Les meilleurs films de SF : top 10 des films se déroulant sur d’autres planètes par Alexandre Jourdain.
Parce que le cinéma peut dépasser la technique ou prédire nos inventions futures, il est souvent parti à la rencontre de planètes lointaines, réelles ou imaginaires. Tour d’horizon de ces voyages aux confins de l’univers à travers dix films cultes.
C’est quoi un film nous emmenant à la rencontre d’autres planètes ? Est-ce simplement une œuvre ouverte sur l’imaginaire, ou est-ce par extension une forme s’interrogeant sur notre existence et sur la trajectoire de l’humanité ? Au carrefour des questionnements ontologiques et devant le vertige de l’évolution, les épopées SF écumant les galaxies nous exhortent aussi en filigrane à systématiquement faire preuve d’un recul critique. Comme si l’annexion d’autres univers cachait une réalité plus sombre. Tour d’horizon d’un sous-genre incontournable.
Univers, galaxie, exoplanète, terra-formation, étoile, constellation, année-lumière, nébuleuse, pesanteur, trou noir, trou de ver, processus de Penrose… comme dans la vraie vie, la science-fiction s’efforce d’épuiser le réel. Ce n’est de fait pas un hasard si l’histoire des découvertes spatiales se retrouve autant liée à celle du cinéma, qui n’a cessé de visiter les confins de l’espace. À l’échelle de notre système solaire, Sunshine (Danny Boyle, 2007) et Wall-E (Andrew Stanton, 2008) nous ont fait affleurer le soleil et Mercure. On a foulé le sol lunaire dans Destination… Lune (Pichel, 1950), Le Voyage dans la Lune (Méliès, 1902), La Femme sur la Lune (Lang, 1929), 2001, l’Odyssée de l’espace (Kubrick, 1968) ou encore Moon (Duncan Jones, 2009). Impossible d’oublier les aventures martiennes de Doug Quaid dans Total Recall, 1990), de même que les abords de Saturne dans Silent Running (Trumbull, 1972) et ceux de Neptune dans Event Horizon (Paul W.S. Anderson, 1997). Plus récemment, c’est également Ad Astra (James Gray, 2019) qui a repris le dispositif du côté de la Lune et de Mars.
Mais puisque l’imaginaire n’a pu s’empêcher de dépasser le réel, le cinéma a inventé d’innombrables planètes fictives pour donner corps aux fantasmes et cauchemars les plus fous. Les plus cultes d’entre elles se nomment Pandora (Avatar, James Cameron, 2009), Solaris (la planète-océan du film de Tarkovski), Tatooine (la planète désertique de Star Wars I, II, III, IV, VI), Dagobah (Star Wars V et VI), Lithion (Barbarella, Roger Vadim, 1968), Arrakis (Dune, David Lynch, 1984), Vulcain (Star Trek), Klendathu (Starship Troopers, Verhoeven, 1997), LV-426 (Alien, Ridley Scott, 1979) et autre Planète sauvage (La Planète sauvage, René Laloux, 1973).
De l’infini à l’intime
Mais cette SF narrant des voyages sur d’autres planètes, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, semble soumise à un paradoxe : celui d’inciter son lecteur-spectateur non pas simplement à lever des yeux rêveurs vers les espaces infinis, mais à les braquer au contraire sur la Terre. Manière de montrer que le plus beau des inconnus, la plus grande des richesses, se niche d’abord dans notre environnement immédiat – là, juste sous nos yeux. Sous cet angle, les expéditions interstellaires ou intergalactiques, avec à la clé parfois la rencontre avec une vie extra-terrestre, peuvent s’apparenter à un subterfuge. Qu’il soit question d’une vision du futur ou de la description d’un monde inventé de toute pièce, l’objet central demeure nos sociétés et l’avenir de notre planète – notre relation avec autrui. Si Jules Verne (« Le Voyage sur la Lune »…) s’est notamment révélé d’une importance crucial en développant un imaginaire fécond pour la science et l’innovation, de nombreux auteurs phares ont utilisé par la suite le récit d’anticipation interplanétaire pour mettre en évidence les dérives du contemporain, ses désirs de conquêtes. Ceux-là se nomment K. Dick, Asimov, van Vogt, Bradbury ou encore Boulle. Un fleuron qui se perpétue aujourd’hui à travers les livres de Pierre Bordage, Alain Damasio ou Jean-Michel Truong.
En schématisant, deux écoles du space opera se dégagent : l’une, vaguement géopolitique, centrée avant tout sur la fantaisie et l’aventure, l’autre utilisant le voyage interplanétaire en guise d’allégorie politique. La première ne cherche pas à faire passer un message sinon à sublimer les fantasmes d’une humanité expansionniste et toujours plus intelligente. Il s’agit par exemple au cinéma de films comme Le Cinquième Élément, Stargate, Planète interdite, d’œuvres issues des sagas Star Wars, Star Trek, Les Chroniques de Riddick ou pourquoi pas Les Gardiens de la Galaxie. La seconde se veut plus ironique et frondeuse, dystopique et non manichéenne. Elle s’illustre via des longs-métrages à l’image de Dune (Lynch), La Planète des singes (Schaffner), Starship Troopers (Verhoeven) et dans une certaine mesure Abyss (Cameron). Les deux tonalités s’entrecroisent aussi parfois au gré de films comme Serenity (Whedon, 2005), Jupiter : le Destin de l’univers (Les Wachowski, 2015) ou au sein de la saga Alien. On retrouve également ces nuances, de façon différée, dans des œuvres à l’élan plus profondément métaphysique et contemplatif. Entrent dans cette catégorie des films tels que 2001, l’Odyssée de l’espace (Kubrick), Solaris (Tarkovski), Contact (Zemeckis), Moon (Duncan Jones), Interstellar (Christopher Nolan), Mission to Mars (De Palma), voire même Seul sur Mars (Ridley Scott). Ajoutons à cela dans le giron des voyages intersidéraux un inclassable, farce de fable écolo qui s’ignore : La Soupe aux Choux (Girault, 1981).
Prêts pour un voyage à la rencontre de vous-même en 10 madeleines SF intergalactiques (ou pas) ? C’est par ici.
Planète interdite
Fred M. Wilcox, 1956
De tous les space operas tournés dans les années 1950 (parmi lesquels Destination Lune ou encore Les Survivants de l’infini), Planète interdite (Fred M. Wilcox, 1956) est le plus intemporel et abouti. Même plus de six décennies après sa sortie, son influence sur la science-fiction reste considérable. À son époque où le sous-genre reste particulièrement dépendant des séries adaptées de bandes dessinées comme Flash Gordon ou Buck Rogers, Planète interdite invente à lui tout seul un nouvel imaginaire. Pour ce faire, la MGM ne lésine pas sur l’expérimentation. Outre le Technicolor, le studio choisit de recourir au CinemaScope et à une musique entièrement électronique signée Louis & Bebe Barron, amis d’un certain John Cage (le boss de la musique synthétique). Le résultat est sans précédent dans toute l’histoire du cinéma et laisse donc une trace indélébile, inspirant notamment les séries Perdus dans l’espace ou encore Star Trek. Son aura, Planète interdite la doit entre autres à sa direction artistique, son atmosphère géniale, ses effets spéciaux et sonores, de même qu’à ses fabuleux décors et matte paintings.
Pour ce film, tout a été filmé en studio et le tout s’avère aujourd’hui encore délectable – si tant est que l’on visionne bien la version Blu-Ray au format CinemaScope. Mais si le long-métrage marque indubitablement le tournant décisif entre l’ancien et le moderne, ce n’est pas autant pour la profondeur de ses thématiques. Il y a certes à travers la trajectoire du docteur-démiurge Morbius la volonté de convoquer « La Tempête » de William Shakespeare, ce fameux désir de s’affranchir de l’humain et du corps. Néanmoins, le genre du space opera en lui-même en reste à sa tonalité la plus délicieusement désuète : l’ensemble se veut à la fois innocent, romanesque et majestueux – la fantaisie et l’aventure dominent. Aucune trace de fait d’un univers dystopique, si ce n’est que la dimension de survivance sur la planète peut renvoyer dans une certaine mesure à un pré-Alien. En cela, Planète interdite incarne probablement l’une des plus belles fantasmagories de la science-fiction, l’une de ses plus savoureuses illusions. Mentions spéciales pour le personnage de Robby le robot – star à lui tout seul du film –, mais également pour les acteurs Walter Pidgeon (charismatique Morbius), fantasque Anne Francis et Leslie Nielsen (tout en subtilité avant de devenir bien plus tard l’avatar des ZAZ).
La Planète des singes
Franklin Schaffner, 1968
Sur les neuf adaptations cinématographiques du roman éponyme de Pierre Boulle, sorti en 1963, beaucoup prennent un certain nombre de libertés vis-à-vis du texte original. D’ailleurs, même le film initial signé Franklin J. Schaffner (le réalisateur de Patton ou encore Papillon) – pourtant probablement le plus respectueux – s’en éloigne à la fois par ses décors, plus connexes par exemple dans la version de Burton, et par sa scène finale. Deux paramètres l’expliquent : la volonté des scénaristes (parmi lesquels Rod Serling) de prendre modèle en parallèle sur l’épisode « La Flèche dans le ciel » (1960) de la série La Quatrième dimension, puis les restrictions d’un budget trop limité. Il fut par exemple financièrement impossible de se conformer aux avancées technologiques du peuple simiesque décrites dans le livre – Boulle y évoque notamment des automobiles, des télévisions ou encore des avions, éléments dont le metteur en scène a été contraint de se passer. Il n’empêche que parmi toutes les œuvres intégrant la franchise « La Planète des singes », celle de Schaffner – en dépit des années – s’avère toujours l’une des plus complexes et inquiétantes.
Infiniment subversif pour l’époque, et ce même si les humains n’apparaissent pas nus comme dans l’œuvre originale, le long-métrage fait montre d’une violence et d’un pessimisme inouï, réfutant tout avenir possible aux États-Unis. Période de guerre froide oblige, s’y mêlent en filigrane des sujets renvoyant à un sentiment de paranoïa et d’angoisse nucléaire. Thèmes auxquels viennent se greffer le racisme et un darwinisme à l’envers où les singes rejettent l’idée que l’homme puisse être son ancêtre. Bien que Pierre Boulle ait nettement regretté le premier degré avec lequel Hollywood a choisi de traiter son œuvre, lui qui la pensait d’abord comme une fable philosophique voltairienne non dénuée d’humour, la puissance du film de Schaffner reste immuable 50 ans après sa sortie. Même la fin du film, conspuée par Boulle, demeure encore l’un des moments les plus sidérants de l’histoire du cinéma. Dystopie oblige, l’enjeu est toujours de nous tendre un miroir pour mieux mettre en évidence notre cruauté refoulée. À noter aussi le génie avec lequel, même aux confins de l’espace-temps, persistent toujours les traces de nos erreurs passées. Mention spéciale pour la musique de Jerry Goldsmith, terrifiante et spectaculaire à l’image du film.
2001, l’Odyssée de l’espace
Stanley Kubrick, 1968
De l’aube de l’humanité à l’exploration spatiale, une intelligence se présentant sous la forme d’un grand monolithe parallélépipédique noir influence l’évolution de l’espèce humaine. Ici, nul besoin de drogue hallucinogène, les formes et musiques suffisent. Pas impossible que tout ait déjà été dit sur 2001. Mais comme les films évoluent au fil du temps à la lumière de nos regards, peut-être au contraire que rien ou presque de ce qui le constitue n’a encore été épuisé. Sa matière malléable à l’infini, ses zones délibérément laissées obscures, ses contours résolument demeurés flous, offre du reste toujours une large place à l’imagination. Innombrables sont les exégèses du film, d’Alien à Interstellar en passant par Mission to Mars et Premier Contact. Dernièrement, l’épisode 8 de la troisième saison de Twin Peaks s’est même révélé par instant un authentique hommage au "trou noir" du long-métrage – l’une des rares fois où Lynch a daigné citer ouvertement une influence. Dans 2001, des millénaires séparent la bataille liminaire que se livrent deux tribus d’australopithèques et l’I.A. ordinateur de bord HAL9000. Pourtant, ils ont chacun un point commun : tous deux incarnent ou utilisent un outil capable de donner la mort. Le premier, un os subitement brandi, permet à la tribu de prendre l’ascendant sur son adversaire, le second se trouve à même de jouer au démiurge comme son inventeur. Pour Kubrick comme pour Arthur C. Clarke (sa nouvelle La Sentinelle a inspiré partiellement le scénario du film), la technologie n’est donc pas neutre. L’usage qu’on en fait et les innovations que nous lui apportons contribuent à orienter sa trajectoire. Ainsi, il suffit qu’un primate jette un os en l’air pour qu’apparaisse au fil de l’évolution une station orbitale dans l’espace. Le fondu-enchaîné le plus célèbre et célébré de l’histoire du cinéma rapproche les deux inventions en une fraction de seconde. Or, rapporté à l’âge de notre planète, voilà tout simplement ce que représente l’existence de notre espèce : une fraction de seconde. Des battements de cils dans l’espace, quelques pulsations de notre civilisation, voilà ce que tente d’explorer Stanley Kubrick avec 2001. Il y a la photographie CinemaScope d’Unsworth et Taylor, la musique non originale (pourquoi écrire une nouvelle partition alors que la musique classique en compte des prodigieuses par milliers, soutenait le cinéaste) de Richard et Johann Strauss ou encore Ligeti, la direction artistique postmoderne et les mouvements de caméra expérimentaux…
Qu’il est étrange et paradoxal d’atteindre une telle perfection mathématique tout en confinant à une telle abstraction. Visionné une fois, dix fois, vingt fois, 2001 ne réserve jamais exactement la même expérience. Mieux : des voies et béances au départ inusitées tendent à s’ouvrir au fil des visions. Les aficionados de la théorie du complot voient en lui un brouillon ayant préparé le metteur en scène au tournage en studio de l’alunissage d’Armstrong et Aldrin (de même qu’ils voient en Shining d’autres indices alimentant ce délire). De fait, la force de 2001 (et par extension du cinéma de Kubrick) est telle qu’elle donne libre cours aux fantasmes les plus saisissants. Le monolithe et la musique contemporaine subjuguante, la chambre étrange de style Louis XVI où Bowman se voit vieillir prématurément et le fœtus géant gravitant dans l’espace… tous constituent des visions inoubliables. De celles qui nous hantent autant qu’elles nous laissent transis de questionnements inextricables. Conceptuel et universel, 2001 résiste à l’analyse ou à l’herméneutique. C’est d’ailleurs précisément cette résistance en forme d’énigme qui fait son sel. Au-delà de ses choix esthétiques, de ses goûts ou encore de son penchant probable pour Nietzsche, Kubrick n’y affirme rien, pas même sa foi en une transcendance. À la manière d’Ingmar Bergman avec Les Fraises sauvages (l’horloge sans aiguilles), à la manière des peintres modernes et autres plasticiens, le réalisateur s’essaye à un poème visuel. Qu’il semble loin aujourd’hui le temps où les plus grands studios donnaient leur aval au financement d’un film d’auteur expérimental nanti d’un budget de blockbuster. Un pari réussi, du reste, puisque le succès fut aussi bien commercial que critique. D’une beauté sidérante, pratiquement sans aucun dialogue – comme Hitchcock ou Leone, Kubrick croyait infiniment au pouvoir de l’image et à la force de son langage –, 2001 reste le roi des space opera (vaisseaux, voyage interplanétaire… tout y est), le maître de la science-fiction. Son influence est énorme et n’est pas prête de s’atténuer. Merci Douglas Trumbull (réalisateur de Silent Running) et consorts pour les effets spéciaux, toujours incroyables. Sur ce, retournons nous perdre sur Jupiter aux abords de l’impénétrable monolithe noir extraterrestre.
Dune
David Lynch, 1984
« Dune, planète des sables… Arrakis… le dormeur doit se réveiller ». En l’an 10191 après la Guilde, des peuples se disputent l’acquisition de l’Épice, la substance la plus précieuse de l’univers… Abandonné par Alejandro Jodorowsky, repris par un David Lynch pris au piège des studios de production, Dune est un film maudit au même titre que Don Quichotte, sur lequel se brisa Orson Welles ou encore Terry Gilliam (difficile à dire si L’Homme qui tua Don Quichotte lui a offert entre temps une rédemption). Mais un peu à l’image d’Alien 3 (Fincher, 1992), autre mal-aimé sabordé en salle de montage par les producteurs, le Dune de Lynch conserve par-delà tous ses défauts une identité bien singulière et une aura mystique de génie. Certes, au regard des coupes – véritable jeu de massacre – réalisées par Dino De Laurentis et sa fille Raffaella (le montage initial de 4h fut réduit à 2h), le film accuse évidemment un certain nombre d’imperfections. La faute pour l’essentiel aux raccords fatalement à l’emporte-pièce et à la musique originale du groupe Toto, retranchée pour ne servir qu’en guise de simple jingle bourdonnant.
Pour le reste, et ce même si l’on ne verra probablement jamais le Dune rêvé par Lynch et les fans de Frank Herbert – le cinéaste n’ayant pas prévu de repartir en salle de montage –, le film fait malgré tout montre d’une certaine virtuosité. Malade par essence, il brille par ses décors génialement kitsch, lesquels mêlent le space-opera et le péplum. Aussi, même amputé de 2h, son scénario apparaît parfois très fidèle au roman d’Herbert. Différents tomes de sa saga cohabitent par instant avec une inventivité saisissante, même si bien évidemment le médium cinéma ne peut qu’effleurer la complexité du texte original. Parmi les trouvailles de David Lynch, notons l’ajout des fameux modules permettant de générer des sortes de rayons lasers par le biais de la voix, une idée des plus poétiques. « Mon nom est un mot qui tue », prononce dès lors Paul Atréïdes incarné par l’indépassable Kyle MacLachlan – mention spéciale aussi pour l’usage de cet outil lors du duel contre Feyd-Rautha (Sting).
Mais ce qui rend Dune absolument culte et profondément extraordinaire, c’est cette impression qu’il donne d’arpenter un film de science-fiction pas comme les autres, parce que mis en scène par David Lynch. Ici, même dépecés par De Laurentis, les séquences et plans restent le fruit de l’imaginaire du cinéaste. Si l’on doit les personnages et intrigues à Herbert, l’atmosphère qui les entoure se veut une distorsion proprement lynchienne. Dune, de par sa nature de film de science-fiction flamboyant et baroque, pourrait n’avoir aucun rapport avec Eraserhead (1977) et Elephant Man (1980) mais il n’en est rien : l’onirisme et l’esthétique technico-industrielle rejaillissent ici en effet de façon prodigieuse. Quid chez un autre cinéaste de ce mélange si étrange entre beauté et horreur ?
À lui seul, le baron Vladimir Harkonnen, sorte de bibendum purulent, libidineux et volant, est un concentré de créativité. Occupé à comploter dans une salle aux tons verdâtres, il prend d’assaut un jeune éphèbe et l’assassine dans une scène effroyable où l’on pressent déjà l’érotisme souffreteux et sado-masochiste de Blue Velvet (1986). Il en va de même pour le design monstrueux et organique du Navigateur de la guilde, ou pour toutes ces scènes métaphysiques et hypnotiques (les songes) inscrivant le récit en apesanteur dans le néant de l’espace. En outre, d’innombrables fondus de Lynch himself ont été conservés (l’épisode de la main qui se consume, entre autre). On y aperçoit les images s’entrelacer et ainsi sécréter une ambiance des plus fantasmagoriques. Malsain, sauvage, décadent, enivrant, Dune est et restera un film de David Lynch entre rêve (très Twin Peaks ou Lost Highway, parfois) et cauchemar (le côté conte maléfique à la Sailor & Lula). Le casting, par ailleurs, est on ne peut plus savoureux, avec notamment Linda Hunt, Richard Jordan, Virginia Madsen, Sean Young, (Blade Runner), Dean Stockwell (Paris, Texas) ou encore Max von Sydow (si cher à Ingmar Bergman et au cinéma de genre jusqu’à Game of Thrones). Question thématique d’autre part, on peut voir la bataille de l’épice comme une allégorie des crises énergétiques contemporaines.
Retenons enfin l’une des qualités essentielles de Dune : ses décors de space-opera sensationnels et inhabituels, qui sont le fruit notamment de l’imagination d’Anthony Masters, chef décorateur pour un certain 2001, l’Odyssée de l’espace. Résultat, l’architecture tranche avec le commun, mélange le médiéval, l’oriental, l’archaïsme et la délicatesse infinie. Les véhicules volants, les stations de pompage, les vaisseaux spatiaux… tous bénéficient d’un soin impressionnant. Mentor Huebner, leur concepteur, avait déjà notamment travaillé pour des films tels que Planète interdite, Ben Hur ou encore Blade Runner. Projet pharaonique laissé en quelque sorte inachevé, Dune ne mérite pas seulement un détour mais vaut absolument le voyage, car il s’avère bel et bien grandiose par-delà les déformations.
Abyss
James Cameron, 1989
Visionner Abyss, c’est partir à découverte de notre planète. Car pour Cameron, il serait présomptueux d’affirmer la connaître (et donc de la respecter).
Sur le papier, Abyss ne se déroule pas dans l’espace et ne peut donc être classé parmi les space operas. Pourtant, quitte à contrarier les puristes les plus échevelés, il apparaît ici on ne peut plus pertinent de faire obstacle à l’usage. C’est que ce petit génie de James Cameron a choisi de glisser ce sous-genre de la SF dans les abysses : sa manière à lui de remplacer l’infini stellaire par les profondeurs incalculables de l’océan. Son geste n’a rien d’anodin puisqu’en effet tous les plus grands space-operas depuis plus d’un demi siècle (2001, Solaris…), sans compter la littérature inhérente au genre, se font fort d’évoquer la conquête spatiale pour mieux nous inciter, nous spectateurs, à se pencher en miroir sur notre propre planète. Il s’agit en creux d’un enjeu écologique, l’essor et le rayonnement de l’espèce humaine n’allant pas sans conscience environnementale. De fait, Cameron propose donc un voyage vers l’infini et l’inconnu où l’on se rencontre/retrouve soi-même (l’histoire d’amour, centrale, en témoigne) et où l’on prend la mesure de la splendeur, de la fragilité du monde. Outre l’océan en guise d’espace, on remplace les vaisseaux par les insubmersibles et les tenues de spationautes par des scaphandres. Space opera sous-marin, Abyss est probablement l’œuvre la plus ambitieuse et vertigineuse de James Cameron – lui, pourtant inlassablement habitué aux excès et à une folie des grandeurs stupéfiante.
Afin de mettre en scène l’une des banalités essentielles de l’espèce humaine – la quête d’amour et la rencontre avec autrui –, afin de pointer du doigt l’un de ses plus grands travers – l’égoïsme et l’enrichissement –, le réalisateur déploie un dispositif baroque ahurissant. Le huis-clos de la station sous-marine, le clair-obscur de l’enfermement, le vide infini et impalpable, les effets de lumière fantastiques, toutes ces composantes dessinent une ambiance aussi oppressante que merveilleuse. La musique d’Alan Silvestri (collaborateur fétiche de Robert Zemeckis), la photographie de Mikael Salomon et les effets visuels, tous époustouflants, complètent le tableau de cette œuvre hors-norme à tout point de vue. Le tournage du film, Cameron oblige, fut un véritable enfer aussi bien pour les comédiens que l’équipe technique, poussant chacun (à commencer par le cinéaste) jusque dans ses derniers retranchements physiques. Preuve qu’un grand film demande parfois des sacrifices. Rebaptisé « The Abuse » (avec t-shirts à l’appui) par une grande partie des équipes de la production, Abyss reste pourtant un modèle du genre aussi bien applaudi par la critique que les spectateurs. Ce qui n’a pas empêché ce chef d’œuvre absolu tourné en CinemaScope de devenir l’un des rares échecs commerciaux de la carrière de Cameron. Un space opera aquatique à voir et à revoir, ne serait-ce que pour prendre la mesure du caractère visionnaire de son metteur en scène, ou pour Mary Elizabeth Mastrantonio et Ed Harris, deux acteurs au sommet.
Starship Troopers
Paul Verhoeven, 1997
À sa sortie en 1997, nombreux furent les critiques et spectateurs à ne voir en Starship Troopers qu’un film de science-fiction aux gros bras et au ton ultra-militariste. Ce serait là oublier que Paul Verhoeven (RoboCop, Total Recall…), pacifiste forcené et prédateur contre l’ordre établi, met précisément en scène l’outrance au second degré pour mieux dénoncer l’Amérique belliciste, alors toujours empêtrée en Irak. Les spots publicitaires propagandistes mettant en scène des enfants initiés au maniement des armes, à la fois gores et hilarants, sont d’une animosité rare à l’égard de la politique de Bush père. On retrouvait d’ailleurs déjà le même dispositif dans RoboCop et Total Recall, avec l’usage prosélyte de la télévision.
Starship Troopers prend d’énormes libertés par rapport au roman Étoiles, garde-à-vous (Robert A. Heinlein, 1954) dont il s’inspire. Le film du cinéaste hollandais n’hésite pas en effet à totalement parodier la veine impérialiste et simili fasciste du livre. À l’instar du roman, le film suit donc Johnnie Rico, étudiant devenu jeune soldat envoyé en première ligne sur la planète Klendathu pour affronter des arachnides. Un peu à l’image de Full Metal Jacket (Kubrick, 1987), on assiste à l’aliénation du personnage principal, très vite contaminé par la pensée unique et l’horreur de la guerre. Les scènes de bataille au fusil mitrailleur, paroxystiques et sanglantes, sont une manière d’allégoriser le combat éternel d’un homme endoctriné et tout aussi vide intérieurement que les insectes qu’il extermine. À noter le rapprochement entre ces derniers et les ennemis de l’Amérique, assimilés à des microbes que l’on écrase sans scrupule. Rarement satire n’aura été aussi brillante, sinon chez Stanley Kubrick (Les Sentiers de la Gloire…) ou Sam Peckinpah (Croix de fer…).
Le réalisateur prend également un malin plaisir à subvertir tous les codes de l’Amérique moderne. En cela, les acteurs/personnages – Casper Van Dien et Denise Richards, choisis délibérément parce qu’ils ressemblent à des Ken & Barbie – sont d’une importance cruciale. C’est que leur beauté aux canons du conformisme va peu à peu se fissurer voire se disloquer au contact des atrocités du quotidien. Une perte de l’innocence de génie. Aussi, le caractère clinique des décors (lycée, habitat, vaisseau) tranche avec une réalité autrement plus abominable. Dans cette société interchangeable où personne n’a le droit de ne rien cacher (les résultats aux examens, la raison d’un changement de trajectoire professionnelle), apparaît en creux la marque des dictatures modernes. Pour autant, derrière la satire, Verhoven se donne les moyens d’un film de science-fiction crédible : le contact au sein du vaisseau fait penser à Alien et Aliens – la nudité en plus, péché mignon de l’intéressé –, les effets numériques sur Klendathu sont stupéfiants. Les arachnides et autres insectes s’avèrent criants de vérité et il n’est pas rare de ressentir une certaine culpabilité devant ces massacres métaphoriques. Admirable portrait au vitriol de l’Amérique contemporaine.
Mission to Mars
Brian De Palma, 2000
De tous les films de Brian de Palma, Mission to Mars incarne celui qu’il est le plus aisé de détester ou de minorer. Pour beaucoup, même Le Bûcher des vanités (1991) apparaît comme un naufrage moins évident (hormis en matière de recettes). Pourquoi une telle acrimonie ? Parce que Mission to Mars, film de commande proposé par Disney, a coûté 100 millions de dollars et propulsé De Palma l’espace d’un instant au firmament des metteurs en scène de blockbusters hollywoodiens. De fait, tout le monde l’attendait au tournant. Oui mais voilà, la critique et les spectateurs s’accordèrent à penser que le résultat final confinait au gentil nanar empêtré dans un pathos et une spiritualité bêtifiante. Pourtant, il y a beaucoup de méprise et d’incompréhensions autour de ce long-métrage. Que le cinéma de Brian De Palma soit par essence une forme à la fois géniale (la mise en abyme perpétuelle, le maniérisme hitchcockien, l’autobiographie cachée…) et surchargée (plans séquences virtuoses et tape-à-l’œil, style baroque…) ne date pas d’hier. En la matière, Mission to Mars ne déroge certainement pas à la règle et trébuche même sur quelques stéréotypes – Disney oblige. En revanche, il mérite d’être redécouvert et analysé. Ne serait-ce parce que le réalisateur s’est fait fort de ne pas dissoudre totalement ses idées pour les beaux yeux de Mickey – penser en premier lieu à son recours à la violence (la tornade) et ses allégories conceptuelles par dizaines (le spectre de la mort).
Différents éléments se télescopent dans Mission to Mars. Il y a d’abord le destin de Jim McConnell, lequel a initialement refusé de partir pour Mars afin de mieux soutenir sa femme cancéreuse dans son chemin vers la fatalité. Le personnage va finalement se rendre sur Mars dans le but justement de sauver de la mort un de ses camarades, comme par purgation. À cet élément structurel du film – le fait de devoir regarder mourir ceux qu’on aime –, s’ajoute un maniérisme kubrickien et un authentique film de science-fiction sur le mode space opera. Le rapport de De Palma avec le papa de 2001 est ici identique à celui qu’il entretient habituellement avec Hitchcock (Pulsions, Body Double…) : il ne s’agit pas d’un mimétisme ni d’un hommage ronflant mais d’une co-construction. La nature opératique de la mise en scène de De Palma trouve l’écrin rêvé lorsqu’elle se mêle partiellement à 2001, par exemple au gré d’un ballet cylindrique mélancolique entre cosmos et intime. Sur le plan du space opera, l’enchaînement des péripéties est un véritable florilège : impacts de micrométéorites, dépressurisation, réparation, catastrophe, sortie dans le néant de l’espace… Impossible d’en vouloir au réalisateur de Blow Out (1981) lorsqu’il ne fait que remplir avec brio le cahier des charges d’un film hollywoodien. D’autant que tous ces ingrédients ne sont qu’une couverture. Car oui, comme toujours, le cinéma de De Palma agit de manière souterraine.
Car qu’est donc Mission to Mars sinon une allégorie saisissante de la mort et de la renaissance ? La mort est partout ici : outre Jim impuissant devant celle de son épouse, il y a le commandant Woody Blake qui, une fois pris au piège, choisit de retirer son casque dans l’espace pour empêcher sa femme de mourir à son tour en essayant vainement de le sauver. Cette scène justement où les quatre membres de l’équipage se retrouve en dehors du vaisseau pour tenter de rejoindre la station orbitale est à elle seule un monument (dont s’inspirera Cuaron pour Gravity). Le pistolet-filin utilisé pour tenter de sauver Woody s’apparente à une petite caméra 16 mm (penser le câble comme une bobine) dont avait l’habitude de se servir le jeune De Palma. Et ceci n’est pas un hasard : le réalisateur cherche à montrer que si la pellicule permet dans une certaine mesure d’immortaliser l’action (les choses, les personnes), elle ne prémunit pas contre la mort puisqu’elle n’arrête pas le temps. En cela, De Palma s’en remet mentalement à ses proches disparus et néanmoins un jour fixés par la caméra. Mais si le regard demeure donc impuissant, l’image projetée fait quant à elle office de renaissance. À ce titre, l’expérience de l’équipage sur Mars – sorte de séance de cinéma holographique donnée au gré d’une rencontre du troisième type – tient lieu de rédemption cathartique. La planète Mars telle qu’elle était du temps où elle était habitée a disparu (et engendré dans le même temps la vie sur Terre) mais se donne à voir comme elle était avant sa destruction. Jim va vivre cette même épiphanie de résurrection en revenant symboliquement à son enfance et à ses rêves – en pénétrant le liquide qui l’immerge sans le submerger, il fait d’ailleurs écho au fœtus de 2001. Le protagoniste passe en quelque sorte à l’intérieur de l’écran de cinéma et – magie du médium oblige – se souvient des jours heureux avec son épouse. L’on pourrait trouver le mysticisme de De Palma pathétique, il apparaît en réfléchissant on ne peut plus stimulant et fascinant. Comme quoi, les nanars cachent parfois des chefs d’œuvre insoupçonnés.
Avatar
James Cameron, 2009
2154, à l’heure où la Terre traverse une crise énergétique sans précédent. Sur une planète recouverte d’une jungle luxuriante, des humains venus extraire un minerai salvateur se heurtent aux autochtones : les Na’vis. La simplicité apparente du pitch d’Avatar, avec ses points communs avec l’histoire de Pocahontas et de John Smith (sans compter Apocalypse Now), ne peut tenir lieu d’argument pour saper l’ampleur de l’œuvre. Car Cameron s’appuie précisément sur l’aura de ce fait historique popularisé entre autres par Disney (ou encore par Terrence Malick avec Le Nouveau Monde, 2005) afin de donner à l’impérialisme qu’il dénonce un caractère universel. Du reste, l’aspect schématique du récit d’Avatar apparaît en trompe-l’œil. Nul besoin ici de rebondissements et d’enchevêtrements de scénario pour que l’œuvre se pose comme un film-somme. Non contente de synthétiser la plupart des thématiques et œuvres de Cameron (de Terminator à Titanic en passant par Abyss et Aliens), elle donne vie à un univers doté d’une richesse infinie. Chaque plan sur la planète Pandora – sorte de nouveau monde rejouant les affres d’un empire britannique hégémonique, ici l’Amérique expansionniste – fourmille de petits miracles. Profondeur de champ, topographie, nature luxuriante, bestiaire inépuisable, technologies écrasantes… réussir à mettre en scène un espace aussi criant de vérité tient de la prouesse, et pas seulement technique. Chaque personnage, immédiatement intelligible, n’a pas besoin de s’exprimer des heures pour que le spectateur soit en mesure de lire son âme. Faut-il y voir du manichéisme ? Non, puisque même si Cameron choisit délibérément de simplifier quelque peu les passions de chacun pour créer une fable universelle, persiste un flou et des protagonistes inclassables.
Une autre réussite stupéfiante d’Avatar se niche dans l’humanité que sécrète les Na’vis. Paradoxe génial, ces derniers pourtant nés intégralement d’images de synthèse en viennent à supplanter humainement les humains pro-machines aliénés par le tout-technologique. Une telle pureté dans l’écriture et la forme (par-delà le kitsch, chose qui constitue aussi Cameron), fruit de longues recherches, n’a en matière de blockbuster pas trouvé d’égal, hormis peut-être deux exceptions notables depuis 2009 : Gravity (Cuaron, 2013) et surtout Mad Max : Fury Road (Miller, 2015). Ce dernier, autre tapisserie SF monumentale reposant sur une intrigue minimaliste, a su montrer comment l’épure et l’intensité peuvent donner lieu à une expérience fantastique. La preuve que l’imaginaire et la précision de l’écriture nous permettent d’imaginer parfois en l’espace d’un unique plan (la nuit américaine dans les marécages, par exemple) un possible spin-off. Or, des dizaines sont possibles à partir d’Avatar, raison pour laquelle Cameron travaille d’arrache-pied sur des suites depuis une dizaine d’années. Reste maintenant à savoir si le réalisateur réussira de nouveau à faire rêver les foules, remettant de nouveau les compteurs des effets spéciaux à zéro. L’artiste a toujours été donné pour mort avant que ses projets n’emportent presque à chaque fois l’audience. Le rendez-vous est pris.
Prometheus
Ridley Scott, 2012
L’histoire liant Ridley Scott à la science-fiction n’a jamais été aussi brillante qu’avec Alien, le huitième passager (1979) et Blade Runner (1982). Ce n’est toutefois pas une raison suffisante pour délaisser totalement son Prometheus (2012), préquel de la saga Alien aussi mystique qu’ambitieux. Et peu importe si la direction artistique du film lorgne parfois un peu trop du côté du Dark City (1998) d’Alex Proyas. Scénarisé par Damon Lindelof, le pape de l’étrange et des questionnements métaphysiques (Lost, The Leftovers…), le long-métrage accentue tous les aspects énigmatiques entrouverts par la saga Alien. Et contrairement à sa suite Alien : Covenant (2017), l’enjeu n’est résolument pas d’écraser les fans sous un amoncellement de réponses mais plutôt de les emmener un peu plus loin dans l’inconnu. Dans cette équation, il est question au second plan de xénomorphe mais aussi beaucoup d’intelligence artificielle, de vie éternelle, d’origine du monde et de berceau de l’humanité – rien que ça. Comme souvent dans la saga Alien, l’histoire suit le voyage d’un vaisseau vers une planète lointaine, expédition scientifique cette fois organisée par la société Weyland. Des archéologues viennent en effet de découvrir et déchiffrer sur Terre une peinture rupestre avec les références d’une planète. C’est là-bas que leur permet de se rendre Peter Weyland, un milliardaire à la Elon Musk sur le tard.
Rétrospectivement, le génie de Ridley Scott est d’avoir pressenti l’empire des multinationales tentaculaires à la Amazon ou Google, élément qu’il rend d’autant plus tangible avec Prometheus, où une société toute puissante contrôle tout. À travers le film, l’optique du metteur en scène n’est cependant pas seulement de montrer un futur écrasé par les consortiums et où l’humain n’existe plus. Confrontant ses protagonistes à une planète (LV-223, à ne pas confondre avec celle d’Alien ou Aliens) presque déserte et abritant quelques temples ou bases extra-terrestres, il les renvoie à leur vacuité. Ni les archéologues, ni Weyland le démiurge mégalo ne s’avèrent de taille à comprendre ce monde hostile. Il n’y a guère que l’androïde pour trouver dans la rugosité des décors et dans cet enchevêtrement métaphysique un moyen de reprendre le contrôle sur ses créateurs les hommes. Dans Prometheus, que l’on soit monstre, extra-terrestre, humain ou robot, on reste à chaque fois la créature de quelqu’un. Inextricable par essence, l’intrigue est fascinante et condense toutes les problématiques de la science-fiction moderne. Mention spéciale pour les architectes, qui lèvent un peu le voile sur le fameux Space Jockey, l’une des nombreuses créatures inventées par le roi H. G. Giger.
Interstellar
Christopher Nolan, 2014
L’ambition, la gravité et la grandiloquence de Christopher Nolan ne plaident pas toujours à sa faveur. Sans doute son refus quasi perpétuel de l’humour pèse-t-il assez fortement dans cette équation. Pourtant, son Interstellar ne démérite pas, loin s’en faut. Mieux : sa poésie pompière et déclamatoire réussit – petit miracle de cinéma – à traduire sous forme de blockbuster quelque chose de la profondeur métaphysique de 2001, l’Odyssée de l’espace (Kubrick) et Solaris (Tarkovski). Fort d’un budget rondelet de 165 millions de dollars, le cinéaste se permet presque tout, de l’explosion titanesque au spirituel en passant par l’amour filial. Si sa résolution à faire cohabiter le cosmique et l’intime frise par moment le trop-plein (la musique qui singe parfois trop celle de 2001), on ne peut que rester abasourdi que tout cela tienne si solidement. Nolan réalise ici donc un rêve fétichiste qui le tiraillait depuis Batman et ce gratte-ciel sombre en ouverture reproduisant le fameux monolithe noir – du reste, présent ici sous la forme d’un robot.
Pour donner corps à ce rêve, il narre le destin d’une famille texane à l’heure où la Terre est au bord de l’extinction et que disparaissent les dernières ressources agricoles. Cette histoire, c’est celle d’un ingénieur, pilote et fermier tenu de quitter les siens pour prendre part à un programme spatial secret visant à découvrir une nouvelle planète habitable. Au programme : un voyage à travers l’espace, le temps et même les dimensions.
Le principe d’Interstellar, sans réussir à effleurer la force conceptuelle de ses aïeux, est de montrer que l’amour peut sauver le monde autrement davantage que la science elle-même. Un dispositif qui partage en cela un certain nombre de points communs avec le cinéma de Shyamalan (Phénomènes, After Earth…). Bien que le metteur en scène se garde un peu trop en la matière de filmer les instants de partage père-fille (leurs retrouvailles cathartiques, entre autres), le voyage physique et mental du film laisse parfois pantois. On apprécie le recours aux cuts brusques entre les plans sonores à l’intérieur du vaisseau et les plans insonores dans le vide astral à l’extérieur. On va même jusqu’à aimer les dialogues explicatifs qui font glisser l’ensemble non pas vers le chef d’œuvre mais vers la série B – un sous-genre qui lui sied bien.
Enfin, ce qu’Interstellar – Nolan oblige – perd en abstraction méta (tout est toujours trop lisse, trop justifié pour cela), il le gagne en pragmatisme. Qu’importe le design et la direction artistique trop nettes (le trou noir trop cylindrique et palpable), le long-métrage préfère s’intéresser au ressenti de ses personnages. L’important n’est plus le voyage en lui-même mais ce qu’ils ont à perdre à travers lui. Or, mettre de côté ainsi la technique et la nécessité de la réussite au profit de l’humain s’avère somme toute des plus louables, et ce, d’autant plus ici lorsque la traversée ne manque parfois pas de piquant.
Mais aussi… 24 autres films incontournables mettant en scène d’autres planètes
Stargate, la porte des étoiles (Roland Emmerich, 1995)
Le Cinquième élément (Luc Besson, 1997)
Moon (Duncan Jones, 2009)
Un nouvel espoir (George Lucas, 1977)
Seul sur Mars (Ridley Scott, 2015)
Contact (Robert Zemeckis, 1997)
Solaris (Andrei Tarkovski en 1971 ; Soderbergh en 2002)
Les Gardiens de la galaxie (James Gunn, 2014)
Men in Black (Barry Sonnenfeld, 1997)
Alien (Ridley Scott, 1979)
Star Trek (J.J. Abrams, 2009)
Total Recall (Paul Verhoeven, 1990)
Les Chroniques de Riddick (David Twohy, 2004)
Serenity : l’ultime Rébellion (Joss Whedon, 2005)
John Carter (Andrew Stanton, 2012)
Ghosts of Mars – suite de New York 1997 qui ne dit pas son nom – (John Carpenter, 2001)
Planète hurlante (Christian Duguay, 1995)
Man of Steel (Zack Snyder, 2013)
Melancholia (Lars Von Trier, 2011)
Another Earth (Mike Cahill, 2011)
Dark Crystal (Jim Henson, 1983)
La Planète sauvage (René Laloux, 1973)
Gandahar (René Laloux, 1988)
After Earth (M. Night Shyamalan, 2013)