Actusf : Parlons un peu de toi. Quand as-tu commencé à lire de la science-fiction et de la fantasy ? Quels sont les auteurs qui t’ont particulièrement marqué ?

Les auteurs qui m’ont le plus marqué ? Enid Blyton dans un premier temps, puis Pierre Klossowski.
En ce qui concerne la hard SF, j’avoue avoir un faible pour Tolkien.
Actusf : Qu’est-ce qui te plaît et qu’est-ce qui t’a plu dans l’imaginaire ?
Karim Berrouka : 1. Son manque de réalisme.
2. La grande ouverture d’esprit des acteurs du genre, lecteurs, auteurs, éditeurs, critiques, etc. Il y a une liberté de création affolante dans ce milieu. Par exemple, on peut mettre, dans un récit, des dragons aux commandes de vaisseaux spatiaux, des vampires hémophiles qui dansent le tango avec Jean-Jacques Goldman, une baguette quantique dans les mains d’un septième fils d’un septième fils marmiton orphelin d’un château dont le roi cache un sombre secret, etc. Et être certain que tout le monde appréciera qu’on sorte des sentiers rebattus. En gros, la liberté d’imaginer l’imaginaire, sans barrière ni frontière.
3. L’absence quasi totale de romans d’autofiction.
Actusf : À quel moment as-tu commencé à écrire ? Et plus particulièrement des nouvelles et novellas ?
Karim Berrouka : Après avoir lu, dans la même nuit, l’intégralité du Mahâbhârata (avec les accents), d’À la recherche du temps perdu de Proust, des Rougon-Macquart de Zola et de La Comédie humaine de Balzac, j’ai eu une illumination. Je ne pouvais m’inscrire dans la continuité littéraire de ces générations passées. Je devais imposer ma révolution culturelle, assumer mon rôle de jeune rebelle (j’avais déjà six ans). Je devais épurer le propos, favoriser la concision, provoquer, choquer, faire court, toujours plus court. J’ai alors écrit des nouvelles, mais ce n’était pas bien révolutionnaire. Aujourd’hui, j’en suis aux micro-nouvelles, ce qui est un pas de plus vers le Grand Minimalisme Ultime qui me permettra, un jour, d’offrir autant d’aventure, de passion, de spéculation, de critique sociale, de mystère, d’horreur, d’émerveillement, de rêve dans un mot de trois lettres que dans une trilogie de mille cinq cents pages.
Actusf : Comment naissent tes textes et tes idées ? As-tu identifié chez toi le processus de création ?
Karim Berrouka : Je me drogue. Je me lacère les bras. Je marche dans le feu. Je cours dans les bois en hiver en caleçon (je courrais bien à poil mais je ne cherche pas tant que ça à finir à l’asile, bien que pour la crédibilité littéraire, ça peut être porteur de bien des potentialités). Je bois de l’acide. Je gobe des acides. La littérature, et plus généralement la création, est une affaire de souffrance. C’est bien connu. Je suis très fort en création.
Sans souffrance, il n’y a aucun surpassement de la condition spirituelle, morale et émotive, aucune tentative de sublimation de l’être. Sans souffrance, la littérature devient une littérature de confort. Elle se limite à respecter les codes, à calquer le bon goût, le politiquement correct, le financièrement rentable. En général, ça donne de la fantasy. Ou de la hard SF, mais là, il faut avoir eu 20 en maths et en physique au bac.
Actusf : Parle-nous un peu de ta manière de travailler. Comment ça se passe chez toi ?
Karim Berrouka : Je n’écris que dans le calme absolu. Je bosse dans les îles Kerguelen comme gardien de phare, ça me facilite la tâche.
Actusf : Tes premiers textes ont été publiés dans des fanzines comme Luna Fatalis. Quels sont les souvenirs de cette époque ?
Karim Berrouka : En fait, mes premiers textes ont été publiés en 1997 dans un fanzine assez génial, mais peu connu : l’Oulifan.
À l’époque, je ne connaissais personne. J’avais l’impression de débarquer à Ellis Island. Un nouveau monde s’ouvrait. Il m’a fallu du temps pour traverser les grandes plaines de l’imaginaire, pour enfin arriver sur les côtes du Pacifique de la littérature. Maintenant que j’ai tout vécu, que je connais tout le monde, je repars dans l’autre sens voir si je peux tirer quelque chose de concret, de significatif de l’expérience. C’est pas gagné d’avance…
Actusf : Le début des années 2000 est celui de L’Oxymore avec plusieurs nouvelles dans différentes anthologies (j’en ai compté une demi-douzaine). Quelle était l’ambiance avec eux ?
Karim Berrouka : Vraiment excellente. Franche camaraderie. On partait courir dans les bois à la tombée des fraîches nuits d’automne, on buvait des bières (rousses) assis sur les dolmens, on chantait des hymnes à Satan accompagnés par des hippies qu’on avait pris en stop et qu’on sacrifiait à Cthulhu s’ils nous jouaient Mrs Robinson ou Hotel California, on fumait de la weed en déclamant des épopées sur des shamans altaïques, on jouait au Monopoly avec des vierges effarouchées dans les cimetières et on mangeait des bébés en papillotes en discutant des précurseurs de la fantasy urbaine. Je me souviens, une fois, Jérôme Noirez et Léo Henry avaient trouvé les clefs d’un Sidh. On a fait un parcours de slalom spécial en plantant des elfes passés à l’amidon (sacrés boute-en-train, ces deux-là !). C’était le bon temps. Il y avait de l’insouciance dans l’air, et nos muses étaient tellement défoncées qu’elles nous inspiraient nos plus savoureux récits. D’où la grande qualité des publications de L’Oxymore. Depuis, chacun a suivi son chemin. Sire Cédric est devenu le premier vampire à briller dans le domaine du thriller, Jérôme Noirez et Léo Henry révolutionnent la littérature qui met du temps à s’en apercevoir, Luvan, Élisabeth Ebory, Lélio, Claude Mamier se font rares, mais dans la rareté l’excellence, Jess Kaan se cache dans le nord. Et Léa Silhol me déteste.
Actusf : Il y a eu L’Oxymore donc mais aussi Black Mamba, Parchemins et Traverses et puis bien entendu Griffe d’Encre... Tu aimes les « longues collaborations » ? Et qu’est-ce que chacune t’a apporté en tant qu’écrivain ?
Karim Berrouka : Je suis un peu du genre squatter, faut le savoir. Mauvaise nouvelle pour ActuSF : vous allez m’avoir sur le dos pendant un long moment !
Actusf : Même question d’ailleurs sur ton rôle de directeur de collection chez Griffe d’Encre sur les recueils. Comment bosses-tu avec les auteurs et est-ce que cela a des conséquences sur ta manière à toi d’écrire ?
Karim Berrouka : Bien sûr. Maintenant, je connais toutes les combines pour attirer l’attention d’un éditeur, tout ce qui peut intéresser un directeur de collection, toutes les flatteries qu’il faut faire, tous les coups de pute qu’on peut se permettre (mais uniquement sous pseudo sur les forums), comment les soudoyer, le moment idéal pour leur soûler la gueule, leurs faiblesses (elles sont nombreuses), leurs qualités (quand ils en ont). Bref, je suis une machine de guerre. Reste plus qu’à apprendre à écrire.
Sinon, en tant que directeur de collection, je demande aux auteurs de composer des recueils comme s’ils étaient des projets autonomes, avec une unité entre les textes, surtout pas de faire une compilation des nouvelles publiées à gauche et à droite depuis les dix dernières années. Tout ce que je n’ai pas fait dans le recueil ici présent. Comme quoi, l’auteur est aussi un être paradoxal (entre deux bouffées de souffrance).
Actusf : Comment as-tu sélectionné les nouvelles que tu nous as envoyées ?
Karim Berrouka : J’ai envoyé l’intégrale de mes nouvelles à CoCyclics. Et j’ai retenu celles qu’ils avaient trouvées imbitables.