Gary Killworth restera pour beaucoup de lecteurs l’auteur d’une des histoires post-apocalyptiques les plus originales, Abandonati, à propos d’une Terre abandonnée sur laquelle ne survivent qu’une poignée de clochards alcooliques. Grand voyageur, très intéressé par l’anthropologie, ses romans et nouvelles mettent souvent en scène des sociétés exotiques, avec des personnages particulièrement attachants. Relativement rares, les traductions françaises de ses livres sont toujours bienvenues, comme sa série des Rois navigateurs ou le roman de fantasy shakespearienne La compagnie des fées. Captifs de la cité de glace est un de ses premiers romans, dans lequel il a su se montrer… captivant !
Les gardiens aussi sont enfermés…
Morag MacKenzie, une prostituée au chômage, est abordée par un étrange homme noir qui lui propose de l’aider dans une mission des plus risquées : approcher l’un des cinq hommes qui dirigent la cité et travaillent en contact avec le Primaire, celui qui veille sur les ordinateurs gérant la ville et sa population. Pour quelle raison ? Tout simplement dans le but de trouver un moyen de quitter cette enceinte en forme de cône géant au sommet tronqué, dont les parois glacées font trois kilomètres d’épaisseur et d’où personne n’est jamais parvenu à s’enfuir. Aucun des habitants de la cité primaire n’a jamais vu l’extérieur, et les légendes les plus extravagantes courent sur le monde du dehors : est-il fait d’immenses plaines de marbre lisse et froid ? Est-il couvert d’une jungle épaisse dans laquelle abondent les animaux les plus dangereux que l’imagination puisse concevoir ? Ou alors la cité est-elle entourée d’un océan infini et dans lequel la survie est impossible ? Même les forgeurs de temps aux étonnants pouvoirs psychiques ignorent la réponse à cette question… Quelle que soit celle-ci, nombreux sont ceux qui tentent de fuir par tous les moyens à leur disposition, et malgré la répression policière qui œuvre à les maintenir dans la prison de glace…
« Quelles sont les dimensions de la liberté ? »
C‘est cette question posée par l’homme noir qui définit la quête dans laquelle il se lancera avec Morag. Savoir que quelque chose existe, ailleurs, accentue le sentiment d’être captif, même si la cage est vaste et dorée… Les habitants de la cité primaire sont totalement dépendants des machines qui leur fournissent nourriture, vêtements et tout ce qui est nécessaire à une survie agréable, mais est-ce suffisant ? Cette soumission à la technologie enferme dans une vision partielle de la réalité et coupe les individus d’un contact indispensable avec la vie, les privent de l’expérience consistant à lutter pour trouver un sens à leur existence. Véritables Cassandres de la littérature, nombreux sont les auteurs de science-fiction qui se méfient de l’effet des applications scientifiques sur la société et sur les hommes qui la constituent. Gary Killworth est assurément l’un d’entre eux. La technologie nous sauve et nous protège, disent les cinq acolytes du Primaire, et la police est nécessaire pour que la ville de glace continue à prospérer, fût-ce au prix de l’aliénation de ses citoyens, pour la plupart maintenus dans un bonheur illusoire. Ce n’est pourtant qu'une autre prison, une relation entretenant la dépendance réciproque entre les puissants et leurs administrés… Captifs de la cité de glace est un de ces livres qui nous invitent à lever les yeux, et à regarder au-delà des cieux que l’on nous montre, et à quitter une cage dont nous avons pourtant la clef depuis toujours.