Quel critique, de nos jours, s'attèle à la tâche de présenter Terry Pratchett, le plus gros monstre sacré de la fantasy, et presque le fondateur de la fantasy d'humour ? Certainement pas moi. Pour toutes précisions, je vous renvoie aux 29 tomes précédents des Annales du Disque-Monde, ou à la rigueur aux critiques de ces ouvrages trouvables sur le mirifique site que vous consultez actuellement.

On prend les mêmes et on ne recommence pas...

Ce quil y a de bien avec Pratchett, en tout cas, c'est que bien que le style (et les héros) reste relativement le même d'un livre à l'autre, les sujets sont loin d'être tout le temps identiques. Depuis quelques livres, d'ailleurs, son monde médiéval-fantastique délirant change très nettement. On a vu la naissance de la presse avec The Truth, les guerres napoléoniennes avec Monstrous Regiment, les insurrections populaires avec Night Watch. Et comme toujours dans Pratchett, chaque livre traite d'un sujet de fond, toujours d'actualité (personnellement, je suis prêt à baser mon code de conduite morale sur les paroles de Granny Weatherwax dans Carpe Jugulem). Le problème, c'est que ces livres récents alternent entre les très bons et les franchement moyens, et c'est donc non sans une appréhension légitime qu'on aborde son dernier ouvrage, Thud !.Appréhension vite dissipée, heureusement. Thud ! se révèle effectivement digne de ses meilleurs prédécesseurs.

On prend les mêmes et on recommence...

Samuel Vimaire sait ce qui est important dans la vie. Protéger Ankh-Morpork, c'est important, parce que c'est sa ville. Presque au sens propre, depuis qu'en plus dêtre commissaire divisionnaire du guet, il s'est retrouvé Duc d'Ankh. S'assurer que son fils d'un an entende tous les soirs son père lui raconter Où est ma Vache?, c'est aussi important. Koom Valley, ce nest pas important. Malheureusement, il est le seul à partager cette dernière opinion.

Koom Valley, c'est un peu le Camerone des nains, une boucherie sanglante où leurs héros ont fait preuve dune résistance admirable face à un ennemi supérieur en nombre, qui d'ailleurs les avait embusqués. A cette différence près que l'ennemi -en l'occurence les trolls- considère que Koom Valley, c'est leur victoire contre ces fourbes de nains tapis en embuscade. De toutes façons, depuis, les nains et les trolls se sont battus si souvent dans Koom Valley que rien que de prononcer le nom les fait tous bouillir. Mais bientôt, c'est l'anniversaire de la première bataille de Koom Valley. Et les nains et les trolls peuvent bien trouver un autre champ de bataille pour se livrer à un remake. Ankh-Morpork, la plus grande ville naine du monde maintenant, et la résidence de nombreux trolls, fera bien l'affaire.

Vimaire va bientôt se rendre compte qu'il n'est pas le seul à considérer Ankh-Morpork comme sa ville. Les nains ont creusé partout, et ont fait venir leurs gardiens des traditions, pour s'assurer qu'ils restent bien des nains. Ces traditionnalistes, comme de juste, appellent à la destruction des trolls comme un devoir sacré. Quant aux trolls, un gourdin à la main, ils n'ont pas besoin qu'on leur dise quoi faire. La mort d'un traditionnaliste nain, visiblement assassiné par un troll, va mettre le feu aux poudres.

Points de vue – Images du (Disque-) Monde

C'est un roman extrêmement moderne que Thud ! On y trouve ainsi évoqués, pêle-mêle, l'immigration, le nationalisme, les « imams terroristes » des mosquées britanniques (noublions pas que Pratchett est anglais), et le succès imbécile du Da Vinci Code. Pratchett a beau utiliser et réutiliser les mêmes personnages, chaque roman les creuse un peu plus. Vimaire et Angua, en particulier, prennent encore plus de dimension dans ce livre, où Pratchett signe quelques-unes de ses pages les plus sombres et les plus proprement terrifiantes.

C'est toujours un plaisir que de se sentir justifié dans l'amour que l'on porte à un auteur. Pratchett, encore une fois, nous fait ce plaisir.