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Les Douze Rois De Sharakhaï

Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 17/08/2016  -  livre
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Les Douze Rois De Sharakhaï

L’auteur américain Bradley P. Beaulieu n’a cessé d’écrire de la fantasy depuis son entrée à l’université. Auteur de la saga Lays of Anuskaya et de plusieurs nouvelles, ses œuvres reçoivent des distinctions telles que deux Hotties dans la Pat’s Fantasy Hotlist (Meilleur Roman et Meilleur Nouvel Auteur), ainsi qu’une nomination au Gemmell Morningstar Award pour The Winds of Khalakovo (roman qui inaugure le cycle Lays of Anuskaya). Le premier tome de sa nouvelle saga Les Douze Rois de Sharakhaï a déjà été encensé par de grands écrivains du genre. C’est à travers la lecture d’extraits il y a deux ou trois ans que le fondateur des éditions de Bragelonne et directeur de la publication Stéphane Marsan fait la connaissance du manuscrit, dont il tombe d’emblée sous le charme. Chaque année, les éditions Bragelonne publient un ou deux phénomènes littéraires de l’univers anglo-saxon : si Mage de guerre de Stephen Aryan inaugure l’année 2016, le second choix s’est naturellement porté sur Les Douze Rois de Sharakhaï, qui marque son entrée d’un coup de sabre dans leur catalogue…
 
Promesses de vengeance
 
Çeda est la Louve Blanche des arènes de Sharakhaï. Elle se bat pour vivre, mais c’est une motivation bien plus profonde qui l’a conduite sur les pistes de combats : venger sa mère, exécutée de façon abominable par les dirigeants de la cité. Désormais suffisamment aguerrie pour s’attaquer aux assassins de sa mère, elle peut enfin tenir sa promesse : tuer les douze Rois de Sharakhaï, ces immortels qui ont passé un pacte avec les dieux et qui contrôlent la cité grâce aux asirims, terribles spectres qui assurent leur protection. Mais pendant une nuit de Beht Zha’ir, où les spectres hantent les rues pour enlever les citoyens, l’une des créatures ceintes d’une couronne d’or lui murmure des mots énigmatiques.
 
Çeda sait que ces secrets ont un lien avec sa mère, son passé et les Rois. Et elle sait qu’elle devra prendre de grands risques pour découvrir lequel. 
 
Une cité et une atmosphère envoûtantes
 
Un premier coup d’œil au format, au volume et à la couverture du roman nous fait comprendre que l’on a affaire à une vraie histoire, sérieuse, dense. On ne peut pas encore deviner que Les Douze Rois de Sharakhaï a un côté captivant. L’univers, oriental, est très travaillé, il n’y a aucun doute là-dessus. La cité, les personnages prennent vie sous nos yeux, grâce à une plume fluide et dynamique, ainsi qu’à des détails réalistes, en particulier des noms d’objets, de plats, de fêtes bien trouvés. Les descriptions sont riches et colorées. Les cartes au début du livre donnent le ton de façon très sympathique. Le souffle du récit nous emporte grâce à une alternance entre action, repos, enquêtes, histoires soigneusement dessablées et racontées d’une voix profonde (passé de Çeda, légendes). 
 
Les personnages sont à mon sens le point fort du roman (la cité de Sharakhaï constituant en quelque sorte le personnage principal – et éponyme. On remarque d’ailleurs que l’héroïne, Çeda, ne donne son nom ni au cycle ni au tome). Il est très agréable de suivre les aventures de Çeda, de son ami d’enfance et potentiel amant Emre. Ramahd, lui, n’est pas aussi passionnant mais il n’est pas antipathique. Même si leur but n’est pas original (la vengeance), leur évolution personnelle et leurs relations sont assez intéressantes pour que l’on s’attache à eux. On regretterait peut-être que certains soient mis à l’écart rapidement, comme Osman, qui a tendance à disparaître au fil du roman. Çeda a quant à elle toutes les qualités, à cela près que sa pléthore de talents (la beauté, le talent martial, le caractère…) fait justement d’elle une héroïne trop exceptionnelle, au destin évidemment sur mesure. Ses capacités paraissent d’autant plus remarquables qu’elle reste très jeune, sentiment accentué par la permanente qualification de « jeune fille » dans la traduction française (au lieu de « jeune femme »). Son expérience des arènes paraît surtout être un prétexte pour justifier ses aptitudes martiales extraordinaires. 
 
Il n’en reste pas moins que les personnages, la cité, restent les atouts du roman. 
 
Mais une intrigue pas aussi ensorcelante
 
L’intrigue en revanche n’est pas toujours palpitante. Le fil principal est très simple mais il a le mérite d’être clair : la vengeance de Çeda envers/sur les Rois. Les étapes qui vont conduire à cet objectif ne sont par contre pas toujours passionnantes, ni riches en révélations. Les énigmes me semblaient parfois être un simple bâton envoyé dans les roues de l’intrigue, pour la retarder à bon escient. Je me suis plutôt laissée ballotter par les petites péripéties sans trop savoir où elles m’emmenaient, plutôt guidée par le désir d’en savoir plus sur Çeda et Emre (leur seule présence rend un chapitre intéressant). La grande révélation faite par les asirims à la fin n’est pas particulièrement tonitruante, peut-être est-ce parce que le lecteur a du mal à saisir les enjeux… Sharakhaï est également un univers empreint de magie (les fleurs d’adicharas, des pierres magiques, une sorcière du désert, des invocations de spectres, et même des dieux qui peuvent intervenir physiquement), ce qui fait le charme du roman, mais certaines limites ne sont pas toujours bien explicitées (entraînant des réactions de l’ordre du « c’était possible, ça ? »). 
 
Une structure déséquilibrée
 
La structure d’ensemble est elle-même parfois perturbante, avec des effets de retardement et des longueurs inutiles, qui coupent l’action. Les chapitres peuvent être catégorisés en cinq types : les séquences relatives à Çeda, à son passé, à Emre, à Ramahd, à l’un des douze Rois, Ihsan. Étant donné que l’alternance n’est pas toujours régulière, il est possible d’oublier ce qui est arrivé à un personnage ou ne pas comprendre d’emblée ce qu’ils cherchent à faire (par exemple : qu’est-ce qui a conduit Emre et Çeda enfants dans telle situation…). Les flash-back ont toujours un côté agaçant, mais dans Les Douze Rois de Sharakhaï, ils sont nécessaires pour mieux comprendre l’identité de la Çeda actuelle et les motifs de sa vengeance, notamment les premières fois. Ils sont cependant trop nombreux ; des retours en arrière plus courts, moins détaillés, ou simplement quelques paragraphes de résumé auraient été plus appréciés. À cela s’ajoutent les chapitres de Ramahd et Ihsan tout de même bien moins savoureux que ceux de Çeda ou son ami. 
 
Je dirais qu’au début, les bons jalons étaient posés mais que la seconde partie du roman n’est pas toujours à la hauteur des espérances. Une fois Çeda accueillie à Tauriyat, la cité des Rois, il est possible d’être un peu déçu. Les Rois étaient dépeints comme des monstres, mais la tension n’est pas au rendez-vous : ils ne sont pas terrifiants dans les scènes où ils apparaissent, ce qui est peut-être un masque, mais de fait, leur première présentation est assez banale. On ne les imagine pas être les auteurs des atrocités qu’ils commettent quotidiennement. Les Vierges elles-mêmes apparaissent plutôt comme des consœurs jalouses de la nouvelle recrue et empêtrées dans des rivalités assez enfantines. Pour un roman qui brille par son atmosphère, on regretterait un manque de détails dans la seconde partie, par exemple au sujet de l’organisation des Vierges, des bâtiments de Tauriyat, des loisirs des Rois, de leurs relations entre eux… Étant douze, ces derniers sont surtout décrits dans leur ensemble sans être réellement individualisés. Lorsqu’ils le sont, que l’on arrive à se souvenir de leur nom et de leur fonction, ils ne font pas frissonner. Himsuett, le roi des Lames, fait figure de simple entraîneur, une sorte de père réprimandant de mauvais élèves. Certaines révélations que l’auteur soignait depuis le début sont également expédiées en quelques lignes et leur contenu ne fait finalement pas ciller le lecteur. Une plus grande nervosité aurait été bien appréciée. 
 
Le point de départ d’une grande saga
 
Ces remarques ne doivent toutefois pas faire douter de la qualité du premier volet de la saga Les douze Rois de Sharakhaï. Ce roman dense fait à coup sûr voyager son lecteur dans un univers oriental ensorcelant et menaçant. C’est le genre de livre dont on se souvient et que le catalogue de Bragelonne devrait aisément se remémorer (rien que la couverture parvient à se démarquer parmi toutes les magnifiques rivales de la même édition). Nul doute que Bradley P. Beaulieu nous offre une belle fleur d’adicharas en guise de second tome, lui qui n’en est pas à sa première réussite. Si l’occasion m’était donnée de lire la suite, je le ferais avec plaisir, surtout pour suivre l’évolution des deux protagonistes. Il ne reste plus qu’à patienter jusqu’à sa parution française dans le courant 2017, pour ceux qui n’attendraient pas déjà le tome trois dans sa version originale… 

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