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Ce que le Père Noël aurait pu (ou dû) vous amener dans sa hotte
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Ce que le Père Noël aurait pu (ou dû) vous amener dans sa hotte

En cette fin d'année 2016, nous avons été particulièrement gâtés par les éditeurs et nombre d'excellents romans et de beaux livres sont sortis. Contrairement à mes habitudes, pris par le manque de temps, voici mes recommandations pour vos dernières commandes au Père Noël, avec des commentaires beaucoup plus succincts que d'habitude.
 
Commençons tout d'abord par le roman français de SF à lire,s'il n'y en avait qu'un : je veux parler, bien sûr, de l'étonnant et excellent "Latium" de Romain Lucazeau (en deux volumes chez Lunes d'encre). Nous sommes au sein du Latium, cet Empire romain interstellaire gigantesque, totalement entouré par le Limes - cent années-lumière de profondeur où toute matière a été détruite - qui protège l'empire des Barbares, ces civilisations qui viennent à l'assaut depuis le coeur de la Voie lactée. Mais l'Empire est vide, depuis l'incompréhensible et mystérieuse Hécatombe d'il y a trois mille ans qui a détruit l'Homme, seules les gigantesques IA créées par celui-ci pour le servir continuent de veiller, se disputant sur la meilleure manière d'assurer leur mission alors qu'elles perdent la guerre puisque le Carcan - ces lois qui, dans un autre univers, auraient pu être écrites par un certain Asimov - leur interdisent de tuer toute créature biologique... Retranchées chacune dans son vaisseau spatial personnel - en somme des "deus in machina" -, des monstres surarmés de dizaines de kilomètres de long, les IA ont perpétué l'organisation politique romaine et se perdent en intrigues byzantines afin de s'assurer d'un maximum de pouvoir et de trouver une méthode pour circonvenir le Carcan. Othon, proconsul exilé par ses pairs, et Plautine, retirée aux marges de l'Empire, vont revenir vers l'Urbs avec des nouvelles perturbantes et totalement rebattre les cartes : écrit dans un langage châtié, avec un vocabulaire recherché, auxquels la SF ne nous avait guère habitué, ce roman se déroule à la manière d'une tragédie antique revue par le Grand Siècle ("Othon" est d'ailleurs à l'origine une pièce de Corneille), mettant en scène des personnages qui refusent d'être programmés par le Destin et veulent obtenir sinon la liberté au moins le libre arbitre. Entre batailles spatiales grandioses, dépictions de vaisseaux époustouflantes - le Musée de l'Homme d'Atticus dans la nef d'Othon, "Transitoria", est extraordinaire -, sans parler de l'arrivée dans l'Urbs, IA incroyables - attendez de découvrir les modulateurs monadiques... -, une attachante race d'hommes-chiens - le chien, le plus vieil ami de l'Homme et le plus fidèle, est toujours là -, les deux volumes nous procurent à la fois ce "sense of wonder" des histoires de SF des pulps de l'Age d'Or et la réflexion philosophique la plus profonde en un mélange totalement réussi. Le roman à lire en cette fin d'année ! (Et voyez si vous découvrez pourquoi les IA portent des noms latins alors que les êtres biologiques ont des noms grecs...)
 
Depuis un an et demi nous avons découvert la série "Phobos" de Victor Dixen, dont les deux premiers volumes (coup de coeur de juin 2015) nous contaient le premier voyage de colonisation à destination de Mars, payé par une émission de télé-réalité, et les dessous étonnants de cette expédition, entre les secrets de chacun des six filles et des six garçons partis pour Mars, ceux de l'intrigante Serena McBee, organisatrice et présentatrice vedette du programme, sans parler des énigmes de la base martienne elle-même. Avec ce "Phobos 3" (toujours chez Laffont, dans la collection R), l'auteur ne ménage guère ses personnages, les téléspectateurs de l'émission et ses lecteurs, à la suite de rebondissements multiples et surprenants - mais logiques dans le cours de l'intrigue -, que ce soit sur la Terre ou sur Mars. L'affrontement entre Serena McBee et Leonor atteint des sommets alors que les enjeux restent élevés - survie de la base, seconde mission martienne - et que les réponses apportées à un certain nombre de questions ne vont faire qu'en soulever de nouvelles à la fin de ce volume de plus de 600 pages qu'il est difficile de lâcher. Bien entendu, il est plus que recommandé pour apprécier le déroulé des événements de lire les trois volumes dans leur ordre de parution.
 
Toujours en SF, un autre roman étonnant qui nous vient de Chine : Liu Cixin, avec "Le problème à trois corps" (Actes Sud / Exofictions), nous livre un très grand roman de hard SF, à l'intrigue passionnante. Quelle découverte révolutionnaire (l'expression est parfaitement appropriée) a-t-elle été faite pendant la Révolution culturelle, justifiant la construction d'une base interdite au milieu de nulle part, en Mongolie intérieure, et la mise au secret de la jeune Ye Wenjie, astrophysicienne remarquable ? Et que veut dire ce jeu de SF, "Le problème à trois corps", qui a un succès incroyable auprès des scientifiques un peu geek dans la Chine d'aujourd'hui car il mêle une civilisation très bizarre, la trisolarienne, à celle de la Chine des Royaumes combattants ? Mais ensuite cette civilisation évolue au cours des parties et, l'appel du jeu étant irrésistible, le professeur Wang Miao, spécialiste en nanotechnologies, va mener l'enquête avec le grossier et très doué inspecteur Shi Qiang, enquête qui nous les amènera, et nous avec eux, dans des territoires inattendus. A lire sans inquiétude lorsque, comme moi, on n'a pas de culture scientifique : Liu Cixin est un excellent vulgarisateur qui explique fort bien les problèmes ; quant à la plongée dans la Chine des années 1960 et 2000, elle nous offre une vision de l'intérieur de ces années connues en France principalement à travers les thuriféraires des dirigeants de ces deux époques. 
 
Et un conseil pour apprécier pleinement ce beau roman : ne lisez surtout pas la 4ème de couverture qui dévoile toute l'intrigue !
 
SF encore avec "L'Homme qui traversa la Terre" de Robert Darvel (Les Moutons électriques) : nous connaissions et apprécions déjà l'auteur pour ses fascicules à l'ancienne (en particulier ses Harry Dickson) des Editions Le Carnoplaste. Son amour et sa connaissance approfondie de la littérature de SF populaire française se retrouve dans ce premier roman : en effet, il utilise tous les ingrédients traditionnels du roman de merveilleux scientifique - jeune savant génial qui invente un procédé de dématérialisation des corps, homme d'affaires sans scrupules qui s'empare à un prix plus qu'élevé du rayon ZR pour exploiter les veines de minerais cachées dans la croûte terrestre, sa fille qui disparaît mystérieusement après avoir été exposée au ZR, assistant du savant vénal et arriviste, braves ouvriers travailleurs et buveurs, etc... -, pour en faire un beau roman d'exploration des mystères souterrains, avec les tournures de phrases du début du XXème siècle mais avec des aspects résolument modernes (il y a même des corps nus !). Il ne recule pas devant les clins d'oeil pour amateurs (on y trouve entre autres des "altéracs" qui explorent les secrets de la lithosphère et des "Caustes", cf "Les terres creuses" sorti en 2006 chez Encrage/Les Belles Lettres) mais le roman reste un grand plaisir de lecture même si l'on ne les voit pas tous (et je sais en avoir manqué...). Cerise sur le gâteau, une très belle, dans sa sobriété, couverture de Melchior Ascaride.
 
J'avais déjà apprécié, de Roxanne Dambre, son amusante tétralogie d'urban fantasy, "Animae" (Livre de Poche), avec ses agents secrets français. Elle nous donne maintenant une autre excellente trilogie intitulée "Scorpi" que les Editions Calmann-Lévy ont eu la bonne idée de publier en trois mois, ce qui permet de la lire sans avoir à attendre. Encore de l'urban fantasy, se déroulant à Paris puis, dans le deuxième volume, en un lieu que je ne vous dévoilerai pas tellement il est improbable (bravo à l'auteur !), avant de se terminer en beauté à Venise, où se rend la brave Charlotte : n'écoutant que son bon coeur, elle a recueilli pour l'abriter de l'orage un petit garçon trempé d'une dizaine d'années, Elias. Mais celui-ci est un tueur à gages ! qui a un grand frère, Adam, très léthal et très beau ; tous deux appartiennent à la plus prestigieuse des grandes familles de tueurs, les Scorpi, toutes ces familles étant des "marcheurs dans les ombres" (une bien belle manière de se déplacer rapidement et invisiblement), au sommet de l'échelle des créatures non humaines. Nous assisterons aux efforts parallèles de Charlotte pour s'habituer à ce nouvel environnement - en particulier aux domestiques de toutes espèces et apparences, aux petites manies de son beau fiancé et de sa famille qui l'adorent (comment faire plaisir à Charlotte si ce n'est en lui posant la question, chaque qu'elle est contrariée : "Tu veux que je le/la tue ?") et à sa nouvelle place de princesse Scorpion et à ceux d'Adam et Elias pour se fondre dans les humains et leur ressembler. On ressent très vite une forte sympathie pour tout ce petit monde - tous les personnages sont des charmeurs à leur manière, y compris l'inspecteur Balard ou le majordome Firmin, mention spéciale à tous les domestiques de la famille Scorpi -, on ne s'ennuie pas avec les mésaventures de Charlotte, de rebondissement en rebondissement jusqu'au grand "finale" italo-français. Ecrit avec beaucoup d'humour, Roxanne Dambre nous livre en filigrane un très beau plaidoyer pour l'acceptation de la différence, pour la tolérance et pour la justice, le tout dans une belle histoire d'amour paranormal que toute la famille devrait apprécier.
 
Beaucoup d'entre vous ont sans doute lu la pentalogie "Le Protectorat de l'Ombrelle" qui avait fait faire une entrée fracassante à Gail Carriger sur la scène de l'urban fantasy steampunk (j'avais d'ailleurs tellement aimé que je lui avais consacré quatre coups de coeur aux cinq volumes). Et voici maintenant le premier volume d'une nouvelle série, "Le Protocole de la crème anglaise", tout aussi prenant et drôle : avec "Prudence" (Le Livre de Poche), les années ont passé et la nouvelle génération arrive. Prudence est la fille d'Alexia Tarabotti, la sans-âme, et de Lord Maccon, chef des loups-garous britanniques, adoptée pour des raisons politiques - elle est métanaturelle, c'est-à-dire qu'il lui suffit de toucher une créature surnaturelle pour la rendre mortelle en lui volant son pouvoir et en acquérant son apparence et ses pouvoirs, ce qui met naturellement mal à l'aise toute la société des vampires et, dans une moindre mesure, des loups-garous - et élevée par son troisième parent, Lord Akeldama, vieux vampire aussi raffiné qu'indépendant et puissant. Elle a hérité de sa mère son indiscipline et des dons certains pour l'aventure, tout en restant une lady en presque toutes les circonstances, aussi lorsque Lord Akeldama lui offre un superbe dirigeable, que faire d'autre que partir pour l'Inde en compagnie de sa meilleure amie, Primrose, la fille d'Ivy Tunstell, la scandaleuse meilleure amie de sa mère devenue reine d'une tout aussi scandaleuse ruche de vampires égyptiens installée à Londres, obligée de porter les chapeaux extravagants qui sont la marque de celle-ci. Avec un équipage choisi comprenant Percy, l'érudit et distrait frère de Primrose, et le si français et si beau Quesnel Lefoux, le fils de la célèbre femme inventeur qui partagea les aventures d'Alexia, Prudence va découvrir un monde bien différent de celui auquel elle est habituée, se trouver confrontée à des êtres plus qu'énigmatiques, à l'enlèvement de la femme du brigadier général dont la protection était assurée par la meute de loups-garous écossais de Woolsey exilée vingt ans auparavant, et, accessoirement, des impôts collectés par les rakshasas, ces créatures surnaturelles qui ont signé un contrat avec la Compagnie des Indes dans le cadre de la politique britannique particulièrement éclairée et tolérante en a matière. Elle se retrouvera ainsi mêlée à une/des intrigue/s dont elle ne connaît ni les tenants ni les aboutissants - elle n'aurait sans doute pas dû décoller sans assister à la garden party qu'avaient organisé ses trois parents pour son départ... - mais son intelligence, son aptitude naturelle à l'autorité et ses bonnes manières, plus l'utilisation de ses capacités surnaturelles et des talents divers de ses amis, lui permettront de surmonter, non sans mal pour notre plus grand plaisir, la situation confuse dans laquelle elle est plongée. Gail Carriger, avec sa verve et son humour habituels, très bien rendus par sa traductrice attitrée Sylvie Denis, nous permet de découvrir ce que sont devenus tous nos personnages favoris vingt ans plus tard et surtout de voir que la nouvelle génération est digne de ses parents, le tout avec des surprises que vous découvrirez en lisant ce volume que je n'ai pu reposer avant de l'avoir fini - merci à l'auteur pour une nuit blanche de pur bonheur ! Vivement sa suite, "Imprudence" !
 
L'un des romans d'urban fantasy historique les plus originaux et les plus beaux de cette année est sans aucun doute "Le golem et le djinn" de Helene Wecker (Bragelonne) qui était précédemment sorti et passé quasi totalement inaperçu sous le titre "La Femme d'argile et l'Homme de feu" chez un autre éditeur (on se demande d'ailleurs pourquoi l'éditeur ne l'a pas intitulé "La golem et le djinn"...). Arrive en 1899 à New York Chava, une golem fabriquée par Schaalman, un vieux rabbin aussi érudit que dévoyé, à la demande d'un jeune juif prêt à émigrer et en mal d'épouse ; son maître va mourir sur le bateau et elle va se retrouver seule et perdue, sans maître, dans cette ville inconnue, avant d'être recueillie par un autre rabbin, lui aussi érudit mais profondément bon, qui va procéder à son éducation et à son insertion dans la société des pauvres juifs ashkenazes fraîchement immigrés. Et dans une autre partie de New York, celle surnommée la Petite Syrie (Little Syria) , un jeune dinandier maronite, Arbeely, en réparant un très ancien flacon en cuivre à la demande d'une cliente, se retrouve à libérer un djinn, esprit de feu, qui va prendre le nom d'Ahmad car il a oublié qui il était et comment et pourquoi il a été emprisonné. Avec un talent d'écrivain consommé, par petites touches, en faisant preuve d'une connaissance détaillée de l'histoire, des us et coutumes et de la société reconstituée par ces deux populations d'immigrés très différentes, Helene Wecker va nous raconter comment ces deux personnages totalement opposés (la terre et le feu, la tradition juive d'Europe centrale et la tradition bédouine d'Arabie), Chava et Ahmad, vont se rencontrer, se combattre et se soutenir dans un milieu qui est aussi étranger à l'un qu'à l'autre, et ainsi construire pour l'une et reconstruire pour l'autre leurs personnalités propres, découvrant au passage l'importance du libre-arbitre et des choix personnels face aux pressions sociétales - la fin du roman est magnifique, après un rebondissement spectaculaire ! De plus l'auteur met en scène tout ce monde des petites gens aux métiers humbles composant les strates les plus basses New York et en les opposant à la haute société WASP new-yorkaise, pas à l'avantage de cette dernière. C'est un très beau roman fantastique, une très belle et inhabituelle histoire d'amour, à découvrir d'autant plus que Bragelonne a bien fait les choses en le publiant dans sa collection cuivre, grand format, très belle couverture et tranche métallisée. 
 
En octobre 2015 je vous parlais du premier tome des "Récits du Demi-Loup", "Véridienne", de Chloé Chevalier (Les Moutons électriques). Vient de sortir, toujours aux Moutons électriques, "Les Terres de l'Est", deuxième volume de cette chronique du petit royaume du Demi-Loup, ce royaume déchiré en deux parties, sous la férule d'un roi, Aldemar, qui se désintéresse des affaires alors que la Preste Mort, après avoir ravagé une partie l'Empire, dépeuple maintenant comté après comté. Quant aux filles, les deux héritières, Calvina et Malvane, et leurs Suivantes, Lufthilde et Nersès, elles vont continuer d'évoluer de façon divergente alors qu'Aldemor, le fils rejeté d'Aldemar, et sa femme Cathelle vont voir se transformer, par une évolution que nous fait partager et comprendre l'auteur avec beaucoup de finesse, leurs sentiments à l'égard du roi en une haine insondable et un désir de vengeance destructeur. Comme dans le premier volume, à travers correspondances et journaux personnels, nous découvrons toutes les facettes des personnalités des différents personnages, nous suivons leur évolution psychologique - ils ne sont guère épargnés ni physiquement ni psychologiquement, il y a une révélation cataclysmique que je n'avais pas vu venir, bravo à l'auteur ! - et, surtout, nous découvrons les merveilles de l'Empire, les atrocités qui s'y sont perpétrées et pourquoi en apprenant ce qui s'est passé durant les années qu'y a passé Aldemor comme combattant et comme prisonnier. Je concluais mon premier coup de coeur en écrivant : "Un très beau roman, à la lecture exigeante, dans lequel on se plonge avec passion et dont on ressort en attendant avec impatience la suite." Je ne vois pas comment conclure autrement cette deuxième recension.
 
A la rentrée est sorti le troisième volume de la "Collection Jean Ray" chez Alma : "La croisière des ombres", faisant suite aux deux volumes précédents (coup de coeur d'août). Outre des nouvelles comptant parmi les plus connues de Jean Ray ("La ruelle ténébreuse" et "Le psautier de Mayence" plus cinq autres composant le recueil original), l'éditeur, Arnaud Huftier - qui nous donne une postface passionnante comme d'habitude dans son éclairage de l'oeuvre de Raymond de Kremer -, a ajouté huit nouvelles et deux petits textes inconnus de la plupart d'entre nous. A lire en attendant les volumes suivants !
 
Chez Terre de Brume, dans leur nouvelle collection des "Inédits de Jean Ray / John Flanders" (les textes flamands donc), un roman tout à fait singulier : outre qu'il est le seul à avoir signé "John Ray", "Geierstein" est un roman à l'atmosphère fantastique se déroulant à la fin des guerres napoléoniennes et au début de la Restauration. Le richissime officier anglais, le capitaine John Wexham, va faire la connaissance en Belgique du jeune comte Ulrich von Geierstein, et va se retrouver impliqué, suite à la mort de celui-ci, dans le mystère de "l'étoile à sept branches" en Allemagne. On retrouve le style inimitable de Jean Ray, ces atmosphères étouffantes de petite villes confites dans leur provincialisme, ces descriptions d'agapes bourgeoises, ces personnages étranges ou inquiétants, que ce soit dans leur normalité ou dans leur anormalité : dans une ambiance de roman gothique, où doubles, masques, identités incertaines, se croisent et s'entrecroisent dans des intrigues imbriquées les unes dans les autres, Jean Ray nous entraîne à la suite de John Wexham dans une sombre histoire où honneur, préjugés, superstitions et amour se mêleront pour notre plus grand bonheur de lecteur.
 
Certains parmi vous se souviennent sans doute d'avoir découvert dans "Métal hurlant" une superbe BD de SF érotique comme on savait le faire à l'époque, je veux parler de "Druuna" de Paolo Eleuteri Serpieri. Les Editions Glénat ont eu l'excellente idée de rééditer en quatre tomes comprenant deux épisodes chacun (Tome 1 "Morbus Gravis - Delta", tome 2 "Creatura - Carnivora", tome 3 "Mandragora - Aphrodisia", tome 4 "La Planète oubliée - Clone") plus un tome 5 original, "Anima - Druuna Les Origines", datant de 2015. Cela forme un ensemble superbe qui permet de suivre les aventures de Druuna, jeune femme aux "avantages" aussi considérables que ses vêtements sont minimalistes, dans ce monde ravagé par un virus mutagène, où quelques survivants errent en essayant d'échapper aux mutants humains et aux anticorps géants afin de mettre la main sur les rares fioles contenant le remède. C'est le premier objet de la quête de Druuna, obtenir le sérum qui sauvera l'amour de sa vie. Puis cette quête va se transformer en une recherche de qui elle est et où elle se trouve, transformant la BD en un "trip" dickien où se mêlent inextricablement réalité, virtualité et onirisme. Le dessin de Serpieri n'a pas pris une ride, sa magie opère et le lecteur se trouve pris dans son univers aussi baroque et somptueux que violent et sexuel. Une fort belle lecture mais à ne pas mettre entre des mains trop jeunes .
 
Le scénariste de BD Richard D. Nolane se montre à la fois prolifique et inspiré ces derniers mois, ce qui lui permet de nous gâter : outre le très attendu tome 2, "Mission Raspoutine", de sa série "Zeppelin's War" (Soleil) dont je vous avais dit le plus grand bien (coup de coeur de septembre 2014), aussi passionnant que le premier, il démarre avec le dessinateur Zeljko Vladetic une nouvelle série uchronique, sa spécialité, intitulée "La grande guerre des mondes". Le premier tome, "La Chose sous les Tranchées" (Soleil), nous emmène à Verdun, au fort de Danrit (!) : quelle est cette chose entourée d'une sorte d'écran impénétrable qui émerge du sol entre les deux camps et forcent Français et Allemands à une trêve peu confortable ? Le professeur Challenger (qui est rentré d'une expédition sur les lieux de l'explosion de la Tunguska en Sibérie...), Camille Flammarion et Einstein vont mener l'enquête alors que des explosions criblent la surface de la planète Mars, comme H.G. Wells l'avait prédit. Entre scénario très réussi - Nolane nous accroche bien ! - et beau dessin de Vladetic, un premier tome qui nous fait attendre avec impatience sa suite.
 
Avec "L'Histoire des super-héros", sous-titré "Les publications américaines en France, L'âge d'or 1939-1961" (Neofelis Editions), Jean-Michel Ferragatti nous livre, avec une érudition extraordinaire, l'histoire de l'introduction et de la publication des super-héros américains dans l'immédiate avant-guerre, et des réactions suscitées dans la France d'après-guerre, fin des années 1940 et années 1950. Certes, si certains magazines d'avant-guerre m'étaient connus comme "Hurrah", "Tarzan", "Mickey" ou "Robinson", la manière dont sont arrivés en France Superman en 1939 et d'autres super-héros comme Batman m'était totalement inconnue : c'est une lecture passionnante, où l'auteur expose avec clarté les méandres des politiques éditoriales et les différentes maisons impliquées, compliquées par la période entrée en guerre - invasion allemande - collaboration. Le remontage des planches, les cases rajoutées ou redessinées pour éviter les situations embarrassantes, sans parler des différents noms attribués par exemple à Superman, m'ont laissé pantois, d'autant plus que l'on y retrouve déjà des noms de dessinateurs comme René Brantonne ou Jigé. Et le climat de l'après-guerre, avec les gaullistes et communistes alliés de fait à l'Eglise pour combattre la néfaste influence américaine dans les BD et le succès des super-héros d'outre-Atlantique aboutissant à la fameuse loi de 1949, est fort bien décrit, de même que la manière dont lentement mais sûrement les éditeurs français vont réagir pour contourner les barrières qui leur sont imposées. Il va sans dire que les nombreuses illustrations en couleurs ou en noir & blanc sont un plaisir pour les yeux, d'autant plus que peu d'entre nous auront jamais la chance de posséder ou même simplement de contempler la plupart de ces magazines. Un livre à lire pour comprendre une part importante de l'histoire de la BD en France, en attendant sa suite sur "L'âge d'argent 1ère partie 1962-1968".
 
Un autre livre abordant un aspect original de l'histoire des comics américains est celui de Xavier Fournier, l'auteur de l'excellent "Super-héros, une histoire française", intitulé "Comics en guerre. La bande dessinée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale" (Histoire & Collections). Comme son titre l'indique, l'auteur s'intéresse à la couverture par les comics du conflit, dès ses débuts alors que l'Amérique n'est pas en guerre et qu'il ne s'agit donc pas, comme le souligne à un point Xavier Fournier, d'un effort concerté de propagande orchestré par le gouvernement. On voit que très vite les dessinateurs et scénaristes ont choisi quel camp allaient combattre les super-héros (Captain America mettant son poing dans la figure d'Hitler en mars 1941) puis, dès l'entrée en guerre des Etats-Unis, nous voyons Spy Smasher assommer les trois dictateurs de l'Axe d'un seul coup de poing. Puis, dans le cadre de la contribution au moral de la population et des armées, outre les super-héros, d'innombrables héros simplement humains, appartenant à toutes les armes (des GIs, des marins, des sous-mariniers et des aviateurs), courageux et malins, vont combattre sur tous les terrains d'actions, Europe et Pacifique ; médecins et infirmières seront aussi des héros - qui connaissait Pat Parker "war nurse", qui débute en août 1941, qu'il est d'ailleurs amusant de comparer à la représentation d'une infirmière soviétique en juin 1943, juste à côté p. 145, on voit tout de suite à quel pays appartiennent les pinups. Voici encore un livre essentiel pour apprendre l'histoire d'un aspect peu connu des comics américains, d'autant plus que la richesse iconographique, avec de nombreuses illustrations en couleurs et en noir & blanc de comics rares, ajoute un intérêt supplémentaire non négligeable à un texte extrêmement intéressant.
 
Autre livre original, intéressant et bien documenté, celui de Fabrice Canepa, "Aliens, 70 ans de culture et de contre-culture" (Tana Editions). L'auteur met en parallèle une histoire résumée mais complète du phénomène OVNI, depuis son apparition officielle, avec quelques-uns des témoignages les plus significatifs, avec l'impact colossal que ce même phénomène a sur la culture populaire, qu'elle soit littéraire, dessinée - la soucoupe volante dans les BD -, télévisuelle - ah les "X-Files" - ou cinématographique - du "Jour où la Terre s'arrêta" à "Rencontres du troisième type". L'auteur s'amuse d'ailleurs à décerner des "UFO d'or" à des films et des titres de "Série culte" particulièrement marquants. L'auteur fait preuve d'une solide érudition en matière d'ufologie comme en matière de fiction, ce qui rend ses commentaires et ses remarques très pertinents, d'autant plus qu'il mène cette étude sans parti pris aucun, d'une manière remarquablement impartiale, ce qui change agréablement de certains auteurs dont je ne citerai pas les noms. En résumé, un livre avec de belles illustrations, qui se lit très agréablement sur un sujet peu courant. Cerise sur le gâteau pour les amateurs comme moi : la belle tête d'alien phosphorescente sur la couverture, effet garanti dans la nuit...
 
Joli triplé des Editions HarperCollins autour du film "Les animaux fantastiques". Tout d'abord un bel ouvrage de Ian Nathan intitulé "Au Coeur de la magie : le making-of Les Animaux fantastiques" : entre personnages, lieux - le New York de 1926 est superbe et très réaliste - et objets ou animaux principaux du film, l'auteur les analyse et nous montre comment le film s'est construit, enrichi bien entendu d'une belle iconographie. Nous avons aussi droit à un somptueux art book de Dermot Power, "Les Architectes de l'illusion : Les Animaux fantastiques" : 264 pages d'illustrations magnifiques, crayonnés, illos couleurs dont certaines en double page (et une dépliante qui, sur 4 pages, nous fait découvrir tous les modèles de baguettes magiques), couvrant tous les aspects du film, un grand plaisir visuel et esthétique.
 
Enfin, le genre de livre que j'apprécie beaucoup - mon âme de grand enfant sans doute -, un livre-objet, "La valise des créatures" de Mark Salisbury, en forme de valise ancienne, couverture façon cuir, avec un fermoir et l'étiquette indiquant qu'elle appartient à Newt Salamander et est à destination de New York, ce joli livre contient, outre d'innombrables illustrations, dessins et photos, des flyers dépliants, des cartes et autres fac-similés tirés du film, avec nombre d'anecdotes sur le tournage, bref un vrai bonheur !
 
Ces trois beaux ouvrages vous rappelleront de bons souvenirs si vous avez déjà vu le film et vous donneront envie d'aller le voir si vous ne l'avez pas encore fait.
 
Jean-Luc Rivera
 
Tous les coups de coeur de Jean-Luc Rivera  

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