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The Handmaid's Tale - Analyse par Sophie Matthys
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The Handmaid's Tale - Analyse par Sophie Matthys

Sophie Matthys vous propose de découvrir son article sur The Handmaid's Tale. Saison 1, épisode 10, rédigé dans le cadre du cours Etudes culturelles.

The Handmaid's Tale est une série créée par Bruce Miller, d’après le roman de Margaret Atwood.

Écrire une chronique sur un épisode de cette série qui, je cite (éditions Laffont), « a fait trembler l’Amérique de Trump », ne peut se faire sans évoquer le roman éponyme1 étant à l’origine de cette dystopie télévisuelle comptant actuellement 2 saisons. Publié pour la première fois en français en 1987, et récompensé à de multiples reprises (l’autrice ayant, entre autres, reçu le prix Arthur C. Clarke, récompensant le meilleur roman de science-fiction de l’année au Royaume-Uni), ce roman dépeignant un futur « catastrophe » intrigue le lecteur en posant des questions liées à la survie de l’humanité et à l’instrumentalisation du corps des femmes (réduit à l’état d’outil permettant la reproduction).

Replaçons l’histoire dans son contexte. Comme se plaît à le souligner Anne Wattel2, le roman postapocalyptique basé sur une idée centrale se résumant autour de la question « qu’adviendrait-t-il si les femmes procréatrices venaient à manquer » n’est pas neuve. Ce thème ayant par exemple été précédemment développé par l’auteur Robert Merle dans son célèbre roman Malevil3. Margaret Atwood, qui n’innove pas sur le fond, connaît pourtant le succès en se démarquant sur la forme. Elle livre en effet ce roman éprouvant relatant l’histoire des femmes de la République de Gilead. Fiction d’anticipation, La Servante écarlate nous plonge dans un univers en déséquilibre. Un mouvement extrémiste religieux ultra-conservateur a renversé le pouvoir au sein d’une Amérique qui risque de « ne plus être », au vu du nombre de plus en plus restreint de femmes à même de procréer.

Parmi les survivants, les hommes détiennent le pouvoir face aux femmes qui sont catégorisées selon leurs aptitudes :
- Les Épouses, unies aux commandants, et dont le désir d’enfant dépasse toutes les limites de l’acceptable, quitte à participer à des viols présentés sous l’angle de moments de foi intense baptisés « La Cérémonie » ;
- Les Tantes, gardiennes de la foi, qui ont pour rôle de former des servantes dociles et soumises dans des « internats » ayant recours à des méthodes de déshumanisation telles que tortures et humiliations diverses ;
- Les Marthas, jeunes et jolies domestiques tenant le rôle d’intendantes de maison, mais également dévouées à la cause de Gilead en s’assurant que servantes et épouses ne manquent de rien pour poursuivre la perpétuité de la race humaine ;
- Les Bannies, trop âgées, infertiles, qui ne servent à rien, si ce n’est à mourir en s’épuisant au travail dans l’environnement toxique et pollué des colonies ;
- Les Servantes, celles sur qui tout repose, reléguées au rang de couveuses, battues et humiliées par leur maîtresses en temps normal, adulées et protégées une fois enceinte.

Comme le démontrent ces descriptions, la femme est plongée dans un environnement aussi pollué que réglementé, où la violence et les armes font office de moyens de communication, et où la cruauté est sans limite.

Alors que nous pensions avoir tout vu de l’enfer de la Nouvelle République de Gilead en lisant le roman, nous devons bien admettre que la série pousse plus loin la réflexion de la condition féminine dans un monde allant vers la déshumanisation. L’œuvre d’Artwood sert de fil conducteur aux premiers épisodes. Ensuite, là où le roman s’arrête, les scénaristes imaginent une suite où certains observateurs y voient une anticipation de ce que risquent de devenir les États-Unis sous l’administration de Donald Trump. Cette idée sera relayée de toutes parts, notamment dans la presse où nous croisons fréquemment des articles allant dans ce sens. Une rapide enquête sur le net nous permet de repérer des titres accrocheurs tels que :

Margaret Atwood, l’auteure qui a anticipé l’Amérique de Donald Trump dès 1984 avec « La servante écarlate »4.

Cet angle d’analyse ne sera pas poussé plus loin dans la présente réflexion. Il faut bien avouer que ce positionnement pourrait à lui seul, faire l’objet de toute une recherche.

Au sein de cette réflexion, je m’attacherai à aborder les notions de nostalgie et de mélancolie, en faisant un focus sur le dernier épisode de la première saison dont la cruauté et le suspens laissent le spectateur à bout de souffle sur une fin intenable, la série étant d’ailleurs qualifiée de « choc émotionnel et visuel » par la presse à grand tirage5. Cet épisode permet les pires spéculations quant au devenir d’une héroïne magnifiquement interprétée par une Elizabeth Moos naturelle et désarmante, que Jenji Kohan n’hésite pas à qualifier de « Meryl Streep de notre génération »6.

Ce dernier épisode, glaçant et terrifiant, place Defred (personnage principal) et ses sœurs (les servantes se considérant comme telles) face à un combat intérieur et moral : obéir aux lois de Gilead, ou rester soudées au risque de troubler l’ordre et d’en payer les frais. Rappelons-le, nous sommes dans un univers futuriste et sans pitié où les corps des opposants froidement exécutés sont exposés à la vue de tous.

Une servante s’est justement opposée à l’ordre établi au sein de cet ultime épisode. La naissance est un moment éprouvant, et elle ne peut accepter de se voir retirer son bébé qu’elle doit confier aux bons soins de celle qui fut à l’origine de son supplice : l’épouse de son commandant. Elle choisit la fuite, elle choisit donc la mort, l’action se plaçant dans un moment de désespoir extrême. La mélancolie jouant un rôle déterminant dans le choix des actions de cette jeune femme, elle pense que tout est fini et préfère mourir plutôt que de chercher à s’accrocher à quoique ce soit.

Le personnage de Dedaniel (puisque c’est son nom), est lui aussi suivi tout au long de la série. Présentée comme l’une des figures fortes qui fera comprendre à Defred la gravité de la situation dans laquelle elles sont plongées (pour rappel, cette dernière assiste impuissante à la mutilation de la première qui se fait crever une œil par une Tante après une tentative d’échapper au régime), elle défie les lois et en paye le prix.

Au cours de ce dixième épisode, les Servantes apprennent l’état dans lequel a été plongée leur « sœur ». Pour rappel, la mélancolie peut être définie comme étant un état de tristesse, de dépression, de dégoût de la vie. Ce dégoût est clairement exprimé par Dedaniel lorsqu’elle doit remettre son enfant au couple auquel elle appartient. Elle sombre dans la folie et son état mental se dégrade de plus en plus. Elle l’exprime par des mots, mais aussi par un passage à l’acte en voulant sauter dans l’eau glacée tout en tenant son bébé contre son cœur.

Les Tantes font appeler les Servantes afin que toutes s’unissent pour châtier celle qui a péché. Dedaniel est condamnée à une mise à mort par lapidation. Les autorités représentant la République vont plus loin dans la cruauté, en attendant des autres Servantes qu’elles jettent les pierres une à une sur celle qui fût une des leurs, et ce jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle. Toutes se souviennent de moments passés avec leur sœur, toutes ne peuvent accepter ce geste à cause de leur vécu commun. Pouvons-nous dire que la nostalgie sauvegarde les bonnes consciences ? La question mériterait d’être posée à un psychologue, mais notre propos ne se trouve pas là en ce qui concerne notre réflexion de ce jour.

Defred s’oppose activement pour la première fois. Alors que jusqu’ici son état de rébellion ne se faisait sentir que sous forme de voix-off, elle refuse ici de prendre part au châtiment et pose ainsi un premier acte concret qui orientera la suite de la série (et donc la saison 2). Nous y retrouverons en effet une Servante qui redevient June, forte de ce qu’elle a vu et vécu, et qui fera de son passé un moteur pour la porter dans ses actes de résistance et de survie. Nostalgie et mélancolie se révèlent ainsi être devenues des moteurs de résilience, notion chère à Cyrulnik7.

Attardons-nous sur cette voix-off. La littérature scientifique voit l’avènement du narrateur comme étant le signe de la fin du réalisme dans les séries télévisées. En effet, selon Pourtier-Tillinac8, nous sommes actuellement dans une logique médiatique où le fictionnel prend le pas sur le réalisme. Le narrateur devient la nouvelle figure venant progressivement casser la mécanique chère aux séries des générations précédentes (pour rappel : on ne cherche plus le réalisme mais bien une plongée du spectateur dans un environnement fictionnel porteur d’un message). Petit à petit, la figure narrative se voit introduite dans le mécanisme sériel pour devenir un personnage à part entière permettant au spectateur de pouvoir se détacher du spectacle qui s’offre à lui. Ce détachement tiendrait des propos de portée généralisante en permettant à la série de se rapprocher de la littérature, et de faire passer ainsi les émotions et ressentis autrement qu’en misant sur le jeu d’acteur.

Cette courte parenthèse théorique consacrée au narrateur nous éclaire quelque peu sur le rôle de Defred en tant que figure narrative. Par la voix de Defred, c’est la mélancolie du passé qui s’exprime, c’est June qui raconte son histoire pour ne pas oublier. Elle place sa rancœur au service de la nostalgie en nous transportant dans « l’avant », dans ces temps où elle était libre et où elle vivait avec Luke (son mari) et leur fille. Son discours est une alternance permanente entre deux pôles :

- Le ton de voix monocorde et blasé décrivant la société actuelle ;
- Le ton de voix plus mélodieux, axé sur la tristesse, décrivant une société où tout était mieux, où tous étaient libres.

Pourtant, son discours doit être nuancé en amenant un troisième pôle. Defred évoque aussi son futur. Elle y place beaucoup d’espérance mais également d’inquiétude. Et si le sort qui l’attendait était pire ? Et si elle apprenait pour de bon que ses proches sont décédés ? Autant de « et si » qui pourraient presque lui faire regretter sa situation actuelle, ce qu’elle évoque sans langue de bois.

La Servante écarlate fonde donc, comme nous avons pu le voir, sa dynamique en accentuant son détachement de la réalité au moyen d’un narrateur. Cette technique permet, comme nous l’explique l’article précédemment cité9, de nous distancier des héros et de mieux saisir le message que la série tente de faire passer. L’image de la femme est réduite à celle d’un objet ayant une utilité bien définie selon le rang auquel elle appartient. L’oscillation permanente entre nostalgie et mélancolie est permanente, permettant ainsi de nous plonger dans la noirceur de Gilead. Quant à ce dernier épisode de la première saison, il nous plonge nous aussi dans une forme de suspens dû au sentiment de peur clairement exprimé pour la première fois par Defred.

Au terme de cet épisode, elle est emmenée par la Sûreté d’État afin de répondre de son acte de rébellion. Au final, nous quittons une héroïne enceinte, qui se révèle sous un autre jour. Il s’agit de l’épisode de tous les changements, de toutes les premières fois, comme pour casser un rythme établi et nous emmener directement vers la seconde saison qui proposera une toute autre dynamique.

Pour être complète, je ferai un parallèle avec les autres médias présentés au cours de ce quadrimestre.

Gilead est une société totalement opposée au monde post-apocalyptique présenté dans le roman Le Pouvoir10. Alors que la première instrumentalise totalement les femmes, le seconde nous emmène dans une société matriarcale, où les femmes semblent prendre leur revanche sur le sexe fort après des siècles d’oppression. Quoiqu’il en soit, les deux productions ont cependant un point commun : celui de nous placer face à société régie par un sexe dominant dans une atmosphère sombre, ne laissant que peu d’espoir au devenir de l’humanité.

J’ai également pu observer différentes façon d’adapter une œuvre littéraire pour la rendre accessible au public le plus large possible. Si Le pouvoir fut uniquement analysé sous le prisme de l’objet littéraire, il n’en fut pas de même pour d’autres œuvres. Ainsi, j’ai pu, tout au long de ce travail consacré à la rédaction de chroniques, traiter de l’adaptation de L’île au trésor11 sous forme de film d’animation, mais aussi de l’adaptation du roman dont traite cet exercice d’écriture sous forme de série. Les médias sont différents et ont chacun leurs codes faisant d’eux une œuvre de qualité ou non. De même, nous avons pu voir que chacune des œuvres abordées a des spécificités qui permettent de toucher plutôt tel ou tel public. La même observation aurait pu être faite avec I Kill Giants12 dont l’adaptation cinématographique ne fut pas spécialement une réussite (pour preuve, le film est directement sorti sur support réservé à l’utilisation privée sans passer par la projection en salle). Ce dernier, il faut dire, a basé son succès sur le seul concept de nostalgie en faisant appel aux souvenirs de jeunesse des jeunes adultes d’aujourd’hui qui, il fut un temps, étaient des joueurs du célèbre jeu de rôle Donjons et dragons. Les formes de supports se sont succédées et cherchaient toutes à atteindre une cible différente. Ne serait-ce pas un signe de l’utilité de multiplier les supports pour qu’un contenu touche un maximum de personnes ?

Quoiqu’il en soit, nous pouvons dire que tous les sujets peuvent être abordés sur différents tons, allant du plus léger au plus grave. Ce qui apparait néanmoins, comme point commun de ces œuvres, c’est qu’elles font appel à d’autres dans une logique transmédiatique, concept cher à Jenkins13.

Ceci étant dit, nous arrivons à une conclusion selon laquelle tout peut être exposé, tout peut être montré. Le tout est de choisir le prisme adéquat selon lequel exposer une problématique de façon pertinente, le tout est également de choisir le message que l’on souhaite transmettre.

1 - ATWOOD M. et S. RUE, La Servante écarlate, Robert Laffont, 2017.

2 - WATTEL A., « L’étalon, le hongre et la braguette à l’allemande », Roman 20-50, 24 juillet
2018, n° 65, no 2, p. 149-160.

3 - ROBERT M., Malevil, Gallimard, 1973.

4 - Margaret Atwood, l’auteure qui a anticipé l’Amérique de Donald Trump dès 1984 avec « La Servante écarlate », consulté le 20 décembre 2018.

5 The Handmaid’s Tale : choc émotionnel et visuel puissant, la série qu’il ne faut pas rater sur
TF1 Séries Films - Télé Star, consulté le 20 décembre 2018.

6 De « Mad Men » à « The Handmaid’s Tale », Elisabeth Moss, l’actrice qui jouait à être
féministe, consulté le 20 décembre 2018.

7 CYRULNIK B. et G. JORLAND, Résilience connaissances de base, Paris, Odile Jacob, 2012.

8 POURTIER-TILLINAC H., « La fin du réalisme dans les séries télévisées », Réseaux, 7 février
2011, n° 165, no 1, p. 21-51.

9 POURTIER-TILLINAC H., « La fin du réalisme dans les séries télévisées », Réseaux, 7 février
2011, n° 165, no 1, p. 21-51.

10 ALDERMAN N., Le Pouvoir, Paris, Calmann-Lévy, 2018.

11 STEVENSON R.L., H. MEUNIÈRE, O. TALLEC, et M. LAPORTE, L’île au trésor, Paris, Livre de
Poche Jeunesse, 2014.

12 KELLY J. et J.M.K. NIIMURA, I kill Giants, Paris, Hi Comics, 2018.

13 JENKINS H. et C. JAQUET, La culture de la convergence - Des médias au transmédia, Paris,
Armand Colin, 2013.

Bibliographie

ATWOOD M. et S. RUE, La Servante écarlate, Robert Laffont, 2017.

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BOUTET M., « Les séries télévisées sont-elles l’art majeur du xxie siècle ? », Nectart, 2015, N°
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CYRULNIK B. et G. JORLAND, Résilience connaissances de base, Paris, Odile Jacob, 2012.

ENGEL L., « Netflix, une révolution ? », Esprit, 9 octobre 2014, Octobre, no 10, p. 133-136.

JENKINS H. et C. JAQUET, La culture de la convergence - Des médias au transmédia, Paris,
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STEVENSON R.L., H. MEUNIÈRE, O. TALLEC, et M. LAPORTE, L’île au trésor, Paris, Livre de Poche Jeunesse, 2014.

WATTEL A., « L’étalon, le hongre et la braguette à l’allemande », Roman 20-50, 24 juillet 2018, n° 65, no 2, p. 149-160.

The Handmaid’s Tale : la scène que Joseph Fiennes a refusé de tourner, consulté le 8 décembre 2018.

De « Mad Men » à « The Handmaid’s Tale », Elisabeth Moss, l’actrice qui jouait à être féministe, consulté le 20 décembre 2018.

Amazon.fr - L’île au trésor - Robert Louis Stevenson, Henriette Meunière, Olivier Tallec, Michel Laporte, consulté le 4 novembre 2018.

Amazon.fr - Le Pouvoir - Naomi Alderman, consulté le 20 décembre 2018.

Margaret Atwood, l’auteure qui a anticipé l’Amérique de Donald Trump dès 1984 avec « La Servante écarlate », consulté le 20 décembre 2018.

The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) | l’Encyclopédie Canadienne, consulté le 8 décembre 2018.

The Handmaid’s Tale : choc émotionnel et visuel puissant, la série qu’il ne faut pas rater sur
TF1 Séries Films - Télé Star, consulté le 20 décembre 2018.

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