Né en 1961, Neal Asher a connu le succès dès la publication tardive de son premier roman, en 2001. Auteur très apprécié en Grande-Bretagne, il renouvelle la SF d'action et de combat d'un Harry Harrison, d'un Poul Anderson ou d'un Bertram Chandler. En dehors de Cowl, le récit d'un voyageur temporel qui fuit dans le passé pour échapper à des envahisseurs du futur, les romans de Neal Asher se réfèrent tous à un même univers : celui d'un monde gouverné par le Polity et envahi par les Pradors. Ce monde est abordé sous trois angles qui constituent autant de cycles dans la série globale : celui de l'agent Ian Cormac, celui du Polity ou celui de la planète Spatterjay, lieu d’origine de L'Ecorcheur.
Ian Cormac, le héros fétiche de Neal Asher, est un mélange de John Carter, de James Bond et de figure cyberpunk. Agent secret, soldat ou enquêteur officiel, il dispose d'un aug dans le cerveau qui lui permet de mener des enquêtes fouillées et d'être en contact permanent avec les IA de contrôle, ses supérieurs hiérarchiques ou ses camarades de combat. Dans Drone, c'est la facette soldat d'élite qui est mise en avant.
Chronologiquement, dans le space opera ashérien, Drone se situe entre Prador Moon et Gridlinked, le premier roman plébiscité par le public anglophone (pas encore de traduction française). Dans Prador Moon, les humains font la connaissance des Pradors, ces crustacés géants avides de sang et amateurs de chair humaine. Heureusement, deux humains augmentés les empêchent de détruire l’une des planètes du Polity. Dans Gridlinked, l'agent Ian Cormac, en cure de réhumanisation après des années de connexion mentale au Réseau, mène une enquête sur la planète glacée de Samarkand pour déterminer qui a détruit le runcible (un générateur de trous de ver qui autorise la téléportation). Drone peut être vu comme une préquelle des aventures de Cormac, car il y est beaucoup question de son enfance, de ses parents, de son frère. Cormac doit à la fois déjouer les visées terroristes de séparatistes anti-Polity et retrouver les traces de son passé effacé.
Drone de guerre…
A huit ans, Ian Cormac consulte les actualités sur la guerre contre les Pradors tandis que sa mère poursuit ses fouilles archéologiques. Bien plus tard, il est en mission sur la planète Hagren en tant que soldat du SCT. Il doit protéger des ogives nucléaires des griffes des séparatistes.
Enfant, Ian aperçoit régulièrement un drone de guerre qui semble le suivre de loin. Des années après, lors de sa première mission militaire, il doit faire face à la trahison de son chef, Carl. Il sera ensuite naturellement désigné pour s’infiltrer parmi les rebelles.
Quand Ian est encore adolescent, son frère médecin se fait effacer une partie de la mémoire pour survivre aux atrocités de la guerre. Adulte, Ian prend conscience qu’une partie de son passé a été gommée et que cette partie concerne la disparition de son père, combattant à la bataille de Haffstings. De mission en mission, sur fond de guerre avec les Pradors, le soldat Cormac finit, au fil de ses victimes et de ses blessures, par causer d’irrémédiables pertes aux séparatistes. Mais c’est grâce à son drone gardien qu’il s’en sortira.
Aussi cherchera-t-il à décrypter le lien qui unit ce drone à sa mémoire effacée.
Un roman d’action introspectif
Le roman est d’abord un roman de guerre, à l’américaine, centré sur un G.I. ordinaire, sans personnalité (déshumanisé pour ne pas dire décérébré), courageux, discipliné et super-efficace. Une sorte de FPS (First-Person Shooter) à la Counter Strike ou à la Far Cry, où il s’agit de trucider le plus d’ennemis sans trop se faire esquinter. Mais ce déversement sauvage d’adrénaline est largement tempéré par les flash-back du héros sur son enfance, qui lui restituent un peu de profondeur psychologique et donnent corps à la guerre du Polity contre les arthropodes envahisseurs. La quête d’identité du héros et la présence énigmatique d’un drone de guerre fixent en contrepoint la trame de l’histoire.
Entre l’exigence d’action, l’inhumanité du soldat et les interrogations de l’enfant, il y a le choc de deux mondes. Comment Ian Cormac en est-il arrivé là ? Pourquoi ses souvenirs qui lui ont été retirés ? Pourquoi lui a-t-on caché la vérité sur son père ? Chaque chapitre commence par une évocation de l’enfance de Ian et bascule rapidement dans la réalité du combat de l’agent Cormac contre les séparatistes d’Hagren. Le lien entre les deux incarnations du héros est assuré par sa mère et par le drone, présents aux deux époques. La situation du soldat, mais aussi celle du Polity, sont ainsi éclairées par son passé, par l’engagement de son père, héros de guerre, et par ce qui a été soustrait à sa mémoire.
Cette mise en regard serait intéressante si elle débouchait sur quelque chose de concret. Mais, en dehors de la redécouverte progressive du héros paternel dont Cormac suit les traces, aux deux sens du terme, le passé n’est pas très éclairant. Cet effet miroir est plus un procédé littéraire qu’une exégèse psychologique. Les vraies fêlures de l’enfance ne sont pas mises à nu. Et l’on a du mal à expliquer la psychologie étriquée du soldat au seul vu de son passé qui lui a menti sur son père. La présence du drone comme représentation symbolique du père perdu est certes obsédante (ne serait-ce que dans le titre), mais on se demande vraiment pourquoi ce drone perd autant de temps à suivre le fils. Il aurait mieux fait de s’exprimer plus tôt et clairement. La cohérence entre le monde de l’enfance, le monde du père et le monde du soldat est le point faible du roman. C’est dommage, car c’est ce qui constituait le dépassement du genre et son intérêt.
Si on reste au premier degré, l’atmosphère de théâtre d’opération commando est bien restituée. Neal Asher y est à l’aise. Précis sur les gestes, sur les perceptions, sur les pensées, il ajoute une touche SF, avec l’extrapolation des méthodes de combat des armées modernes : drones avancés et auxiliaires de guerre androïdes, camouflage total de la peau, invisibilité totale, détection infrarouge greffée, communication par les augs branchés au cerveau, armes à effet psychique, reconstitution corporelle intégrale après blessure. Les soldats agissent comme des machines. Ils sont totalement antipathiques, mais les séparatistes ne le sont pas moins. Quand des salauds tuent des salauds, on est moins révolté… Les seuls qui tuent des innocents, ce sont les Pradors, mais il n’en est question ici qu’au passé.
Un roman mineur, qui se lit facilement, et qui plaira, comme il a plu à de nombreux Britanniques, aux amateurs d’anticipation militaire.