A l'occasion de la sortie le 28 mai, aux éditions L'Atalante, de Rive Gauche - Métro Paris 2033, Pierre Bordage revient sur l'écriture de ce roman.
Actusf : Rive Gauche, est paru il y a peu aux éditions L’Atalante. Quelle est l’origine du projet ? Est-ce une suite à Métro 2033 créé par Dmitri Glukhovski ? Un roman indépendant ?
Pierre Bordage : Le projet vient d’une discussion avec Dmitri Glukowski à Saint-Malo, me disant qu’il ouvrait son univers à d’autres auteurs, et qu’il aimerait beaucoup que j’écrive un roman dans l’univers de Métro 2033, mais dans le métro de Paris.
Au début, je n’ai pas vraiment creusé l’idée, puis, à la lecture du premier tome de sa trilogie, me sont venues tellement d’envies et d’images que j’ai décidé de répondre à son invitation. Ce n’est pas une suite à l’œuvre de Dmitri, mais un roman totalement indépendant, qui peut se lire même sans avoir lu Métro 2033 Moscou.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?
Pierre Bordage : Les descendants des rescapés de la catastrophe nucléaire se sont organisés tant bien que mal dans les galeries du métro parisien. Ils ont tout oublié de la surface, devenue un mythe. Les stations de Rive Gauche sont soit indépendantes, dirigées par des conseils, soit regroupées en statiopées, dont les plus puissantes sont Montparnasse, ou Élévation, et Petit Chine, ou Italie.
Une femme, la présidente de la statiopée Bac, Madone, souhaite unifier l’ensemble des stations en une seule entité, la Fédération Rive Gauche, pour une meilleure répartition des ressources (espace, eau, nourriture, bougies, allumettes et tout ce qui peut éclairer…) et une plus grande sécurité pour l’ensemble de la population. Elle entreprend un périple pour tenter de rallier les autres stations à son projet. Mais de nombreux obstacles se dressent sur son chemin.
Pendant ce temps, Juss, un adolescent débrouillard, et Plaisance, une fillette, une mutante nyct (nyctalope), tous les deux membres de la bande des Armuriers, des nomades qui recherchent les objets les plus recherchés de l’ancienne civilisation, dont les armes à feu, échappent à l’extermination de leur clan et découvrent de nouveaux passages et des créatures inattendues dans le réseau souterrain. Dans l’obscurité perpétuelle de Rive Gauche, s’agitent d’autres personnages avides de pouvoir, comme Parn, Pasteur à la tête d’Élévation, une religion inquiétante, son secrétaire Augir, le mandar de Petite Chine Ta Li, la conseillère parnassienne Otre ou encore Aube, une espionne qui se livre à un double ou triple jeu…
Actusf : De nombreux personnages importants sont des femmes. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Pensez-vous que celles-ci sont plus à même de gérer des situations de crise, de survie au quotidien ?
Pierre Bordage : Les personnages me sont venus naturellement, comme dans chacun de mes romans. S’il y a des femmes importantes, dans Rive Gauche, ce n’est pas par volonté ni pour montrer à celles et ceux qui trouvent que je les maltraite dans d’autres œuvres qu’ils ont eu tort, c’est seulement parce qu’elles se sont présentées à moi et que j’ai eu envie de les suivre. Et, vous avez raison, sans doute qu’elles se montrent nettement plus déterminées dans les situations de crise et dans l’organisation de la survie en temps de pénurie. Je me suis seulement appliqué à explorer en toute liberté leurs forces et leurs faiblesses, leurs aspirations et leurs béances.
Actusf : Comment avez-vous crée Madone ? Aviez-vous des modèles ?
Pierre Bordage : Non, pas de modèle conscient en tout cas. Je vous renvoie à la réponse précédente : c’est elle qui s’est imposée à moi. C’est une femme forte, intelligente, mûre, qui a forgé son caractère dans ses combats pour accéder au pouvoir, mais qui garde des fragilités sur le plan affectif et qui doute encore parfois d’elle-même.
Actusf : Les combats pour la survie sont féroces. Est-ce que selon vous « la fin justifie les moyens » ?
Pierre Bordage : La faim justifie les moyens, pourrait-on dire. La survie nous renvoie à l’instinct animal. La peur, l’absence de perspectives, l’obscurité perpétuelle, l’enfermement dévoilent le meilleur et le pire de chaque être humain.
Actusf : Les rejetés de l’ombre sont des mutants. Aviez-vous envie de faire un parallèle avec ce qui se passe de nos jours et notamment le racisme ?
Pierre Bordage : Les personnages mutants, nycts, dvinns, vibs, taups, engendrent la peur d’abord par leurs différences, surtout les dvinns avec leurs énormes têtes, mais il préfigurent une humanité nouvelle, une forme d’évolution qui effraie parce qu’elle en fait des êtres sans doute mieux adaptés à leur monde et donc, potentiellement dangereux pour les autres. La peur de la différence renvoie au racisme, évidemment, mais plus généralement, à toute forme d’incompréhension et de rejet de l’autre.
Actusf : Les passages sur la religion sont très sombres, presque horrifiques. Est-ce que cela s’est imposé à vous dès le départ ou est-ce que l’histoire a évolué ainsi ?
Pierre Bordage : L’histoire l’a voulu ainsi. Élévation est une religion sombre dans un univers sombre. Les cérémonies d’élévation sont horribles parce que les corps des condamnés ramenés de la surface témoignent d’un monde invivable, horrible.
Le Pasteur Parn est un homme odieux, qui pressent le danger représenté par les mutants et décide de mener une croisade contre eux. Son secrétaire Augir apparaît quant à lui comme une araignée tissant ses toiles dans l’obscurité, moins brutal mais tout aussi dangereux que le Pasteur.
Actusf : Pourquoi choisir/accepter d’écrire dans cet univers ? Qu’est-ce qui vous plaisait ?
Pierre Bordage : Tout ! Le côté obscur, la perte des repères, le jeu avec les échos de notre présent, l’aspect post-apocalyptique, l’effondrement et les vestiges d’une civilisation, la fâcheuse manie des humains à reproduire leurs erreurs passées, l’étude presque entomologique d’êtres piégés dans un univers clos, les sursauts d’humanité de personnages comme Madone, Roy, Juss, Plaisance, Otre, la possibilité d’une évolution inattendue (les dvinns Ésia et Ionale), comme si, quelles que soient les circonstances, l’humanité avait toujours la possibilité d’emprunter des portes de sortie.
Actusf : Qu’aviez-vous envie d’ajouter ? De changer ?
Pierre Bordage : Écrire, c’est faire des choix, on peut les discuter, les critiquer, mais, à la fin d’un roman, ou d’un tome comme ici, je n’ai généralement pas envie d’ajouter ou de changer quoi que ce soit.
Actusf : Le roman de Dmitri Glukhovski fait du métro une entité quasi vivante, qui fait peur en soi. Vous avez préféré jouer sur la volonté de survivre, les sentiments, les ressentis, les amours, les haines, les trahisons des humains, le métro restant au moins dans ce premier tome le décor de la survie. Est-ce un choix ? Est-ce que cela va évoluer ?
Pierre Bordage : Un choix, non, mais une envie féroce de coller aux êtres humains piégés dans ce décor peu engageant et peu propice. Au bout d’un moment, le métro devient tellement familier qu’il est un personnage en soit, au second plan, certes, mais toujours présent parce qu’il conditionne la vie de ceux qui l’habitent, les Métrolites. Et il recèle encore bien des surprises.
Actusf : Rive Gauche est le 1er volet de e la trilogie Métro Paris 2033. Pouvez-vous d’ores et déjà nous donner quelques informations sur la suite, Rive Droite et Cité ?
Pierre Bordage : Je préfère éluder la réponse : je ne souhaite pas révéler par mégarde des éléments du récit qui gâcheraient le plaisir de ceux qui n’ont pas encore lu Rive Gauche.
Actusf : Avez-vous eu des inspirations en particulier pour ce roman ? Littéraires ou cinématographiques ?
Pierre Bordage : Aucune précise. Mais, sans doute que ses racines trempent pour partie dans la veine des Misérables et de Notre Dame de Paris de Victor Hugo.
Actusf : Avez-vous du faire beaucoup de recherches lors de l’écriture de Rive Gauche ? Avez-vous travaillé en collaboration avec Dmitri Glukhovski ? Avez-vous eu une entière liberté ou un cahier des charges précis ?
Pierre Bordage : J’ai dû effectuer pas mal de recherches sur les sous-sols de Paris, métro bien sûr, mais aussi catacombes, carrière souterraines, parkings et voies souterraines, etc. Le sous-sol parisien est un véritable gruyère, ce qui permet de sortir des limites du métro et de proposer de nouveaux décors. Hors notre discussion de Saint Malo, qui a lancé le projet, Dmitri n’est intervenu à aucun moment dans mon travail. Je n’avais aucun autre cahier des charges que : une catastrophe nucléaire a ravagé Paris et probablement le monde, la surface est devenue invivable, mais une infime partie de la population s’est réfugiée dans le métro. Comment ces survivants s’en sortent-ils ? Vous avez trois mois (rires).
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Pierre Bordage : On est sorti du confinement, non ? Il est temps de reprendre le métro…