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Trois raisons de voir la mini-série La Corde
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Trois raisons de voir la mini-série La Corde

De : Dominique Rocher
Avec : Suzanne Clément, Jean-Marc Barr, Christa Théret, Tom Mercier
Année : 2022

Après La Nuit a dévoré le monde, Dominique Rocher continue à revisiter les codes du fantastique, de la SF et de l’horreur. En découle un un thriller métaphysique entre rêve et cauchemar, porté par Suzanne Clément, Richard Sammel ou encore Jeanne Balibar. Un voyage étrange plutôt réussi.

Elle porte le même nom que le célèbre film d’Hitchcock tourné (pratiquement) en un seul plan-séquence mais la ressemblance s’arrête là. L’intrigue se déroule en Norvège aux abords d’un observatoire astronomique. Une équipe de chercheurs internationaux prépare une mission en lien avec le phénomène des répéteurs. Théorie selon laquelle il serait possible grâce à des ondes venues de l’espace de cartographier l’univers tout entier et de comprendre sa formation. Mais l’important n’est pas vraiment là (ou si peu) : une corde étrange se trouve dans l’épaisse forêt adjacente au complexe scientifique. Intrigués en la découvrant, quelques protagonistes décident de la suivre, d’abord pour s’amuser puis en définitive par obsession, pour savoir où elle commence. Problème : cette corde insaisissable semble sans fin et provoque même des réactions mystérieuses de la part des personnages…

La matière dont se compose La Corde relève autant de la série B fantastique, du drame intime que de la quête métaphysique. Passez au shaker l’esprit des nouvelles de Philip K. Dick, la mystique mélo/symbolique des films de SF de Tarkovski ou Shyamalan et des personnages instables aux trajectoires tortueuses typiques des drames à la française (façon Dominik Moll), et vous y êtes. Réalisée par Dominique Rocher, cette mini-série possède à peu près les mêmes défauts (une certaine vacuité) et qualités que le film La Nuit a dévoré le monde (2018), le premier long-métrage du réalisateur. L’atmosphère opaque et poétique, aux frontières entre surnaturel, SF et épouvante, brille par son minimalisme. Classique et néanmoins solide, la mise en scène distille le mystère scène après scène. Évasif tout en restant prenant, le scénario jongle avec les personnages et leurs destins, au gré d’un casting singulier, équivoque et bien vu (Richard Sammel, Jeanne Balibar, Jean-Marc Barr, Suzanne Clément…).

La Corde donne au départ le sentiment que les personnages, pour la plupart en proie à la névrose ou à un vide existentiel accablant, vont finir par se réaliser en suivant cette corde. Ce long chemin ininterrompu, rectiligne, symbolise inconsciemment pour chacun d’entre eux une échappatoire. Ce fil d’Ariane – qui semble introduire l’impossible : de l’infini dans un l’espace fini qu’est notre planète – incarne une énigme irrésistible. Un secret impénétrable qui donne même presque des envies de croyance aux personnes les plus athées et pragmatiques. Reste que si la série de Dominique Rocher pose toutes ces questions et bien d’autres, philosophiques et ontologiques pour beaucoup, de l’excès et du jusqu’au-boutisme viennent dérégler ces nébulosités. Par à-coups, l’écriture introduit une violence parfois frénétique qui tend à effacer ce que l’on prenait plus tôt pour du lyrisme ou du romanesque.

C’est cette construction composite, qui emprunte autant au cinéma d’auteur qu’aux films de genre les plus brutaux (pas si loin du survival), qui procure à La Corde ce caractère fluctuant et indéterminé. Les destinées glissent et achoppent selon le hasard et les caprices de la nature – Shyamalan n’est pas si loin. Un paramètre qui justement ne plaira pas à tous, et ce d’autant plus si l’on visionne La Corde à la manière d’un polar. Car la série ne choisit pas, elle constate et dessine un labyrinthe. Ce constat s’apparente au tableau d’un monde instable et hanté par le chaos. Un univers où peu d’entre nous parviennent à trouver la voie et à se réaliser. Autant pour ses twists que pour toutes les questions métaphysiques auxquelles le scénario se garde de répondre (nous ne sommes résolument pas chez Nolan), La Corde vaut son petit voyage. Certes, toutes les promesses ne sont pas toujours tenues, la faute à de trop nombreuses ellipses et à une intrigue qui aurait mérité à être davantage délayée. Il n’empêche que les exemples de mini-série française au croisement de la SF et du fantastique, même partiellement réussis, sont trop rares pour être ignorés.

Adaptée du roman éponyme allemand de Stefan aus dem Siepen, La Corde est disponible sur la plateforme d’Arte.

Alexandre Jourdain

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