Dans le monde de la hard science, il y a les trois Greg (Bear, Benford, Egan) et les quatre « Killer B’s » (Baxter, Bear, Benford et Brin). De ces cinq « US harders » de talent, David Brin (prononcer « Brine ») est le plus concerné par le devenir des civilisations. Son cycle de l’élévation est son grand œuvre. Une profession de foi prêchant la supériorité de la coopération, fruit de l’intelligence, sur la compétition, fruit de la paranoïa instinctive des espèces.
Après des études d’astronomie et de physique appliquée, il est entré en SF comme il est entré en philosophie : pour s’élever. Pour élargir sa vision dans l’espace, en imaginant d’autres civilisations extra-terrestres, et dans le temps, en étudiant les principes d’une solidarité entre civilisations, dont on sait, depuis « la crise de l’esprit » de Valéry, qu’elles sont mortelles. Au passage, il a décidé de faire prendre de la hauteur à ses lecteurs, en élevant l’humanité et les sociétés aliens vers la mise en commun d’un savoir universel et vers l’accélération de l’intelligence des espèces. Chaque civilisation devient un neurone de plus dans l’encéphale cosmique et veille à ce que d’autres civilisations émergent du cycle néguentropique du vivant. Une sorte de conscience écologique universelle à dimension galactique.
D’une certaine manière, David Brin marque une rupture dans l’histoire du space opera. Après lui, on ne peut plus regarder le genre du même œil. Finies les dualités manichéennes à la Star wars… Finies les sempiternelles querelles reptiliennes à la Starship troopers… Finies les aventures anecdotiques des surhommes intergalactiques… Finies les ermites scientifiques qui refondent le savoir d’un empire… On ne peut plus aborder une civilisation stellaire sans s’intéresser à son passé (qui l’a amenée là où elle est) et à son avenir (de quelles espèces assurera-t-elle l’avenir). L’espace devient le réceptacle de l’évolution vers une plus grande complexité génétique. Peu importe les espèces engagées, les gagnants et les perdants à court terme, ce qui compte c’est la diversité et l’assurance de l’accès à des stades supérieurs pour le plus grand nombre.
Une humanité mal élevée
Détourné de ses activités de formation des dauphins au centre de l’élévation, Jacob Demwa doit rejoindre de toute urgence la réserve extraterrestre de Baja, le long de la frontière avec le Mexique. Se faufilant entre les « Peaux » (les alienophobes, partisans de la sélection naturelle) et les « Chemises » ( les alienophiles, à la recherche de l’espèce alien qui aida autrefois l’humanité à progresser par palier), Jacob est invité à se rendre sur Mercure pour examiner de plus près un phénomène étrange qui intrigue les dirigeants humains et les ambassadeurs de civilisations extraterrestres amies.
Depuis la découverte des premiers aliens, les Tymbrinis, par le vaisseau Versarius dans la constellation du Cygne, les humains sont entrés en contact avec une multitude de civilisations exotiques qui ont foi en un credo commun : la noblesse de l’élévation. Les civilisations les plus prestigieuses sont celles qui ont aidé d’autres civilisations à s’élever à des stades supérieurs et rares sont les espèces orphelines, comme l’espèce humaine, qui n’ont pas bénéficié d’une aide pour accéder à l’intelligence et au stade du voyage interstellaire. L’élévation des dauphins et des chimpanzés et la préservation par les humains des autres espèces terrestres ont convaincu les aliens que nous étions dignes d’être aidés. Instrument de cette élévation, la Bibliothèque regroupe des savoirs qui peuvent être divulgués aux nouvelles espèces. En peu de temps, Homo Sapiens a donc pu se répandre dans le système solaire et coloniser d’autres planètes sur d’autres systèmes stellaires.
A bord de la sphère Bradbury, Jacob part sur Mercure en compagnie des aliens Bubbacub (conservateur de la Bibliothèque dédiée aux humains), Culla (son assistant, issu d’une espèce cliente de celle de Bubbacub), Fagin (une sorte d’arbre diplomate) et du journaliste Laroque. Il y rejoint le Dr Kepler, chef de la mission secrète, et le Dr Mildred (psychologue). Sur place, Jacob, qui souffre d’un syndrome schizoïde de dissociation, tentera de se remettre de la perte de son ex, tuée dans des circonstances exceptionnelles, en flirtant avec le capitaine d’une mission surprenante : entrer en contact avec des fantômes solaires.
Jacob devra rivaliser de perspicacité pour déjouer les plans machiavéliques de certains aliens, qui manipulent les humains, cette espèce si mal élevée, avec défiance et condescendance.
Le mystère des fantômes solaires
Le premier roman du cycle de l’élévation n’est pas facile à classer. L’inspiration du cycle, le principe de l’élévation, est géniale. On s’attend donc à une grande saga spatiale et temporelle où espèces mères et espèces filles vont en découdre à coup de fuites en avant technologiques et de coups bas ou de solidarités actives dans la sauvegarde de l’espèce humaine. On s’attend à ce que le soleil cache une révélation capable d’ébranler la certitude des civilisations les plus avancées…
Pas vraiment. En touches successives, le roman semble hésiter entre plusieurs directions et plusieurs genres : l’élévation des dauphins et la petite amie manquée de Jacob, les mouvements Peaux et Chemises, la schizophrénie bipolaire du héros, le passé mouvementé et héroïque de Jacob, sauveur de l’humanité, le contact avec les formes solaires vivantes. Ce n’est qu’en milieu d’ouvrage que le roman trouve son rythme et s’affirme comme un polar mercurien. Jacob est une sorte de Columbo solaire, peu adapté à son environnement, dont on se demande ce qu’il fait là, mais il mène son enquête. A partir de menus détails, c’est lui qui dénoue les fils de l’intrigue et déjoue les plans des méchants.
Un polar SF, donc, où il s’agit de décrypter les subterfuges dans lesquels des aliens peuvent plonger les humains dès lors qu’ils ont quelques talents de télépathe et d’émetteur laser. Un polar à quelques voix puisque l’intrigue (le mystère des fantômes solaires) implique un petit nombre d’acteurs et que le lecteur est invité à deviner les coupables. Un chimpanzé sapiens y perd la vie (Mais qui a tué le prof singe ?). Un vaisseau manque de sombrer dans l’abîme solaire. On est donc loin finalement de l’intuition cosmique du cycle.
Ce qui élève le niveau du roman, c’est qu’en dépit de ses angles de vue successifs et de sa claustrotropie (tendance à s’enfermer dans un microcosme), il respire l’intelligence et l’ouverture d’esprit. Tous les protagonistes sont subtils et clairvoyants (les humains sont les moins bien lotis). Les échanges sont de haute volée et, même si l’environnement est clos (mystère du vaisseau clos), l’esprit des aliens, de Jacob et du narrateur nous relie sans cesse à l’univers de l’élévation. Sans oublier la virtuosité scientifique de l’auteur qui rend crédible un voyage spatial en plein soleil. Et sa virtuosité littéraire qui donne envie de vivre cette descente aux enfers, très esthétique.
Finalement, David Brin a choisi l’intrigue policière pour tenir en haleine son lecteur, mais ce qui l’intéresse, c’est moins le mystère à résoudre que la psychologie des personnages (quelques morceaux d’anthologie sur la façon de penser ou d’agir des aliens), leur relation à l’altérité (comment comprendre l’autre et communiquer sans bévue) et les implications politiques de leurs choix personnels.
Selon que le lecteur privilégie le cadre spéculatif (la place de l’humanité dans le concert des civilisations) ou le cadre narratif (une manipulation et la volonté de ne pas y succomber), son ressenti n’est pas le même. Dans le second, David Brin se révèle au public (pour ce premier roman) comme un bon auteur. Dans le premier, il est un grand auteur.
Après des études d’astronomie et de physique appliquée, il est entré en SF comme il est entré en philosophie : pour s’élever. Pour élargir sa vision dans l’espace, en imaginant d’autres civilisations extra-terrestres, et dans le temps, en étudiant les principes d’une solidarité entre civilisations, dont on sait, depuis « la crise de l’esprit » de Valéry, qu’elles sont mortelles. Au passage, il a décidé de faire prendre de la hauteur à ses lecteurs, en élevant l’humanité et les sociétés aliens vers la mise en commun d’un savoir universel et vers l’accélération de l’intelligence des espèces. Chaque civilisation devient un neurone de plus dans l’encéphale cosmique et veille à ce que d’autres civilisations émergent du cycle néguentropique du vivant. Une sorte de conscience écologique universelle à dimension galactique.
D’une certaine manière, David Brin marque une rupture dans l’histoire du space opera. Après lui, on ne peut plus regarder le genre du même œil. Finies les dualités manichéennes à la Star wars… Finies les sempiternelles querelles reptiliennes à la Starship troopers… Finies les aventures anecdotiques des surhommes intergalactiques… Finies les ermites scientifiques qui refondent le savoir d’un empire… On ne peut plus aborder une civilisation stellaire sans s’intéresser à son passé (qui l’a amenée là où elle est) et à son avenir (de quelles espèces assurera-t-elle l’avenir). L’espace devient le réceptacle de l’évolution vers une plus grande complexité génétique. Peu importe les espèces engagées, les gagnants et les perdants à court terme, ce qui compte c’est la diversité et l’assurance de l’accès à des stades supérieurs pour le plus grand nombre.
Une humanité mal élevée
Détourné de ses activités de formation des dauphins au centre de l’élévation, Jacob Demwa doit rejoindre de toute urgence la réserve extraterrestre de Baja, le long de la frontière avec le Mexique. Se faufilant entre les « Peaux » (les alienophobes, partisans de la sélection naturelle) et les « Chemises » ( les alienophiles, à la recherche de l’espèce alien qui aida autrefois l’humanité à progresser par palier), Jacob est invité à se rendre sur Mercure pour examiner de plus près un phénomène étrange qui intrigue les dirigeants humains et les ambassadeurs de civilisations extraterrestres amies.
Depuis la découverte des premiers aliens, les Tymbrinis, par le vaisseau Versarius dans la constellation du Cygne, les humains sont entrés en contact avec une multitude de civilisations exotiques qui ont foi en un credo commun : la noblesse de l’élévation. Les civilisations les plus prestigieuses sont celles qui ont aidé d’autres civilisations à s’élever à des stades supérieurs et rares sont les espèces orphelines, comme l’espèce humaine, qui n’ont pas bénéficié d’une aide pour accéder à l’intelligence et au stade du voyage interstellaire. L’élévation des dauphins et des chimpanzés et la préservation par les humains des autres espèces terrestres ont convaincu les aliens que nous étions dignes d’être aidés. Instrument de cette élévation, la Bibliothèque regroupe des savoirs qui peuvent être divulgués aux nouvelles espèces. En peu de temps, Homo Sapiens a donc pu se répandre dans le système solaire et coloniser d’autres planètes sur d’autres systèmes stellaires.
A bord de la sphère Bradbury, Jacob part sur Mercure en compagnie des aliens Bubbacub (conservateur de la Bibliothèque dédiée aux humains), Culla (son assistant, issu d’une espèce cliente de celle de Bubbacub), Fagin (une sorte d’arbre diplomate) et du journaliste Laroque. Il y rejoint le Dr Kepler, chef de la mission secrète, et le Dr Mildred (psychologue). Sur place, Jacob, qui souffre d’un syndrome schizoïde de dissociation, tentera de se remettre de la perte de son ex, tuée dans des circonstances exceptionnelles, en flirtant avec le capitaine d’une mission surprenante : entrer en contact avec des fantômes solaires.
Jacob devra rivaliser de perspicacité pour déjouer les plans machiavéliques de certains aliens, qui manipulent les humains, cette espèce si mal élevée, avec défiance et condescendance.
Le mystère des fantômes solaires
Le premier roman du cycle de l’élévation n’est pas facile à classer. L’inspiration du cycle, le principe de l’élévation, est géniale. On s’attend donc à une grande saga spatiale et temporelle où espèces mères et espèces filles vont en découdre à coup de fuites en avant technologiques et de coups bas ou de solidarités actives dans la sauvegarde de l’espèce humaine. On s’attend à ce que le soleil cache une révélation capable d’ébranler la certitude des civilisations les plus avancées…
Pas vraiment. En touches successives, le roman semble hésiter entre plusieurs directions et plusieurs genres : l’élévation des dauphins et la petite amie manquée de Jacob, les mouvements Peaux et Chemises, la schizophrénie bipolaire du héros, le passé mouvementé et héroïque de Jacob, sauveur de l’humanité, le contact avec les formes solaires vivantes. Ce n’est qu’en milieu d’ouvrage que le roman trouve son rythme et s’affirme comme un polar mercurien. Jacob est une sorte de Columbo solaire, peu adapté à son environnement, dont on se demande ce qu’il fait là, mais il mène son enquête. A partir de menus détails, c’est lui qui dénoue les fils de l’intrigue et déjoue les plans des méchants.
Un polar SF, donc, où il s’agit de décrypter les subterfuges dans lesquels des aliens peuvent plonger les humains dès lors qu’ils ont quelques talents de télépathe et d’émetteur laser. Un polar à quelques voix puisque l’intrigue (le mystère des fantômes solaires) implique un petit nombre d’acteurs et que le lecteur est invité à deviner les coupables. Un chimpanzé sapiens y perd la vie (Mais qui a tué le prof singe ?). Un vaisseau manque de sombrer dans l’abîme solaire. On est donc loin finalement de l’intuition cosmique du cycle.
Ce qui élève le niveau du roman, c’est qu’en dépit de ses angles de vue successifs et de sa claustrotropie (tendance à s’enfermer dans un microcosme), il respire l’intelligence et l’ouverture d’esprit. Tous les protagonistes sont subtils et clairvoyants (les humains sont les moins bien lotis). Les échanges sont de haute volée et, même si l’environnement est clos (mystère du vaisseau clos), l’esprit des aliens, de Jacob et du narrateur nous relie sans cesse à l’univers de l’élévation. Sans oublier la virtuosité scientifique de l’auteur qui rend crédible un voyage spatial en plein soleil. Et sa virtuosité littéraire qui donne envie de vivre cette descente aux enfers, très esthétique.
Finalement, David Brin a choisi l’intrigue policière pour tenir en haleine son lecteur, mais ce qui l’intéresse, c’est moins le mystère à résoudre que la psychologie des personnages (quelques morceaux d’anthologie sur la façon de penser ou d’agir des aliens), leur relation à l’altérité (comment comprendre l’autre et communiquer sans bévue) et les implications politiques de leurs choix personnels.
Selon que le lecteur privilégie le cadre spéculatif (la place de l’humanité dans le concert des civilisations) ou le cadre narratif (une manipulation et la volonté de ne pas y succomber), son ressenti n’est pas le même. Dans le second, David Brin se révèle au public (pour ce premier roman) comme un bon auteur. Dans le premier, il est un grand auteur.