La traduction de Thanos vs Hulk est l'occasion de revenir sur le parcours d’un grand talent des comics, Jim Starlin. Pur « Marvel boy », Starlin commence par se faire la main au début des années soixante-dix en encrant John Romita sur Amazing Spiderman, puis il dessine Iron man 55 où il introduit son personnage fétiche, Thanos le titan fou, grandement inspiré du Darkseid de Jack Kirby. Starlin devient dessinateur d’une série de deuxième ordre, Captain Marvel, qu’il révolutionne complètement. Le guerrier Kree devient le protecteur de l’univers et le détenteur de la conscience cosmique après un processus initiatique qui le mène au bout de ses limites, puis affronte Thanos, désireux de détruire l’univers pour l’offrir en offrande à son grand amour la mort (chez Marvel, La Mort est un personnage) dans la saga du cube cosmique. Aidé par Mike Friedrich et surtout Steve Englehart aux dialogues, Starlin devient rapidement un auteur culte… Ce qui ne l’empêche pas de quitter Captain Marvel suite à des désaccords éditoriaux.
Starlin revendique en effet le droit d’être un auteur complet, une dizaine d’années avant Frank Miller. Sa réputation et son succès grandissant (il lance la série Shang Chi Master of Kung-Fu avec Steve Englehart qui surfe sur la popularité de Bruce Lee) font que Marvel lui confie le personnage de Warlock (autrefois créé par Stan Lee et Jack Kirby). Starlin fait de Warlock, dont des auteurs comme Roy Thomas avaient donné une dimension christique, un personnage tourmenté : dans le futur, il risque de devenir le Magus, tyran charismatique et fondateur d’une religion qui déchire la galaxie. Aidé par des acolytes comme Pip le troll, la belle Gamorra et…Thanos, il réussit à changer l’avenir en se tuant lui-même, afin d’éviter de devenir le Magus. On mesure aujourd’hui l’ambition de Starlin qui vendait à un public de teenagers une réflexion poussée sur les effets de la religion, les paradoxes temporels, le désespoir existentiel… Après une ultime saga où Warlock et Thanos trouvent la mort, Starlin quitte Marvel temporairement.
Wonder Boy
Comme tant d’autres, Starlin passe chez DC sans grand enthousiasme, pour des travaux alimentaires. Il se rabiboche avec Marvel au moment du lancement d’Epic avec Metamorphosis Odyssey et Dreadstar : Starlin y développe ses thèmes ébauchés avec Captain Marvel et Warlock et finira par être publié chez l’indépendant Pacific. De retour chez DC, il joue les mercenaires de luxe avec Cosmic Odyssey sur dessins de Mike Mignola et écrit Batman avec Berni Wrightson sur la minisérie The Cult (autrefois traduit sous le titre Enfer Blanc chez comics USA de Fershid Barusha). Avec Batman, Starlin retrouve un personnage tourmenté mais se retrouve à marcher sur les traces de Frank Miller.
Après avoir tué Jason Todd le second Robin dans l’arc très controversé A death in the Family, Starlin retourne enfin chez Marvel sur Silver Surfer (série relancée par son vieux camarade Steve Englehart) où il réintroduit tous ses vieux personnages : Gamorra, Pip, Warlock. Et le voilà qui écrit, sans dessiner, Infinity Gauntlet, Infinity Crusade… A bien des égards, ces travaux semblent des parodies de ses chefs d’œuvres des années 70 : Starlin rend de plus en plus cynique Warlock tandis que Thanos évolue, rejeté par son grand amour la mort, et devient son allié. Starlin s’éloigne à nouveau de Marvel (tout en signant Marvel The End), écrit chez DC… Le succès du film Guardians of Galaxy où est utilisé le personnage de Gamorra, l’apparition de Thanos dans le film Avengers poussent Marvel à rappeler Starlin (pour l’amadouer sur la question des droits d'auteur ?) et lui commander de nouvelles miniséries avec ses personnages fétiches. Et nous voilà donc avec Thanos vs Hulk, promesse de grande… baston. Pour quel résultat ?
Combat de titans… virtuel
Au SHIELD rien ne va plus ! Bruce Banner alias Hulk, qui avait décidé de partir en vadrouille pour quelques jours (la RTT existe aussi chez les supers héros) est enlevé sous les yeux de la directrice Marcia Hill et d’Iron Man par… Pip le troll, ancien complice de Warlock (et de Thanos) qui le livre à Blastaar, séide du sinistre Annihilus, maître de la zone négative, en échange de la libération d’une de ses conquêtes féminines.
Annihilus veut se servir de l’ADN de Hulk pour faire évoluer rapidement son corps. Pip, pris de remords et surtout désireux de se protéger des représailles des Avengers, finit par solliciter Thanos. Ce dernier décide de sonder le réseau d’Annihilus et se retrouve face à la conscience de Banner/Hulk ! Thanos affronte donc virtuellement Hulk, ce qui finit par attirer l’attention d’Annihilus… Si Thanos est expulsé du réseau, Hulk finit par se réveiller et affronte un Annihilus transformé.
Ombres et lumières
A partir d’un prétexte plutôt mince (Pip livre Banner pour récupérer une femme qui s’empressera d’aller voir ailleurs : c’est beau l’amour), Starlin donne en fait à ses fans un pur plaisir marvélien : de la baston ! Autrefois, la Chose et Hulk s’affrontaient en rasant la moitié de Manhattan (le cauchemar des assureurs ces deux-là) et les fans de comics applaudissaient, d’abord devant l’ampleur de la destruction (de nombreux immeubles s’effondraient), puis le combat titanesque, enfin devant ses implications sentimentales (Alicia Masters s’inquiétait du sort de la Chose, Hulk reculait devant le dernier coup, etc…).
Ici, Starlin se montre fidèle au cahier des charges et exécute fidèlement ce qu’on attend de lui, sans génie mais avec doigté. Et c’est normal car Starlin connaît son « Marvel » à fond : n’est-il pas un « Marvel boy » (comme moi, cher lecteur) ? Nous autres, vieux briscards, resterons tous à jamais des nostalgiques de ces sagas des seventies et une chose est claire : Thanos vs Hulk, c’est de la bonne came, quelque chose qu’on attend de lire impatiemment après une sale journée de boulot. Quelque chose qu’un Brian Bendis (malgré son talent) ne peut pas fournir : du Marvel, du vrai, venu d’une époque lointaine. Rien que pour ça, Thanos vs Hulk vaut le coup. Cher lecteur fan de comics, lis Starlin maintenant, tant qu’il est encore vivant…