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Interview : Jean-Philippe Depotte
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Interview : Jean-Philippe Depotte

ActuSF :  Est-ce que vous pouvez, en quelques mots, revenir sur votre parcours ?
Jean-Philippe Depotte : Parlons du parcours qui m’a amené à écrire un roman. J’ai toujours été attiré par les histoires originales, les mondes tordus, les réalités augmentées. Adolescent, je dévorais les Jean Ray, Serge Brussolo ou Philip Dick. Puis, vieillissant, j’ai tenté de devenir (paraître ?) plus sérieux et je me suis intéressé à la grande littérature mais mes goûts me ramenaient toujours aux romans les plus originaux. La structure incroyable de Jacques le Fataliste (Diderot) ou la poésie de Queneau ou Calvino. Et, parce que je suis ainsi fait, j’ai toujours été jaloux des bonnes idées des autres et, sans en être tout à fait conscient, j’ai engrangé les projets d’écriture jusqu’au jour où...

ActuSF :  Comment a commencé l’aventure de ce premier roman ?
Jean-Philippe Depotte : ... jusqu’au jour où l’occasion s’est présentée. À l’époque (en 2005), j’avais de grosses responsabilités dans un studio de jeux vidéo et je passais l’essentiel de mon temps libre à ressasser mes problèmes professionnels. Puis ma femme est rentrée un soir en mettant sur la table un projet incroyable : et si nous partions en famille habiter à Tokyo ? J’étais suffisamment fatigué de mon boulot pour signer des deux mains. Et là-bas, je me suis retrouvé libre d’entreprendre tout ce qui me passait par la tête. J’ai monté ma petite affaire, j’ai testé beaucoup de projets qui traînaient au fond de mes tiroirs, jusqu’aux Démons de Paris qui fut ma plus grande entreprise, celle en tout cas dont je suis le plus fier.

ActuSF :  Est-ce que le fait de ne pas sortir en Lunes d’Encre, mais hors-collection, a changé quelque chose pour vous ?
Jean-Philippe Depotte : Gilles (Dumay) m’a présenté le choix de la manière suivante : sois je sortais en Lunes d’Encre et je pouvais m’enorgueillir de partager le cénacle des Philip Dick et autres Christopher Priest. Soit je sortais en Grand Public et je tentais l’aventure d’une diffusion plus large et plus anonyme. Honnêtement, je ne suis pas un spécialiste de la littérature de genre. Souvent, j’oublie même le nom des auteurs des livres que je lis pour ne retenir que leurs histoires. Le panthéon des grands auteurs ne m’a pas tenté... Seule l’idée de partager mon intrigue et mes personnages avec le plus grand nombre de lecteurs me motive. Aussi, je suis très fier de voir Les démons de Paris chez Carrefour ou chez Auchan.

ActuSF :  Les démons de Paris à été écrit en partie au Japon, l’exercice n’était-il pas un peu insolite ?
Jean-Philippe Depotte : J’adore le Japon. Et pas les samouraïs ni les grandes batailles à la Kurosawa. Non, j’aime le Japon des rues de Tokyo, de la foule de Shibuya, des lumières de Shinjuku. Le Japon du Pachinko et des jeux vidéo. Le Japon virtuel où ce que l’on imagine devient vrai. Le Japon Kawaii (cute, mignon), le Japon kitsch. Je pense que je me suis immédiatement approprié cet état d’esprit qui s’est étrangement fondu dans ma vieille culture européenne. C’est ce qui a sans doute donné le Paris des Démons de Paris. Un Paris souvent historique, exact dans ses détails mais largement fantasmé dans ses grandes lignes. A la Japonaise.

ActuSF :  Pourquoi cette période du début du XXème siècle ? Qu’est-ce qui vous attirait spécialement ?
Jean-Philippe Depotte : Depuis mon Japon lointain, je voulais écrire un roman français. Oui, mais à quelle époque ? J’ai réfléchis à notre France d’aujourd’hui mais mon imagination restait stérile, envahie d’images de RER ou de débats télévisés, c’est-à-dire d’une absence de rêve. J’ai donc un peu vagabondé parmi les périodes historiques pour m’arrêter rapidement à la Belle Epoque. Principalement parce que c’est une période d’optimisme. J’aime les optimistes même si je ne le suis pas tout à fait moi-même. Les français de 1910 croyaient en leur avenir. Ils croyaient au progrès, à la science, ils construisaient des tours inutiles de 300 mètres de haut, se bousculaient aux opérettes et se taillaient de belles moustaches. Vision idyllique ? Peut être mais est-ce que ce n’est pas ça, être optimiste ?

ActuSF :  Quelles références aviez-vous en tête pour recomposer ce Paris de 1905 ?
Jean-Philippe Depotte : Sans hésiter, le Paris d’Adèle Blanc-Sec (de Jacques Tardi) et celui de Moulin Rouge (de Baz Luhrmann). D’un côté, le Paris des médiums, des sociétés secrètes et des monstres sympathiques. De l’autre, le Paris romantique tel que le monde entier sauf nous le voit et le rêve. Moulin Rouge réussit à mêler la réalité de l’Histoire avec un rythme moderne, des effets spéciaux, des techniques de narration – sans parler de la musique – dignes des clips de MTV. C’est comme ça que j’ai imaginé Les démons de Paris. J’ai joué dans un grand bac à sable. J’ai pris ce qui m’intéressait, j’ai tordu ce qui me résistait, et je ne me suis jamais demandé ce que j’avais le droit de faire.

ActuSF :  J’imagine que l’écriture a demandé beaucoup de documentation. Comment avez travaillé ?
Jean-Philippe Depotte : Partant de l’idée que plus un mensonge est proche de la réalité plus on y croit, j’ai effectivement passé de longues journées dans les livres d’histoire. D’abord, parce que l’histoire m’a toujours passionné et que le moindre bouquin sur les costumes de la Belle Epoque ou sur la vie en exil de Lénine à Paris fourmillent d’anecdotes qui suffisent à noircir 500 pages. Cette recherche documentaire m’a donc été utile à deux niveaux. Le premier est celui de la réflexion originale, la recherche d’idées. Pour cela, pas la peine de disserter, il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour comprendre la mine d’or qu’il représente pour tout romancier en herbe. J’admire les auteurs de science-fiction qui se lancent dans le vide intersidéral sans l’assistance à l’imagination qu’est l’Histoire. Moi, je ne pourrais pas. A un deuxième niveau, l’Histoire est utile pour aider le lecteur à se plonger dans l’univers du roman et à oublier le sien. La charrette de laitier tirée par un labrador, le troupeau de chèvres qui traverse un pont de la Seine, le Luna Park de la porte Maillot : autant d’images fortes et vraies qui aspirent le lecteur au niveau des épaules de mes personnages. En Third Person dirait-on dans le monde du jeu vidéo...

ActuSF :   Aimez-vous UN Paris ou DES Paris ?
Jean-Philippe Depotte : Le Paris que j’aime est celui que j’ai décrit dans Les démons de Paris. Un Paris multiple, en vérité. Le mien, je pense, qui n’est ni le vrai ni celui d’un autre. Et comme cela ne me suffisait pas, je me suis amusé à le dédoubler entre le Paris des vivants et celui des morts. Le roman balance le lecteur entre ces deux villes identiques, superposées, mais pourtant infiniment éloignées l’une de l’autre, de la distance qui sépare un mort d’un vivant. D’un côté, un Paris matériel qui se transforme au gré de la Science et de la Technologie des hommes. D’un autre, un Paris tout aussi mouvant mais soumis à la force des fantasmes des âmes. Le Paris de la Matière contre le Paris des Idées.

ActuSF :  Votre vision de l’Au-delà est tout particulièrement originale. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à son sujet ?
Jean-Philippe Depotte : L’Homme est confronté, depuis qu’il pense, à une série de problèmes fondamentaux auxquels il ne peut pas s’empêcher de réfléchir. C’est sa nature d’animal intelligent. Et l’Histoire montre qu’avant que la science n’apporte ses solutions, les philosophes ont toujours proposé les leurs, élaborées avec leur seule matière grise et les quelques éléments qu’ils observaient autour d’eux. Le soleil tourne autour de la terre (c’est ce que voient mes yeux) : cela signifie que Dieu nous a créés au centre de tout et que l’Univers tourne autour de nous. Etc. Alors, je me suis amusé, par la bouche de Joseph, mon personnage principal, à pousser le raisonnement à propos de l’Au-delà. Le paradis existe ? Ok. Mais pourquoi notre âme abandonnerait-elle au moment du trépas tous ses questionnements, toutes ses névroses, tous ses fantasmes ? A quoi ressemblerait cet Au-delà où chacun vivrait dans l’oisiveté à ressasser les peurs et les préjugés de toute une vie ? Perd-t-on son inconscient quand on perd son corps ? Si oui, alors au paradis, serais-je encore moi-même ? Je me suis toujours posé ces questions. Pas par crainte ou par croyance, mais par simple goût de la logique.

ActuSF :  L’idée de la religion est assez présente dans votre roman, et spécialement dans son aspect le plus « définitif », à savoir celui de l’Au-delà. Est-ce que cela fait écho à vos propres interrogations ?
Jean-Philippe Depotte : Les religions, les croyances ou les superstitions me fascinent. En fait, je m’interroge peu sur l’Au-delà, la vie après la mort, et tout ce genre de choses. Non, ce qui m’intéresse c’est comment il est possible de concilier ces croyances avec la logique et le bon sens. « Il faut avoir la Foi ». « Il faut croire sans comprendre ». Sincèrement (vraiment !) je n’ai rien contre. Mais je ne parviens pas à mettre en berne mon bon sens et à croire sans un minimum d’esprit critique. Joseph, le personnage principal, part exactement de cet état d’esprit « petit bout de la lorgnette » et arrive, après 500 pages, à l’essentiel : l’important, c’est la sincérité des hommes. Je pense qu’en refermant Les démons de Paris, le lecteur peut se dire que toute cette science occulte peut paraître ridicule mais pas la sincérité des personnages ou la bonté qu’ils dégagent. C’est ce dont je suis le plus fier, en me relisant : mes personnages sont bons, même les démons, même les anarchistes. Ils ont leurs croyances, leurs idéaux, mais aucun d’eux n’oublie son humanité. Au final, c’est cela le vrai sujet des religions.

ActuSF :   Quelle est la suite des aventures littéraires pour vous ?
Jean-Philippe Depotte : J’ai découvert, avec Les démons de Paris, le plaisir d’écrire et de vivre 24h sur 24 avec mon intrigue et mes personnages. J’ai eu la chance d’attirer l’attention de Gilles (Dumay) et de voir mon premier roman sous la forme d’un si bel objet (merci Daylon) sur les tables des librairies. Alors, pour rien au monde, je ne m’arrêterai. Je termine actuellement l’écriture de mon deuxième roman : une quête fantastique dans la France du XVIème siècle, sur les traces de Nostradamus. Et puis j’empile les notes et les livres de référence pour un troisième et un quatrième livre. Avec toujours l’idée de proposer à chaque fois une nouvelle époque, un nouvel univers, un nouveau jeu avec ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.


Propos recueillis par mail en mars 2010,
par Eric HOLSTEIN

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