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Rétro SF : L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam
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Rétro SF : L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam

Si la femme est l'avenir de l'homme, l'andréïde est l'ancêtre du robot !
 
L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam fait partie des oeuvres fondatrices de la science fiction. Ce roman publié en volume en 1886 propose en effet non pas un automate en guise d'imitation de l'homme mais une véritable copie conforme d'une femme entièrement construite par Thomas Edison.
 
Afin de consoler Lord Ewald amoureux d'une femme aussi belle que sotte, Thomas Edison conçoit une réplique artificielle parfaite, l'Eve future, une « andréïde » comme la nomme Villiers de l'Isle-Adam. Dès lors un choix s'offre à Lord Ewald : la femme originale avec ses qualités physiques mais traînant ses défauts intellectuels ou une femme parfaite mais qui n'est que l'illusion de la réalité.
 
Faut-il lire l'ouvrage encore aujourd'hui ? Il a un évident intérêt historique mais quel peut être son public ? Les institutions littéraires s'en sont emparées et le classent dans les oeuvres symbolistes. L'édition utilisée pour la rédaction de cette chronique compte ainsi une longue préface universitaire sans qu'une seule fois soit mentionné le terme « science fiction ». Les amateurs de science fiction s'en détournent souvent car la langue de Villiers de l'Isle-Adam peut sembler surannée et ampoulée et si elle est supportable dans le cadre des textes courts comme ceux réunis dans Contes cruels par exemple elle peut décourager quand elle se développe sur la longueur d'un roman et que le traitement verse dans la critique ironique du progrès : Pierre Versins, dans l'article Villiers de l'Isle Adam de son Encyclopédie, souligne le « parti pris d'accuser les temps modernes qui existait déjà et perdure […] mais qui chez lui [Villiers de l'Isle-Adam] se teinte d'une morgue hautaine ».
 
Villiers de l'Isle-Adam pose pourtant des questions relatives à l'illusion du vrai lors de la création d'un « être » « humain » qui restent d'actualité : copie ou vrai ? Illusion ou réalité ? Quelle est la place d'un être artificiel ? Quels liens tisser entre des êtres vivants et des êtres artificiels ? 
 
 
Edison, les lamentations du magicien électrique : 
 
Il se parlait à voix basse :
 
― Comme j’arrive tard dans l’Humanité ! murmurait-il. Que ne suis-je l’un des premiers-nés de notre espèce !… Bon nombre de grandes paroles seraient incrustées, aujourd’hui, ne varietur, ― (sic), ― textuelles, enfin, sur les feuilles de mon cylindre, puisque son prodigieux perfectionnement permet de recueillir, dès à présent, les ondes sonores à distance !… Et ces paroles y seraient enregistrées avec le ton, le timbre, l’accent du débit et même les vices de prononciation de leurs énonciateurs.
 
Présentation de l'andréïde :
 
Edison dénoua le voile noir de la ceinture.
 
― L’Andréïde, dit-il impassiblement, se subdivise en quatre parties :
 
1° Le Système-vivant, intérieur, qui comprend l’Équilibre, la Démarche, la Voix, le Geste, les Sens, les Expressions-futures du visage, le Mouvement-régulateur intime, ou, pour mieux dire, « l’Âme. »
 
2° Le Médiateur-plastique, c’est-à-dire l’enveloppe métallique, isolée de l’Épiderme et de la Carnation, sorte d’armure aux articulations flexibles en laquelle le système intérieur est solidement fixé.
 
3° La Carnation (ou chair factice proprement dite) superposée au Médiateur et adhérente à lui, qui, ― pénétrante et pénétrée par le fluide animant, ― comprend les Traits et les Lignes du corps-imité, avec l’émanation particulière et personnelle du corps reproduit, les repoussés de l’Ossature, les reliefs-Veineux, la Musculature, la Sexualité du modèle, toutes les proportions du corps, etc.
 
4° L’Epiderme ou peau-humaine, qui comprend et comporte le Teint, la Porosité, les Linéaments, l’éclat du Sourire, les Plissements-insensibles de l’Expression, le précis mouvement labial des paroles, la Chevelure et tout le Système-pileux, l’Ensemble-oculaire, avec l’individualité du Regard, les Systèmes dentaires et ungulaires.
 
Lord Ewald  et l'andréïde :
 
Il se dressa, maudissant, pâle et dans une angoisse muette. Puis il se rassit, sans proférer une parole et remettant à plus tard toute détermination.
Ainsi, sa première palpitation de tendresse, d’espérance et d’ineffable amour, on la lui avait ravie, extorquée : il la devait à ce vain chef-d’œuvre inanimé, de l’effrayante ressemblance duquel il avait été la dupe. 
 
Son cœur était confondu, humilié, foudroyé.
 
Il embrassa, d’un coup d’œil, le ciel et la terre, avec un rire vague, sec, outrageant, qui renvoyait à l’Inconnu l’injure imméritée que l’on avait faite à son âme. Et ceci le remit en pleine possession de lui-même.
 
Alors il vit s’allumer, tout au fond de son intelligence, une pensée soudaine, plus surprenante encore, à elle seule, que le phénomène de tout à l’heure. C’était qu’en définitive la femme que représentait cette mystérieuse poupée assise à côté de lui, n’avait jamais trouvé en elle de quoi lui faire éprouver le doux et sublime instant de passion qu’il venait de ressentir.
 
Sans cette stupéfiante machine à fabriquer l’Idéal, il n’eût peut-être jamais connu cette joie. Ces paroles émues de Hadaly, la comédienne réelle les avait proférées sans les éprouver, sans les comprendre : ― elle avait cru jouer « un personnage », ― et voici que le personnage était passé au fond de l’invisible scène et avait retenu le rôle. La fausse Alicia semblait donc plus naturelle que la vraie.
 
 
A lire :
Villiers de l'Isle-Adam, L'Eve future (nombreuses éditions)
 
Vous aimerez peut-être :
Alain Dorémieux, « La femme modèle » & « Androïde tous usages » (nouvelles)
Maurice G. Dantec, Villa Vortex, La Noire, Gallimard, 2003
Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, J'ai Lu SF.

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