Avec douze nouvelles publiées et onze prix obtenus (pour l’instant) on peut dire que Ted Chiang (né en 1967) est une plume rare et précieuse de la littérature SF américaine. Prix Hugo, Locus, Nebula et Sidewise distinguent la moitié de ses parutions entre 1991 et 2010. De quoi parlent ces textes ?
C’est avec curiosité que l’on se penchera sur les huit premières nouvelles de cet écrivain prodige, rassemblées dans le recueil Stories Of Your Life and others traduit en français sous le titre La Tour de Babylone et publié à l'origine en grand format chez Denoël, collection Lunes d'encre..
L’évolution de la science humaine
C’est un thème classique et évident de la science-fiction. C’est aussi le titre d’une très courte nouvelle qui va voir un peu plus loin que l’après-demain.
Comprends est un récit à la première personne qui pousse à ses limites l’hypothèse frôlée par Daniel Keyes dans Des Fleurs pour Algernon : que se passerait-il dans la tête d’un homme à l’intelligence augmentée ? et si on l’augmentait encore ? et encore ? et si on mettait face à face deux surhommes de ce genre ? Une exploration fascinante qui dévoile au lecteur les contours du difficilement concevable.
Aimer ce que l’on voit, documentaire est construit comme un patchwork de données : interviews, comptes rendus, etc., au sujet de la Callignosie. Cette modification neurologique temporaire inhibe la perception de la beauté et en limite les effets. Dans une société où la séduction prend des formes de plus en plus inconscientes, être sous calli peut-être vécu comme une contrainte de trop ou une plus grande liberté. Le débat est ouvert.
Dans Division par zéro. Ted Chiang essaie d’imaginer comment serait la vie de la personne qui démontrerait les limites des mathématiques d’aujourd’hui. On sent clairement ici que, au-delà de la raison, une sorte de foi relie le savant à son modèle de référence.
Des paradigmes alternatifs
La SF Hard science, s’est généralement appuyée sur la science de demain, celle d’un ailleurs plus évolué et, plus souvent, celle d’aujourd’hui.
Ted Chiang, lui, s’intéresse aussi aux croyances scientifiques du passé et de civilisations différentes.
Le récit le plus frappant à cet égard est Soixante-douze Lettres. Ce texte s’appuie sur les connaissances d’avant les Lumières et les savoirs liés à la Kabbale. La génération spontanée, l’art de fabriquer des golems, y côtoient naturellement la science des noms et les espèces préformées. Une fois posé ce contexte scientifique, on peut envisager les effets d’une découverte majeure.
Dans le même genre, La Tour de Babylone se situe à la fin de la construction de l’imposant gratte-ciel, qu’on connaît sous le nom de tour de Babel. Le bâtiment touche enfin à la voûte céleste qu’il faudra faire percer par des mineurs (le métier) pour découvrir les secrets de la création. Hillalum, peu rassuré, entreprend avec d’autres mineurs l’ascension de la tour.
L'enfer, quand Dieu n'est pas présent, suppose un monde à l’imaginaire chrétien omniprésent. Les anges y font des apparitions fréquentes mais aléatoires, laissant dans leur sillon miracles et catastrophes qui ne semblent répondre à aucune logique.
L’ailleurs, dépaysant est abordé avec autant de maîtrise. L’histoire de ta vie illustre l'hypothèse qu’une rencontre avec un autre mode d’appréhension du monde, en particulier, à travers le langage, peut modifier en profondeur notre rapport au temps. Louise Bank est linguiste et sera le cobaye de l’expérience décrite de manière convaincante par Chiang.
Une science-fiction moderne qui ne renie pas son passé
À la lecture des nouvelles de Ted Chiang, on comprend quelles caractéristiques ont su plaire aux différents jurys des grands prix.
D’une qualité littéraire qu’on suppose présente avant la traduction, les histoires de Chiang sont également prenantes. Rythmées, denses, elles renforcent, mot après mot, le lien établi avec le lecteur. L’auteur ne cherche pas à éblouir son public avec des théories. Il ne cherche pas non plus à lui éviter l’effort de réflexion. Le bon équilibre est trouvé entre science et fiction.
La science-fiction de Ted Chiang, sans couper avec les questionnements historiques du genre tente de continuer à avancer. Il ne s’agit plus de remâcher les concepts magiques de soixante-dix ans de Space Opera et de voyage dans le temps, ni d’imaginer des inventions plus farfelues les unes que les autres, mais de revenir à la science, quelle qu’elle soit, de penser le monde et l’humanité, aujourd’hui, demain et ailleurs.
C’est avec curiosité que l’on se penchera sur les huit premières nouvelles de cet écrivain prodige, rassemblées dans le recueil Stories Of Your Life and others traduit en français sous le titre La Tour de Babylone et publié à l'origine en grand format chez Denoël, collection Lunes d'encre..
L’évolution de la science humaine
C’est un thème classique et évident de la science-fiction. C’est aussi le titre d’une très courte nouvelle qui va voir un peu plus loin que l’après-demain.
Comprends est un récit à la première personne qui pousse à ses limites l’hypothèse frôlée par Daniel Keyes dans Des Fleurs pour Algernon : que se passerait-il dans la tête d’un homme à l’intelligence augmentée ? et si on l’augmentait encore ? et encore ? et si on mettait face à face deux surhommes de ce genre ? Une exploration fascinante qui dévoile au lecteur les contours du difficilement concevable.
Aimer ce que l’on voit, documentaire est construit comme un patchwork de données : interviews, comptes rendus, etc., au sujet de la Callignosie. Cette modification neurologique temporaire inhibe la perception de la beauté et en limite les effets. Dans une société où la séduction prend des formes de plus en plus inconscientes, être sous calli peut-être vécu comme une contrainte de trop ou une plus grande liberté. Le débat est ouvert.
Dans Division par zéro. Ted Chiang essaie d’imaginer comment serait la vie de la personne qui démontrerait les limites des mathématiques d’aujourd’hui. On sent clairement ici que, au-delà de la raison, une sorte de foi relie le savant à son modèle de référence.
Des paradigmes alternatifs
La SF Hard science, s’est généralement appuyée sur la science de demain, celle d’un ailleurs plus évolué et, plus souvent, celle d’aujourd’hui.
Ted Chiang, lui, s’intéresse aussi aux croyances scientifiques du passé et de civilisations différentes.
Le récit le plus frappant à cet égard est Soixante-douze Lettres. Ce texte s’appuie sur les connaissances d’avant les Lumières et les savoirs liés à la Kabbale. La génération spontanée, l’art de fabriquer des golems, y côtoient naturellement la science des noms et les espèces préformées. Une fois posé ce contexte scientifique, on peut envisager les effets d’une découverte majeure.
Dans le même genre, La Tour de Babylone se situe à la fin de la construction de l’imposant gratte-ciel, qu’on connaît sous le nom de tour de Babel. Le bâtiment touche enfin à la voûte céleste qu’il faudra faire percer par des mineurs (le métier) pour découvrir les secrets de la création. Hillalum, peu rassuré, entreprend avec d’autres mineurs l’ascension de la tour.
L'enfer, quand Dieu n'est pas présent, suppose un monde à l’imaginaire chrétien omniprésent. Les anges y font des apparitions fréquentes mais aléatoires, laissant dans leur sillon miracles et catastrophes qui ne semblent répondre à aucune logique.
L’ailleurs, dépaysant est abordé avec autant de maîtrise. L’histoire de ta vie illustre l'hypothèse qu’une rencontre avec un autre mode d’appréhension du monde, en particulier, à travers le langage, peut modifier en profondeur notre rapport au temps. Louise Bank est linguiste et sera le cobaye de l’expérience décrite de manière convaincante par Chiang.
Une science-fiction moderne qui ne renie pas son passé
À la lecture des nouvelles de Ted Chiang, on comprend quelles caractéristiques ont su plaire aux différents jurys des grands prix.
D’une qualité littéraire qu’on suppose présente avant la traduction, les histoires de Chiang sont également prenantes. Rythmées, denses, elles renforcent, mot après mot, le lien établi avec le lecteur. L’auteur ne cherche pas à éblouir son public avec des théories. Il ne cherche pas non plus à lui éviter l’effort de réflexion. Le bon équilibre est trouvé entre science et fiction.
La science-fiction de Ted Chiang, sans couper avec les questionnements historiques du genre tente de continuer à avancer. Il ne s’agit plus de remâcher les concepts magiques de soixante-dix ans de Space Opera et de voyage dans le temps, ni d’imaginer des inventions plus farfelues les unes que les autres, mais de revenir à la science, quelle qu’elle soit, de penser le monde et l’humanité, aujourd’hui, demain et ailleurs.