Il avait failli s'appeler Banyan, mais à la puissance d'évocation d'un ficus géant, ses hippies de parents ont préféré les mystères de l'Orient millénaire, et ce fût donc China. Le prénom est insolite, et l'auteur ne l'est pas moins.
Avec son look (qui lui a valu le sobriquet assez poussif de "Lord of the Earings " - Le Seigneur des boucles d'oreilles), on s'attendrait plutôt à le voir officier, baguettes en mains, dans la section rythmique de Nine Inch Nails. Mais lorsqu'il n'écrit pas, China Miéville se pique de faire chauffer les dance floors avec une drum n'bass agressive. Il dessine aussi, et ambitionne même de sortir son comics un de ces jours. Candidat sur une liste trotskyste aux législatives anglaises, diplômé d'économie de l'université de Cambridge et doctorant en "Philosophie du droit international", il se définit, comme un authentique geek - en dépit des apparences - et comme un control freak si absolu que la simple idée de fumer un joint le panique. Ce qui laisse perplexe si on se penche un peu plus attentivement sur son paysage imaginaire.
Pour son troisième roman, China Miéville retourne en Bas-Lag, ce monde qu'il avait déjà ébauché dans le multi-cocardé Perdido Street Station. Mais alors que ce dernier se passait tout entier au cœur de la métropole délirante de Nouvelle-Crobuzon, c'est cette fois avec Bellis - linguiste révêche fuyant la puissante cité - que s'ouvre Les Scarifiés.
Afin de se faire oublier quelques années par la justice qui cherche encore à élucider les mystères au cœur de l'intrigue de Perdido Street Station, Bellis Frédévin embarque à bord du Terpschoria pour la colonie de Nova Esperium. Si le lourd navire marchand assure le transport de quelques passagers - dont une bonne sœur engrossée et un naturaliste enthousiaste - ce n'est pas là sa vocation première. Il emporte surtout dans ses cales des vivres et du matériel destinés aux colons d'outre-mer, ainsi qu'une cargaison de Recrées. Afin de porter à tout jamais les stigmates de leurs fautes, ces proscrits ont été condamnés par la justice crobuzonaise à se voir modifier par adjonction d'éléments étrangers ou mécaniques. Pour eux bien-sûr, l'exil sera définitif, et prendra les allures d'un esclavage à peine déguisé.
Au cours d'une première escale un homme rejoint le Terpsichoria. Il dit s'appeler Silas Fennec, et présente des lettres de créances l'autorisant à dérouter le navire vers son port d'attache pour y acheminer des renseignements de toute première importance. Mais alors que l'immense vapeur fait demi-tour pour rejoindre Nouvelle-Crobuzon, il est attaqué par des pirates qui s'en emparent avec une facilité déconcertante. Le commandement du vaisseau promptement décapité, les nouveaux maîtres à bord font route vers le Nord, pour, au bout de quelque jours, arriver en vue du plus formidable assemblage de bateaux que Bellis ait jamais vu. Des milliers de voiliers, vapeurs, croiseurs, frégates, sloops, barcasses, tous reliés entre-eux par des pontons de bois vermoulus et des amarres antiques. Tous formant une incroyable ville flottante. Une ville du nom d'Armada.
Il est tout simplement impossible de résumer en si peu de lignes les prémices des Scarifiés, tant la densité incroyable de l'imaginaire de China Miéville vous a déjà emmenée loin au bout de ces quelques pages. Car son monde est peuplé de créatures étranges - hommes-cactus, femmes-scarabées, créatures amphibies, monstres marins titanesques, etc…. La fascination qu'il avoue pour la monstruosité est omniprésente, baroque et merveilleuse, et s'applique aussi bien à ses personnages qu'à ses décors. Elle ressort d'autant plus évidemment que son style ostentatoire la lustre d'un vernis baroque que Miéville ne renie pas. Loin de là. Cette écriture qu'il travaille tant, tient tout à la fois du grandiloquent et de la trash-culture. Et si la sauce prend, c'est qu'il y a tout bonnement du génie chez lui. Et la part de folie subséquente. Car en dépit de sa politisation extrême et de son engagement en tant qu'homme, la fiction de China Miéville ne sert pas de grande cause. Elle ne trouve sa justification que dans l'éclatement de ces créations foisonnantes, luxuriantes, qui semblent ne trouver leur voie jusqu'à nous que pour ne pas le conduire à la folie. La démesure de son monde ne trouve son équivalent que chez les plus grands. Certes avec Armada il explore un égalitarisme que seuls son isolement rend possible (ce qui ne l'épargne en rien des gangrènes du pouvoir). Bien entendu, il s'applique à donner à ses personnages une consistance qui dépasse de loin la caractérisation hâtive qui est généralement la norme dans les romans de fantasy. Oui, avec cette quête impossible à laquelle Bellis va participer, il explore les tréfonds de l'âme humaine, tout comme, en son temps, son presque homonyme l'avait fait en lançant Achab à la poursuite de la baleine blanche. Mais tout cela n'est rien en regard de l'incroyable vigueur de son inventivité.
Se réclamant de la Weird Fiction, il se pourrait en fait que China Miéville soit le prototype d'une nouvelle race d'auteurs. Plus en phase avec notre siècle. Oserons-nous le post-auteur, histoire d'être à la mode ? Une chose est certaine, il a ce talent rare de nous faire nous rappeler pourquoi nous aimons ces littératures alternatives. China Miéville transpire littéralement le merveilleux. Ce que les anglo-saxons appellent "the sense of wonder". Les Scarifiés est un chef d'œuvre séminal, une claque, un trésor. Et surtout, surtout, vous ne devez vous en privez sous aucun prétexte.
Avec son look (qui lui a valu le sobriquet assez poussif de "Lord of the Earings " - Le Seigneur des boucles d'oreilles), on s'attendrait plutôt à le voir officier, baguettes en mains, dans la section rythmique de Nine Inch Nails. Mais lorsqu'il n'écrit pas, China Miéville se pique de faire chauffer les dance floors avec une drum n'bass agressive. Il dessine aussi, et ambitionne même de sortir son comics un de ces jours. Candidat sur une liste trotskyste aux législatives anglaises, diplômé d'économie de l'université de Cambridge et doctorant en "Philosophie du droit international", il se définit, comme un authentique geek - en dépit des apparences - et comme un control freak si absolu que la simple idée de fumer un joint le panique. Ce qui laisse perplexe si on se penche un peu plus attentivement sur son paysage imaginaire.
Pour son troisième roman, China Miéville retourne en Bas-Lag, ce monde qu'il avait déjà ébauché dans le multi-cocardé Perdido Street Station. Mais alors que ce dernier se passait tout entier au cœur de la métropole délirante de Nouvelle-Crobuzon, c'est cette fois avec Bellis - linguiste révêche fuyant la puissante cité - que s'ouvre Les Scarifiés.
Afin de se faire oublier quelques années par la justice qui cherche encore à élucider les mystères au cœur de l'intrigue de Perdido Street Station, Bellis Frédévin embarque à bord du Terpschoria pour la colonie de Nova Esperium. Si le lourd navire marchand assure le transport de quelques passagers - dont une bonne sœur engrossée et un naturaliste enthousiaste - ce n'est pas là sa vocation première. Il emporte surtout dans ses cales des vivres et du matériel destinés aux colons d'outre-mer, ainsi qu'une cargaison de Recrées. Afin de porter à tout jamais les stigmates de leurs fautes, ces proscrits ont été condamnés par la justice crobuzonaise à se voir modifier par adjonction d'éléments étrangers ou mécaniques. Pour eux bien-sûr, l'exil sera définitif, et prendra les allures d'un esclavage à peine déguisé.
Au cours d'une première escale un homme rejoint le Terpsichoria. Il dit s'appeler Silas Fennec, et présente des lettres de créances l'autorisant à dérouter le navire vers son port d'attache pour y acheminer des renseignements de toute première importance. Mais alors que l'immense vapeur fait demi-tour pour rejoindre Nouvelle-Crobuzon, il est attaqué par des pirates qui s'en emparent avec une facilité déconcertante. Le commandement du vaisseau promptement décapité, les nouveaux maîtres à bord font route vers le Nord, pour, au bout de quelque jours, arriver en vue du plus formidable assemblage de bateaux que Bellis ait jamais vu. Des milliers de voiliers, vapeurs, croiseurs, frégates, sloops, barcasses, tous reliés entre-eux par des pontons de bois vermoulus et des amarres antiques. Tous formant une incroyable ville flottante. Une ville du nom d'Armada.
Il est tout simplement impossible de résumer en si peu de lignes les prémices des Scarifiés, tant la densité incroyable de l'imaginaire de China Miéville vous a déjà emmenée loin au bout de ces quelques pages. Car son monde est peuplé de créatures étranges - hommes-cactus, femmes-scarabées, créatures amphibies, monstres marins titanesques, etc…. La fascination qu'il avoue pour la monstruosité est omniprésente, baroque et merveilleuse, et s'applique aussi bien à ses personnages qu'à ses décors. Elle ressort d'autant plus évidemment que son style ostentatoire la lustre d'un vernis baroque que Miéville ne renie pas. Loin de là. Cette écriture qu'il travaille tant, tient tout à la fois du grandiloquent et de la trash-culture. Et si la sauce prend, c'est qu'il y a tout bonnement du génie chez lui. Et la part de folie subséquente. Car en dépit de sa politisation extrême et de son engagement en tant qu'homme, la fiction de China Miéville ne sert pas de grande cause. Elle ne trouve sa justification que dans l'éclatement de ces créations foisonnantes, luxuriantes, qui semblent ne trouver leur voie jusqu'à nous que pour ne pas le conduire à la folie. La démesure de son monde ne trouve son équivalent que chez les plus grands. Certes avec Armada il explore un égalitarisme que seuls son isolement rend possible (ce qui ne l'épargne en rien des gangrènes du pouvoir). Bien entendu, il s'applique à donner à ses personnages une consistance qui dépasse de loin la caractérisation hâtive qui est généralement la norme dans les romans de fantasy. Oui, avec cette quête impossible à laquelle Bellis va participer, il explore les tréfonds de l'âme humaine, tout comme, en son temps, son presque homonyme l'avait fait en lançant Achab à la poursuite de la baleine blanche. Mais tout cela n'est rien en regard de l'incroyable vigueur de son inventivité.
Se réclamant de la Weird Fiction, il se pourrait en fait que China Miéville soit le prototype d'une nouvelle race d'auteurs. Plus en phase avec notre siècle. Oserons-nous le post-auteur, histoire d'être à la mode ? Une chose est certaine, il a ce talent rare de nous faire nous rappeler pourquoi nous aimons ces littératures alternatives. China Miéville transpire littéralement le merveilleux. Ce que les anglo-saxons appellent "the sense of wonder". Les Scarifiés est un chef d'œuvre séminal, une claque, un trésor. Et surtout, surtout, vous ne devez vous en privez sous aucun prétexte.