Un personnage de Kirby à la sauce contemporaine

Mister Miracle, alias Scott Free, fait partie de l’univers du « Quatrième monde » créé par Jack Kirby chez DC comics après son départ de Marvel en 1970. Pour rappel, le quatrième monde voit la description du conflit entre les New Gods de New Genesis et les séides de Darkseid, seigneur d’Apokolips. Le haut père, maître de New Genesis a conclu un pacte de paix autrefois avec son ennemi Darkseid en échangeant leurs fils. Orion a donc grandi sur New Genesis et Scott Free sur Apokolips. Mais ce dernier s’en est évadé et est devenu ainsi le maître de l’évasion, adoptant sur Terre le surnom de Mister Miracle. Si ces personnages n’ont eu aucun succès à l’époque, ils se sont pourtant rapidement imposés dans l’univers de Batman et Superman. Tom King, scénariste à la mode qui a livré sur Batman des histoires remarqués, s’associe ici à Mitch Gerads, qui s’est fait remarquer sur The Activity, pour proposer dans une minisérie traduite et publiée par Urban en un seul volume, un traitement post-moderne du personnage.

Un personnage en crise

Mister Miracle est retrouvé dans sa salle de bains, les poignets en sang, par sa compagne Big Barda (une ancienne d’Apokolips) qui le fait aussitôt admettre à l’hôpital. Scott est en pleine dépression, les blessures de l’enfance (et de l’abandon par son vrai père) remontant à la surface. Pour autant, il doit faire face à des évènements dramatiques. La guerre a de nouveau éclaté entre New Genesis et Apokolips, Darkseid ayant assassiné le haut père. Et c’est Orion qui a pris sa place. Voici Mister Miracle chef d’une des armées de New Genesis mais il a du mal à obéir aux ordres d’Orion. Mister Miracle doute beaucoup, se demandant si l’équation d’Antivie détenue par Darkseid n’a pas transformé son esprit : et s’il était devenu fou ?

Une série hyper référentielle

Effectivement, le traitement que subit ici Mister Miracle est assez radical. Le personnage est dépressif, velléitaire, sous l’influence de sa femme. Est-il fou ? En tout cas, le final de la série semble suggérer que tout cela se déroule avant tout dans son esprit, loin de la continuité DC. Il y a aussi beaucoup de références. Le meilleur ami de Mister Miracle s’appelle Kurtzberg, c’est-à-dire le vrai nom de Jack Kirby. Quand Mister Miracle a un fils, il le prénomme Jacob, encore un hommage à Kirby. On découvre aussi que dans son délire, notre héros est accompagné par le Funky Flashman, une satire de Stan Lee créée originellement par Kirby (qui avait des comptes à régler avec Marvel, comme on le sait). Et qui s’occupe du petit Jacob qui commence déjà à imaginer des histoires ? Funky Flashman. A côté de ses références (la série en est saturée), l’histoire s’apparente à une grande psychanalyse du personnage et il y a de la matière : deux pères qui l’ont martyrisé chacun à leur façon, pas de mère, un « frère »/double tyrannique, une enfance saccagée…

Et pour quoi faire ?

Tom King inflige un traitement assez radical au personnage, rappelant les idées d’Alan Moore sur des personnages comme Swamp Thing ou Miracle Man : en ce sens on peut parler d’approche post moderne, via les références et aussi la mise en abyme du personnage, par exemple. Seulement, ça ne prend pas. L’approche de Moore fonctionnait dans les années 80 car elle n’avait jamais été tentée aussi intensément auparavant. En 2019, dans un contexte où le lectorat aux Etats-Unis ne cesse de diminuer numériquement et aussi de vieillir, une telle approche ne peut satisfaire que des amateurs nostalgiques de Moore justement, prêts aussi à se plonger dans un labyrinthe bourré de références. Mais où est la créativité là-dedans ? Et la magie des comics d’antan ? Cet album de Mister Miracle satisfera une poigné de lecteurs adultes, une petite secte qui se regarde le nombril. On continuera de regretter une autre époque, définitivement révolue, celle de Jack Kirby bien sûr…

Sylvain Bonnet