Un fauve d’or du Festival d’Angoulême 2010 pour le troisième album de Pascal Brutal, c'était plutôt inattendu au vu de la richesse de la sélection officielle. Il y avait plus beau, il y avait plus émouvant, il y avait plus subtil, il y avait plus utile. La série a déjà sa notoriété et vit sa vie. A priori, pas besoin d'un coup de pouce. Surtout que depuis L'Enquête corse et Isaac le pirate en 2001 et 2002, Angoulême n'a récompensé que des romans graphiques. Alors pourquoi cette reconnaissance imprévue ?

La sortie en 2009 des Beaux gosses, de Riad Sattouf,  n'a rien à voir à l'histoire. Angoulême a couronné un album, pas un réalisateur. Le copinage Fluide Glacial ? Ça ne suffit pas. Non, le Jury n'a pas voulu enfermer Angoulême dans les œuvres intimistes et élitistes. Il a été séduit par l'univers jeune et banlieue de la série, par le tonus et l'humour absurde des textes. Le Jury a peut-être voulu stigmatiser les travers d'une époque, car, sous couvert d'un Pascal Brutal héros lubrique d'un futur ultralibéral, Riad Sattouf dépèce le présent et ses relents égalicides (virilité, violence, injustice, intégrisme, patriotisme).

C'est la société qui est brutale, pas Pascal. Dans une société en crise, le Jury a préféré revenir à la dure réalité du social, fût-elle sublimée par l'égo en érection d'un supermâle.

La brute lubrique au scalpel

En une dizaine de tranches de vie, nous en apprenons toujours plus sur la vie trépidante de Pascal Brutal. Dans Le nourrisson Pascal, le héros est à lui tout seul un phénomène de précocité et de retard mental. C'est sa première gourmette qui viendra à bout de ses blocages. Le mentor d'incubateur est une tentative désespérée de l'État pour faire de Pascal Brutal un entrepreneur. Virility escort présente le seul métier à la mesure de sa virilité.

Dans Miss Région Bretagne, le supermâle se laisse abuser par une miss un peu spéciale . Avec Commando Virilo, nous comprenons pourquoi un Pascal Brutal peut être utile à l'armée française face à un émule de Ben Laden. Pascal Brutal d'Arabie est une tentative du héros magnanime de réparer une erreur de jeunesse. On y apprend que le chanteur "Riad Sattouf", devenu président syrien, permit de libérer les femmes et l'énergie créatrice arabes.

La violence gratuite et sauvage n'est pas absente de l'album dans une histoire muette dont le titre est à lire sur le visage de Pascal Brutal. Heureusement, le conte du Retour du roi nous rappelle que Pascal n'est pas qu'une brute et une bête de sexe et qu'il est prêt à tout pour soigner une blessure amoureuse.

En fait, on comprend mieux les surperformances sexuelles et les sous-performances mentales du héros dans Vis ma vie, une immersion brutale dans Pascal, dans Viril de corps, breton de cœur, un article de journal, et, bien sûr, dans sa Description anatomique, un examen clinique impitoyable.

L'anticlone

Auteur de Jérémie, du Manuel du Puceau et de Retour au collège, réalisateur des Beaux Gosses, Riad Sattouf aime se raconter ou tourner en dérision les troubles de l'adolescence et les premières relations amoureuses. En livrant ses chroniques hebdomadaires à Charlie-Hebdo sur La Vie secrète des jeunes (publié chez l'Association), il s'est fait une spécialité de l'observation des comportements stéréotypés des juniors. Il oscille toujours avec humour entre analyse sociale et autofiction. En créant le personnage de Pascal Brutal, il prend le contrepied de l'autodérision puisqu'il place le héros sur un piédestal ("le plus fort des plus forts"), un piédestal duquel il trébuche très souvent, mais il n'a peur de rien. Effet de l'âge, peut-être, mais ce n'est plus le manque de confiance en soi qui perturbe le héros.

Biceps surdimensionnés, nez en forme de sexe érigé, Pascal Brutal est un queutard décomplexé. Parfois vedette nationale, il est le symbole de la France sûre d'elle et sans état d'âme (à la OSS117 version Dujardin). Riad Sattouf n'oublie pas ses origines et, comme il fait de son personnage une sorte d'anticlone biographique, le franchouillard Pascal Brutal est devenu un breton, plutôt branché banlieue et imprégnée de culture arabe. Mais derrière les apparences, Pascal Brutal est un héros multiforme. Il oscille entre plusieurs figures : le superhéros national qui sauve la nation d'une menace terroriste, le gorille tombé dans une marmite de testostérone quand il était petit, le caïd camé et canné, le ouf de banlieue, l'amoureux transi, le parfait abruti. Il incarne un spectre très large de personnages qui se résument finalement à l'hybridation entre un jeune-type et un chef-né, né de l'hyperlibéralisme ambiant. C'est à la fois un jeune paumé et un salaud. Un copain et un individualiste forcené.

Sur le plan amoureux et sexuel, Riad Sattouf opère également un renversement des valeurs. Partant de garçons fascinés et terrorisés par le sexe féminin, il en arrive à un Pascal Brutal qui assume son extrême virilité. C'est "l'homo virilus imperator". Quoi qu'il fasse, elles jouiront. Quel que soit leur âge, elles sont à sa botte. Il le sait. Certains récits sont plus nuancés. Il sait faire preuve "d'écoute" (face à des intellos, à des frustrées). Il connaît le dépit amoureux (avec une militaire). Sa virilité est telle qu'il devient facilement bisexuel. Tant qu'il peut rendre service... Le comique naît parfois de la confrontation entre Pascal Brutal et les jeunes encore peu sûrs de leur sexualité (avec un pote musulman religieux).

Les situations, les dialogues (la confrontation de cultures et de parlers différents, notamment), la volonté de sortir des cadres usuels, de ne pas s'enfermer dans un stéréotype (article de journal, description anatomique, BD muette, histoire en couleurs bleu-blanc-rouge, histoire vue des yeux du héros) sont des points forts de la série.

Le dessin est un ton au-dessous des textes. Riad Sattouf maîtrise assurément plusieurs styles graphiques (cf. la série Petit Verglas), mais on sent qu'il en a choisi un qui lui permet d'aller vite, car ses idées sont bien plus rapides que sa main. La part prise par le texte dans les cases en est d'ailleurs un signe. Le style a ses charmes (naïveté, simplicité, expressivité, spontanéité, contraste de couleurs, petites cases), mais il a aussi ses faiblesses (illisibilité, imprécisions, facilités, esthétique qui manque d'envergure). Les dessins sont moins originaux et moins en accord avec le texte que ne peuvent l'être ceux d'un Lucien (Margerin).

C'est donc plus un scénariste que le Jury d'Angoulême a récompensé qu'un dessinateur, même s'il y a une patte graphique "Pascal Brutal" qu'on reconnaît entre toutes. Ce qui nous renvoie bien à la thématique sociétale. Et, il ne faut pas l'oublier, à la qualité de la dérision (l'autodérision ?) de Riad Sattouf.