« Qu’est-ce que ça change de traduire un roman imaginaire ? » À l’occasion du mois de l’imaginaire, nous nous sommes intéressés au métier de traducteur et avons posé quelques questions à Sandy Julien, l’un des traducteurs des Star Wars publiés aux éditions Pocket... Une interview menée par Lucile Galliot, la directrice de la collection Star Wars.
Peux-tu te présenter en quelques mots et nous indiquer les différents types de textes qu'il t'arrive de traduire ?
Sandy Julien : Je suis Sandy Julien, traducteur de romans et de jeux. J’ai eu l’occasion de participer à la traduction de plusieurs centaines de jeux, qu’il s’agisse de jeux de plateau (comme Assaut sur l’Empire pour Edge), de jeux de cartes (toute la gamme Munchkin, toujours pour Edge, où il a fallu traduire énormément de jeux de mots hilarants) ou d’ouvrages de jeux de rôle plus étoffés (Dungeons & Dragons, L’Appel de Cthulhu et bien évidemment Star Wars, entre autres univers). J’ai également un bon nombre de romans de zombies à mon tableau de chasse, des romans Star Wars, bien sûr, et plus récemment quelques récits de romance pour une autrice autopubliée. En parallèle, j’ai traduit quelques ouvrages de cinéma consacrés à des films que j’aime beaucoup (Grand Budapest Hotel, La forme de l’eau…) ainsi que quelques bandes dessinées (Dr Who et un comics à paraître dans l’univers du jeu Munchkin).
Qu'est-ce que ça change, selon toi, de traduire de l'imaginaire ?
Sandy Julien : Eh bien maintenant que j’y réfléchis, j’ai traduit bien peu de choses qu’on ne puisse rattacher au domaine de l’imaginaire ! À vrai dire, c’est même plutôt l’inverse : les ouvrages de romance me dépaysent énormément, dans la mesure où l’on n’y livre pas de duels au sabre laser et où l’on n’y croise aucune créature étrange !
Ce qui change dans des récits issus de l’imaginaire, c’est d’abord le lexique, qui contient bien évidemment une quantité de termes inédits, que l’on ne risque pas de trouver dans un dictionnaire (à moins de se fournir chez un libraire venu d’une autre dimension…). Un des grands plaisirs du traducteur consiste naturellement à proposer une version française de ces termes, la plus élégante possible, quelque chose qui sonne bien. Et dans ce domaine (comme dans la traduction de jeux de mots), il n’y a pas vraiment de règles : on va chercher des racines grecques ou latines, on explore les champs sémantiques en espérant trouver le terme parfait, celui qui rendra aussi bien le sens que la sonorité du mot d’origine, on peste et on râle jusqu’à ce que victoire linguistique s’ensuive !
Parmi les différentes littératures de l'imaginaire, qu'est-ce que ça change de traduire du Star Wars ?
Sandy Julien : En termes de lexique, justement, l’univers Star Wars est extrêmement riche. Il faut donc prendre garde à ne pas proposer une traduction inédite pour un nom de créature ou d’appareil technologique existant, ce qui nécessite parfois de ratisser des sources multiples : comics, romans, films et séries… sans compter les innombrables jeux que j’évoquais plus haut, auxquels s’ajoutent des jeux vidéo extrêmement riches aujourd’hui. Heureusement, la communauté des fans est là : les sites encyclopédiques représentent des atouts précieux, et les fans de l’univers sont toujours prêts à fournir des informations parfois trop pointues, même pour un fan de la première heure comme moi.
La deuxième spécificité des traductions Star Wars repose (à mes yeux en tout cas) sur la voix des personnages. J’aime beaucoup la VF des films de la première trilogie (IV-V-VI) : malgré quelques détails un peu ridicules aujourd’hui (comme Chiktabba pour Chewbacca), elle avait beaucoup de charme. Pour décrire Mos Eisley, Ben Kenobi qualifie la ville de « repaire des malandrins les plus infâmes de la galaxie ». En général, il s’exprime d’ailleurs davantage comme un personnage de film de cape et d’épée que comme l’ancien général d’une guerre galactique. Han Solo parle quant à lui comme un filou de film de gangsters à l’ancienne. « Pauvre cave… », déclare-t-il après avoir descendu Greedo (parce qu’il a tiré le premier). Le Moff Tarkin ne parle pas simplement de maîtriser les rebelles, il dit : « La peur : voilà ce qui bâillonnera les systèmes séditieux. » Je ne parle ici que du premier film, bien sûr, mais tous les personnages ont bel et bien une « voix » en VF, une façon de s’exprimer caractéristique, issue elle aussi de nombreuses sources. Réussir à rendre ces voix se révèle toujours très plaisant.
Mais il n’y a pas que des difficultés. Par exemple, je bénéficie d’un avantage absolument savoureux : quand je vois paraître un nouvel ouvrage consacré à Star Wars, je peux me jeter dessus en librairie, sans aucun scrupule, et déclarer « c’est pour le travail ! ».
Bref : je fais un bien beau métier !
Sandy Julien a traduit plusieurs titres de l’univers Star Wars publiés chez Pocket : Kenobi, L’Escouade Inferno, Twilight Company, Death Troopers, Baroud d’honneur, Les Seigneurs des Sith…