il y a toute une part du New Weird qui s’inspire du surréalisme, dans sa façon de mettre l’inconscient au centre du processus de création et les techniques employées pour y parvenir : comme ces peintres surréalistes dont les techniques font surgir de l’œuvre des formes ou des images qu’ils ne s’attendaient pas à trouver là. Le New Weird se rapproche sur bien des points de la SF New Wave, elle-même inspirée par le surréalisme. Il s’en distingue toutefois par un côté peut-être moins expérimental, à l’image de ce qu’a pu faire quelqu’un comme Angela Carter et d’autres écrivains après elle. S’ils s’inspirent des techniques du surréalisme, ils préfèrent s’en servir comme d’un outil supplémentaire au service de leurs histoires, et pas seulement comme un moyen de dévoiler leur inconscient. Dans le mouvement New Weird, les techniques d’écriture empruntées au surréalisme restent avant tout un outil de narration.
Actusf : On ne connaît pas très bien vos romans en France, à l’exception de La cité des saints et des fous, dont le personnage principal était à bien des égards la cité. Dans Annihilation, l’environnement aussi a son importance, non ?
Jeff VanderMeer : En effet, mais les personnages sont tout aussi importants ! C’est vrai qu’on ne sait pas grand chose sur eux dans le premier volet, mais ils vont se dévoiler davantage par la suite. Ce qui est intéressant pour les lecteurs, c’est que leur perception des personnages va évoluer tout au long de la trilogie, ces derniers ne sont pas figés. Ensuite le fil conducteur qui unit mes ouvrages précédents et cette trilogie, ce sont tous les thèmes liés à l’environnement, l’écologie, y compris les écologies un peu bizarres, et on retrouvait déjà ces thématiques dans La cité des saints et des fous.
Actusf : Quelles sont vos influences sur ce roman ? Vous connaissez Dino Buzzati ? Il y a certaines ressemblances avec son œuvre…
Jeff VanderMeer : C’est un très bon écrivain, qui n’est peut-être pas apprécié à sa juste valeur je trouve. Mais le livre qui a eu une influence déterminante sur Annihilation, c’est La montagne morte de la vie, de Michel Bernanos, qui je crois n’est pas très connu en France, alors que c’est un ouvrage extraordinaire dans sa manière d’appréhender la nature et l’environnement.
Actusf : Pour revenir sur l’environnement, celui de Annihilation est très varié, puisqu’il concentre plusieurs écosystèmes différents dans un seul et même endroit ; qu’est-ce qui vous a inspiré dans sa création ?
Jeff Vandermeer : La réserve naturelle St Marks, au nord de la Floride ressemble beaucoup à ce que je décris dans le roman, à l’exception bien sûr des événements bizarres. Ce type d’environnement existe vraiment, aussi surprenant que cela puisse paraître. J’ai même fait l’expérience d’une charge de sanglier, que j’évoque d’ailleurs dans le roman. C’était un sentiment assez étrange, puisqu’il charge d’assez loin pour qu’on ait le temps de décider de la façon de réagir, mais en même temps le danger se rapproche inexorablement. La scène avait quelque chose de comique, puisqu’on prenait le temps de se demander quelle arme on pourrait bien utiliser, alors que la bête nous fonçait dessus à toute vitesse ! Annihilation a donc une part autobiographique, et raconte aussi mon expérience de randonneur, ma rencontre avec la nature sauvage.
Actusf : Ce livre reste assez mystérieux au final, et c’est ce qui le rend fascinant ; on ne sait pas grand-chose mais est-ce que le brouillard se dissipe un peu par la suite ?
Jeff VanderMeer : Disons que certaines questions en suspens auront des réponses, mais qu’il restera toujours un peu de brume malgré tout ! Le premier volet décrit l’expédition dans la Zone X, le second se déroulera du côté de l’agence qui a envoyé les scientifiques dans cette zone. Ce qui permet de répondre à certains mystères laissés en suspens dans Annihilation. C’était d’ailleurs vraiment amusant puisque si on y regarde de plus près, c’est fou de voir à quel point elles peuvent être paranoïaques, et dysfonctionnelles surtout, dans leur volonté de tout maîtriser sans jamais y parvenir complètement.
Actusf : Il y a un vrai travail sur l’écriture, qui est à la fois fluide et poétique…
Jeff VanderMeer : Je suis content que vous le perceviez ainsi. Apparemment le traducteur n’a pas eu trop de difficultés avec mon style, c’était la même chose pour mon ouvrage précédent, j’ai une écriture apparemment assez proche de ce qui se fait en Europe. A ce propos la suite sera assez différente puisque prenant avec le point de vue d’un autre personnage, qui ne s’intéresse pas à son environnement, au contraire de la biologiste. Et puis John le Carré est l’un de mes auteurs favoris, donc attendez-vous aussi à un peu d’espionnage.
Actusf : Votre roman parle un peu de la curiosité dont tout un chacun fait chacun preuve, non ? L’envie de résoudre le mystère...
Jeff VanderMeer : C’est vrai qu’on a toujours envie d’en savoir plus, même si la vérité est terrifiante. Il y a le problème du réchauffement climatique, par exemple, qui est comme la Zone X. C’est-à-dire qu’il y a des choses invisibles, qu’on ne peut pas voir, mais qui n’en existent pas moins pour autant. Le réchauffement climatique est une réalité prouvée scientifiquement, mais dont on ne peut pas encore constater toutes les effets. Il y a eu une fuite de gaz en Californie récemment, et ça a pris pas mal de temps pour se mettre à régler le problème parce que les gens ne pouvaient pas le voir, et c’est pareil avec la pollution : on ne réagit pas parce qu’on ne saisit pas toutes les conséquences de nos actes, on ne sait pas trop par quel bout prendre le problème.
Quelqu’un a dit aux Etats-Unis que la Zone X était ce que nous sommes par rapport aux animaux ; une force inexplicable, dans le sens où nos actes sont rationnels de notre point de vue, mais sont incompréhensibles pour les animaux (et même pour certains d’entre nous, du reste). C’est assez juste je trouve, et le personnage de la biologiste est la seule à être à l’aise dans cet environnement-là, d’ailleurs, à se comporter en vraie scientifique. Je voulais éviter l’idée habituelle des films d’horreur, où tout le monde panique et se contente de crier (y compris les scientifiques) face à l’inconnu. On m’a déjà dit qu’elle était un peu trop calme, moi je pense que ces personnes ont vu trop de films d’horreur.
Actusf : Quelques mots encore sur ce premier volet de la trilogie du rempart sud ?
Jeff VanderMeer : J’espère que les lecteurs seront accrochés par cette idée de lieu empli de mystères, qu’ils voudront en apprendre plus sur lui en compagnie de la biologiste, qu’ils trouveront j’espère intéressante. Elle n’est pas un narrateur vraiment fiable, elle garde pour elle certaines informations, qu’elle donne au lecteur quand elle en a envie. C’est un journal écrit après les événements, elle peut donc choisir ce qu’elle va dévoiler ou non. La biologiste est plutôt un personnage introverti, c’est ce qui m’a paru intéressant dans la narration, même si les lecteurs américains et d’ailleurs sont davantage intéressés par les mystères de l’endroit et la paranoïa qui règne au sein de l’équipe, les différentes découvertes... chacun y trouvera son compte, mais si vous aimez les thrillers, vous aimerez je pense la façon dont l’histoire se déroule.
Actusf : C’était prévu pour être une trilogie dès le départ ?
Jeff VanderMeer : J’avais déjà une idée générale de mon histoire, je ne savais simplement pas exactement combien de livres il me faudrait pour la terminer, et j’en ai parlé avec mon agent qui m’a dit qu’on aviserait après avoir vendu le projet. Je pensais pour ma part arriver à cinq ouvrages, ce qui risquait d’effrayer un peu mon agent, mais par chance j’ai réussi à le réduire à quatre, puis à trois, qui est peut-être la taille idéale pour développer convenablement tout un univers, sans trop s’éparpiller. Quatre romans auraient été de trop, sachant que tout devait sortir sur une année au Etats-Unis, on courait droit au désastre !
Actusf : Vous éditez aussi des anthologies, vous préférez ce travail ou celui d’écrivain ? Les deux sont complémentaires ?
Jeff VanderMeer : Je suis écrivain depuis que j’ai huit ans, et anthologiste depuis mes treize ans, donc... je reste avant tout un écrivain mais concernant les anthologies que je concocte avec ma femme Ann, elles témoignent d’un type différent de curiosité, celle du détective qui s’occupe de traiter les affaires non classées, ou qui consiste à résoudre une équation mathématique, alors que les romans sont une véritable passion, plus directe. J’avoue que les anthologies nourrissent aussi mes fictions, par exemple quand on a édité l’énorme anthologie The Weird, on a lu plus de six millions de mots en fiction, et j’ai écrit Annihilation ensuite, donc ça n’a pas été sans influence.
Actusf : Une adaptation en film est prévue ?
Jeff VanderMeer : C’est en cours, le tournage va commencer en mai, avec Alex Garland à la réalisation, en Angleterre et dans des marais texans, je crois. La raison pour laquelle ça se déroulera là-bas est que ces marécages sont déjà bien abîmés et qu’un tournage ne pourra pas ajouter de dommages supplémentaires. Ce qui est un soulagement pour moi, car je ne voudrais pas qu’un film sur mes bouquins perturbe l’écosystème. Il devrait sortir l’année prochaine, et dispose d’un excellent casting, j’ai bon espoir qu’il soit bien.
Actusf : Jusqu’à quel point vous étiez impliqué dans ce projet ?
Jeff VanderMeer : Alex Garland a été vraiment super, il m'a tenu au courant de l’avancée du projet, m'a posé régulièrement des questions afin de peaufiner plusieurs points, en me montrant le script, des photos préparatoires pour les décors... je suis très satisfait du rendu visuel et potentiellement, ce sera sans doute un des plus beaux films que j’aurai vu. Ils font un travail remarquable, vraiment. C’est la même équipe que celle qui s’est occupé d’Ex-Machina.
Actusf : Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne adaptation ?
Jeff VanderMeer : Il y en a de deux types : la fidèle au roman qui est très bonne et celle qui n’est pas fidèle ce qui ne l’empêche pas d’être correcte. Le film de Garland sera sûrement de cet acabit, car c’est aussi un écrivain, et il a sa propre vision des choses, différente de la mienne. Sa patte sera aisément reconnaissable je crois, et je préfère ça à quelque chose de trop proche de mon roman, qui viendrait en quelque sorte le parasiter. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir deux oeuvres identiques.
Actusf : Merci pour vos réponses, est-ce que vous pouvez nous dire quels sont vos projets ?
Jeff VanderMeer : J’ai un nouveau roman qui va sortir l’année prochaine, en gros pour vous donner une idée de ce que c’est, essayez d’imaginer Godzilla et Mothra en train de se battre à l’arrière-plan, avec une pièce de théâtre de Tchekhov qui se joue au premier plan.
Et sinon j’ai fini une anthologie qui va retracer 100 ans d’histoires de science-fiction (annoncée sur le blog de l’auteur, http://www.jeffvandermeer.com/) qui sort cette année, un énorme pavé avec des auteurs de différents pays, y compris des français comme Jacques Barbéri ou Jean Claude Dunyach. On a un échantillon assez complet de la SF américaine bien sûr, mais aussi de pays comme la Russie et l’Ukraine, la Chine, le Japon... et peut-être pas autant de textes français qu’on aurait voulu, mais on prépare aussi une anthologie de fantasy, dans laquelle on espère avoir plus d’auteurs francophones. Pareil pour les auteurs japonais par exemple, on espère pouvoir en introduire davantage à l’avenir. Dans tous les cas, c’est une anthologie de science-fiction unique en son genre, par le nombre d’auteurs de pays différents qu’elle réunit. Ce sera édité en juillet prochain.
Jeff VanderMeer : J’ai eu des complications suite à une opération chez le dentiste, avec de la fièvre et de grosses douleurs qui m’ont cloué au lit un certain temps. J’ai fait un cauchemar durant cette période, où je marchais dans un tunnel, ou une tour, et je voyais des mots qui bougeaient sur les murs, j’étais seul, il soufflait un vent frais, et le chemin que je parcourais s’enfonçait dans les profondeurs. Le genre de rêves où on ne sait pas qu’on rêve, et qui du coup est plutôt terrifiant, mais qui reste vivace au moment du réveil. Mon côté écrivain s’est dit qu’il y avait de la matière pour une histoire et avant d’en oublier le détail, je me suis donc levé, j’ai noté les mots du mur, qui sont exactement ceux que l’on retrouve dans le roman. Je me suis ensuite rendormi et à mon réveil suivant, j’avais le personnage de la biologiste, l’idée de cette expédition dans un endroit mystérieux... j’ai commencé à écrire les dix premières pages par la suite, avant de retourner me coucher à cause de la fièvre, et ainsi de suite pendant deux semaines, et au milieu de la deuxième semaine, j’avais dans ma tête l’intégralité de la trilogie. Ce n’est pas si inhabituel dans ma façon de travailler, puisque la majeure partie de mes romans ont démarré de cette façon !
Actusf : Pouvez-vous nous parler un peu du New Weird et du lien de votre roman avec ce genre, et de l’importance des rêves dans ce type de littérature ?
Jeff VanderMeer : Il y a toute une part du New Weird qui s’inspire du surréalisme, dans sa façon de mettre l’inconscient au centre du processus de création et les techniques employées pour y parvenir : comme ces peintres surréalistes dont les techniques font surgir de l’œuvre des formes ou des images qu’ils ne s’attendaient pas à trouver là. Le New Weird se rapproche sur bien des points de la SF New Wave, elle-même inspirée par le surréalisme. Il s’en distingue toutefois par un côté peut-être moins expérimental, à l’image de ce qu’a pu faire quelqu’un comme Angela Carter et d’autres écrivains après elle. S’ils s’inspirent des techniques du surréalisme, ils préfèrent s’en servir comme d’un outil supplémentaire au service de leurs histoires, et pas seulement comme un moyen de dévoiler leur inconscient. Dans le mouvement New Weird, les techniques d’écriture empruntées au surréalisme restent avant tout un outil de narration.
Actusf : On ne connaît pas très bien vos romans en France, à l’exception de La cité des saints et des fous, dont le personnage principal était à bien des égards la cité. Dans Annihilation, l’environnement aussi a son importance, non ?
Jeff VanderMeer : En effet, mais les personnages sont tout aussi importants ! C’est vrai qu’on ne sait pas grand chose sur eux dans le premier volet, mais ils vont se dévoiler davantage par la suite. Ce qui est intéressant pour les lecteurs, c’est que leur perception des personnages va évoluer tout au long de la trilogie, ces derniers ne sont pas figés. Ensuite le fil conducteur qui unit mes ouvrages précédents et cette trilogie, ce sont tous les thèmes liés à l’environnement, l’écologie, y compris les écologies un peu bizarres, et on retrouvait déjà ces thématiques dans La cité des saints et des fous.
Actusf : Quelles sont vos influences sur ce roman ? Vous connaissez Dino Buzzati ? Il y a certaines ressemblances avec son œuvre…
Jeff VanderMeer : C’est un très bon écrivain, qui n’est peut-être pas apprécié à sa juste valeur je trouve. Mais le livre qui a eu une influence déterminante sur Annihilation, c’est La montagne morte de la vie, de Michel Bernanos, qui je crois n’est pas très connu en France, alors que c’est un ouvrage extraordinaire dans sa manière d’appréhender la nature et l’environnement.
Actusf : Pour revenir sur l’environnement, celui de Annihilation est très varié, puisqu’il concentre plusieurs écosystèmes différents dans un seul et même endroit ; qu’est-ce qui vous a inspiré dans sa création ?
Jeff Vandermeer : La réserve naturelle St Marks, au nord de la Floride ressemble beaucoup à ce que je décris dans le roman, à l’exception bien sûr des événements bizarres. Ce type d’environnement existe vraiment, aussi surprenant que cela puisse paraître. J’ai même fait l’expérience d’une charge de sanglier, que j’évoque d’ailleurs dans le roman. C’était un sentiment assez étrange, puisqu’il charge d’assez loin pour qu’on ait le temps de décider de la façon de réagir, mais en même temps le danger se rapproche inexorablement. La scène avait quelque chose de comique, puisqu’on prenait le temps de se demander quelle arme on pourrait bien utiliser, alors que la bête nous fonçait dessus à toute vitesse ! Annihilation a donc une part autobiographique, et raconte aussi mon expérience de randonneur, ma rencontre avec la nature sauvage.
Actusf : Ce livre reste assez mystérieux au final, et c’est ce qui le rend fascinant ; on ne sait pas grand-chose mais est-ce que le brouillard se dissipe un peu par la suite ?
Jeff VanderMeer : Disons que certaines questions en suspens auront des réponses, mais qu’il restera toujours un peu de brume malgré tout ! Le premier volet décrit l’expédition dans la Zone X, le second se déroulera du côté de l’agence qui a envoyé les scientifiques dans cette zone. Ce qui permet de répondre à certains mystères laissés en suspens dans Annihilation. C’était d’ailleurs vraiment amusant puisque si on y regarde de plus près, c’est fou de voir à quel point elles peuvent être paranoïaques, et dysfonctionnelles surtout, dans leur volonté de tout maîtriser sans jamais y parvenir complètement.
Actusf : Il y a un vrai travail sur l’écriture, qui est à la fois fluide et poétique…
Jeff VanderMeer : Je suis content que vous le perceviez ainsi. Apparemment le traducteur n’a pas eu trop de difficultés avec mon style, c’était la même chose pour mon ouvrage précédent, j’ai une écriture apparemment assez proche de ce qui se fait en Europe. A ce propos la suite sera assez différente puisque prenant avec le point de vue d’un autre personnage, qui ne s’intéresse pas à son environnement, au contraire de la biologiste. Et puis John le Carré est l’un de mes auteurs favoris, donc attendez-vous aussi à un peu d’espionnage.
Actusf : Votre roman parle un peu de la curiosité dont tout un chacun fait chacun preuve, non ? L’envie de résoudre le mystère...
Jeff VanderMeer : C’est vrai qu’on a toujours envie d’en savoir plus, même si la vérité est terrifiante. Il y a le problème du réchauffement climatique, par exemple, qui est comme la Zone X. C’est-à-dire qu’il y a des choses invisibles, qu’on ne peut pas voir, mais qui n’en existent pas moins pour autant. Le réchauffement climatique est une réalité prouvée scientifiquement, mais dont on ne peut pas encore constater toutes les effets. Il y a eu une fuite de gaz en Californie récemment, et ça a pris pas mal de temps pour se mettre à régler le problème parce que les gens ne pouvaient pas le voir, et c’est pareil avec la pollution : on ne réagit pas parce qu’on ne saisit pas toutes les conséquences de nos actes, on ne sait pas trop par quel bout prendre le problème.
Quelqu’un a dit aux Etats-Unis que la Zone X était ce que nous sommes par rapport aux animaux ; une force inexplicable, dans le sens où nos actes sont rationnels de notre point de vue, mais sont incompréhensibles pour les animaux (et même pour certains d’entre nous, du reste). C’est assez juste je trouve, et le personnage de la biologiste est la seule à être à l’aise dans cet environnement-là, d’ailleurs, à se comporter en vraie scientifique. Je voulais éviter l’idée habituelle des films d’horreur, où tout le monde panique et se contente de crier (y compris les scientifiques) face à l’inconnu. On m’a déjà dit qu’elle était un peu trop calme, moi je pense que ces personnes ont vu trop de films d’horreur.
Actusf : Quelques mots encore sur ce premier volet de la trilogie du rempart sud ?
Jeff VanderMeer : J’espère que les lecteurs seront accrochés par cette idée de lieu empli de mystères, qu’ils voudront en apprendre plus sur lui en compagnie de la biologiste, qu’ils trouveront j’espère intéressante. Elle n’est pas un narrateur vraiment fiable, elle garde pour elle certaines informations, qu’elle donne au lecteur quand elle en a envie. C’est un journal écrit après les événements, elle peut donc choisir ce qu’elle va dévoiler ou non. La biologiste est plutôt un personnage introverti, c’est ce qui m’a paru intéressant dans la narration, même si les lecteurs américains et d’ailleurs sont davantage intéressés par les mystères de l’endroit et la paranoïa qui règne au sein de l’équipe, les différentes découvertes... chacun y trouvera son compte, mais si vous aimez les thrillers, vous aimerez je pense la façon dont l’histoire se déroule.
Actusf : C’était prévu pour être une trilogie dès le départ ?
Jeff VanderMeer : J’avais déjà une idée générale de mon histoire, je ne savais simplement pas exactement combien de livres il me faudrait pour la terminer, et j’en ai parlé avec mon agent qui m’a dit qu’on aviserait après avoir vendu le projet. Je pensais pour ma part arriver à cinq ouvrages, ce qui risquait d’effrayer un peu mon agent, mais par chance j’ai réussi à le réduire à quatre, puis à trois, qui est peut-être la taille idéale pour développer convenablement tout un univers, sans trop s’éparpiller. Quatre romans auraient été de trop, sachant que tout devait sortir sur une année au Etats-Unis, on courait droit au désastre !
Actusf : Vous éditez aussi des anthologies, vous préférez ce travail ou celui d’écrivain ? Les deux sont complémentaires ?
Jeff VanderMeer : Je suis écrivain depuis que j’ai huit ans, et anthologiste depuis mes treize ans, donc... je reste avant tout un écrivain mais concernant les anthologies que je concocte avec ma femme Ann, elles témoignent d’un type différent de curiosité, celle du détective qui s’occupe de traiter les affaires non classées, ou qui consiste à résoudre une équation mathématique, alors que les romans sont une véritable passion, plus directe. J’avoue que les anthologies nourrissent aussi mes fictions, par exemple quand on a édité l’énorme anthologie The Weird, on a lu plus de six millions de mots en fiction, et j’ai écrit Annihilation ensuite, donc ça n’a pas été sans influence.
Actusf : Une adaptation en film est prévue ?
Jeff VanderMeer : C’est en cours, le tournage va commencer en mai, avec Alex Garland à la réalisation, en Angleterre et dans des marais texans, je crois. La raison pour laquelle ça se déroulera là-bas est que ces marécages sont déjà bien abîmés et qu’un tournage ne pourra pas ajouter de dommages supplémentaires. Ce qui est un soulagement pour moi, car je ne voudrais pas qu’un film sur mes bouquins perturbe l’écosystème. Il devrait sortir l’année prochaine, et dispose d’un excellent casting, j’ai bon espoir qu’il soit bien.
Actusf : Jusqu’à quel point vous étiez impliqué dans ce projet ?
Jeff VanderMeer : Alex Garland a été vraiment super, il m'a tenu au courant de l’avancée du projet, m'a posé régulièrement des questions afin de peaufiner plusieurs points, en me montrant le script, des photos préparatoires pour les décors... je suis très satisfait du rendu visuel et potentiellement, ce sera sans doute un des plus beaux films que j’aurai vu. Ils font un travail remarquable, vraiment. C’est la même équipe que celle qui s’est occupé d’Ex-Machina.
Actusf : Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne adaptation ?
Jeff VanderMeer : Il y en a de deux types : la fidèle au roman qui est très bonne et celle qui n’est pas fidèle ce qui ne l’empêche pas d’être correcte. Le film de Garland sera sûrement de cet acabit, car c’est aussi un écrivain, et il a sa propre vision des choses, différente de la mienne. Sa patte sera aisément reconnaissable je crois, et je préfère ça à quelque chose de trop proche de mon roman, qui viendrait en quelque sorte le parasiter. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir deux oeuvres identiques.
Actusf : Merci pour vos réponses, est-ce que vous pouvez nous dire quels sont vos projets ?
Jeff VanderMeer : J’ai un nouveau roman qui va sortir l’année prochaine, en gros pour vous donner une idée de ce que c’est, essayez d’imaginer Godzilla et Mothra en train de se battre à l’arrière-plan, avec une pièce de théâtre de Tchekhov qui se joue au premier plan.
Et sinon j’ai fini une anthologie qui va retracer 100 ans d’histoires de science-fiction (annoncée sur le blog de l’auteur, http://www.jeffvandermeer.com/) qui sort cette année, un énorme pavé avec des auteurs de différents pays, y compris des français comme Jacques Barbéri ou Jean Claude Dunyach. On a un échantillon assez complet de la SF américaine bien sûr, mais aussi de pays comme la Russie et l’Ukraine, la Chine, le Japon... et peut-être pas autant de textes français qu’on aurait voulu, mais on prépare aussi une anthologie de fantasy, dans laquelle on espère avoir plus d’auteurs francophones. Pareil pour les auteurs japonais par exemple, on espère pouvoir en introduire davantage à l’avenir. Dans tous les cas, c’est une anthologie de science-fiction unique en son genre, par le nombre d’auteurs de pays différents qu’elle réunit. Ce sera édité en juillet prochain.