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Interview 2015 : Les Editions Walrus
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Interview 2015 : Les Editions Walrus

ActuSF : Pouvez-vous nous parler de la genèse des éditions Walrus ? Qui est à l'origine de cette maison d'édition ?
 
Julien Simon :  À l’origine, quatre associés passionnés de livres ont fondé Walrus. C’était il y a cinq ans, le premier iPad était sorti depuis quelques mois et nous avons tout de suite pressenti que c’était le début de quelque chose de nouveau pour le livre : pour la première fois, on pouvait imaginer des formats hybrides, mêlant multimédia et narration traditionnelle. À l’origine, Walrus n’était pas une maison d’édition, mais un studio de création pour les éditeurs qui désiraient se plonger dans des défis narratifs et techniques. Ce n’est qu’un peu plus d’un an plus tard que nous avons décidé de commencer à éditer nos premiers titres, avec pour ambition de sortir des sentiers battus et de proposer des textes qu’on ne verrait nulle part ailleurs, en mettant notamment le pulp à l’honneur.
 
 
ActuSF : Comment fonctionnez-vous ? Y a-t-il un directeur de collection ?
 
Julien Simon :  Comme toutes les maisons d’édition, nous recevons des manuscrits (exclusivement par mail) et nous faisons notre sélection parmi ceux-ci. Il y a un directeur de collection,  avec qui je travaille en étroite collaboration — c’est d’ailleurs davantage un second éditeur qu’un directeur de collection pour tout dire. Nous nous répartissons les auteurs et les textes et travaillons en parallèle sur différents dossiers. Quant à la sélection des manuscrits, nous nous en occupons tous les deux à parts égales. Les textes choisis sont ensuite éditorialisés, retravaillés au besoin avec les principaux intéressés, puis publiés sur les principales plateformes d’achat francophones.
 
ActuSF : Des ebooks pulps et nerds. C'est la ligne éditoriale de Walrus ?
 
Julien Simon : Tout à fait. C’est quelque chose qui me tenait à cœur, en tant qu’éditeur mais aussi en tant que lecteur. En dehors du Carnoplaste et de quelques autres qui se consacrent à ce créneau très spécifique, assez peu d’éditeurs étiquetés SFFF se frottent au pulp dans ce qu’il a de plus réjouissant et libérateur. Je n’ai pas peur de la série Z littéraire, au contraire, tant qu’elle est bien écrite et qu’elle apporte quelque chose de nouveau.  C’est une peu notre marque de fabrique : j’ai envie que nous éditions ce que la décence et le bon goût interdiraient aux autres maisons de publier.
 
 
ActuSF : Pourquoi avoir fait le choix d'une maison d'édition 100% numérique ? Envisagez-vous un jour de faire des tirages papier de certains de vos titres ? 
 
Julien Simon : Parce que ça ne coûte pas cher, c’est la principale raison. La publication numérique est capable d’atteindre un public immense sans dépenser une fortune en distribution et en impression. Pourtant j’adore le livre papier, c’est pourquoi  nous cherchons des moyens de pérenniser notre modèle numérique tout en se faufilant du côté du papier par des moyens détournés. Ainsi, depuis quelques semaines, nous proposons notre nouvelle collection (à la couverture orange) en impression à la demande via le service Createspace, que nous avons choisi parce qu’il était très agile, malléable et abordable en terme de coût. À l’avenir, j’adorerais proposer de véritables tirages. Mais pour cela, il faudrait déjà que nous vendions davantage de livres. Notre marché est un marché de niche parmi la niche.
 
ActuSF : Dans votre catalogue, vous avez des  romans des recueils  de nouvelles mais également des séries à suivre, des livres dont vous êtes le héros… Pourquoi y-a-t-il cette multiplicité de formats ? Pour toucher tous les publics ? 
 
Julien Simon :  Tout simplement parce que nous publions ce que nous avons envie de lire et que nous ne trouvons pas forcément ailleurs, ce qui nous plait vraiment. Nous trouvions dommage que les livres dont vous êtes le héros ne soient pas davantage présents dans l’univers numérique, pourtant fait pour cela, alors nous avons créé une collection dédiée (« Rendez-vous au 14 »). Pareil pour les nouvelles, même si elles sont mieux représentées dans la micro-édition francophone. Les séries, c’est également un choix de contexte : on lit souvent plus vite et moins longtemps sur son Smartphone ou sur sa tablette, aussi le format série est idéal pour des trajets, avant de se coucher, entre deux rendez-vous, etc. Le format court est aussi un moyen de proposer des prix faibles à nos lecteurs, que nous aimerions les plus nombreux possible et notamment chez les adolescents, qui n’ont pas toujours 20€ à dépenser dans une nouveauté.
 
 
ActuSF : Il y a des jeunes auteurs, des auteurs plus confirmés comme Jacques Fuentealba, Anthony Boulanger… Comment se passe la sélection des textes ? 
 
Julien Simon :  Au feeling. Quand un texte nous plait, nous n’y allons pas par quatre chemins : on dit oui. Il y a ce concept de la carte blanche chez Walrus que j’aime bien : quand un auteur a été sélectionné pour publication au moins une fois chez nous, je lui laisse carte blanche pour nous proposer ses nouveaux projets, n’importe quoi en fait : si je lui ai fait confiance une fois, alors je lui fais confiance pour la suite, quoi qu’il ou elle propose.  J’aimerais d’ailleurs qu’il y ait davantage de filles dans notre pool d’auteurs, mais il semblerait que le pulp soit un genre plutôt fréquenté par les hommes (ce qui est très regrettable). Nous allons pourtant bientôt publier un pulp « misandre » écrit par une autrice que j’ai littéralement adoré : une histoire post-apo avec des femmes version Amazones qui émasculent des hommes revenus à l’état sauvage. Un truc de malade.
 
ActuSF : Comment percevez-vous le marché du livre numérique en France ? Comment pensez-vous -qu'il va évoluer ? 
 
Julien Simon : J’ai arrêté de faire des prédictions il y a au moins trois ans : à chaque fois que je disais « c’est bon, ça va décoller dans 6 mois maximum », les ventes persistaient à stagner. Et elles stagnent toujours, pas tellement parce que le numérique ne prend pas (il prend de plus en plus, lentement, mais les ventes croissent néanmoins) mais parce que les éditeurs historiques, très timides au début, se sont depuis lancés dans la partie et qu’ils grignotent le peu que nous avions, ce qui est bien normal. On se bat pour faire connaître notre catalogue. Ce n’est pas simple. Mais les gens s’équipent, les lecteurs en numérique sont de plus en plus nombreux, on n’a jamais autant possédé de Smartphones, donc le terrain est là. Notre travail, c’est de faire que ces lecteurs potentiels ne se tournent pas tous vers les best-sellers des grands éditeurs. C’est ça, le plus dur.
 
ActuSF : Pensez-vous qu'il y a un écart important entre l'offre en papier et l'offre en numérique ? 
 
Julien Simon : L’écart a tendance à se réduire, en tout cas pour les nouveautés. Pour le fond, c’est une autre histoire, mais les éditeurs s’y mettent peu à peu. Le véritable problème demeure le prix, beaucoup trop élevé. On ne peut pas amener des gens à la lecture numérique avec des fichiers à 10 ou 15€, c’est juste beaucoup trop cher. Si écart il y a, c’est celui qui existe entre les prix pratiqués et ceux que les lecteurs d’aujourd’hui sont prêts à payer pour un fichier numérique.
 
 
ActuSF : "Nous appliquons chez Walrus une stricte politique « anti-DRM »". Selon vous, les  verrous numériques desservent donc davantage le livre qu'ils ne le protègent ? Quelle est votre position par rapport aux téléchargements illégaux ?
 
Julien Simon : Il existe beaucoup de DRM différents. Il y a celui qui nous embête parce qu’on ne peut pas copier ses livres d’une appareil à l’autre, mais il y a aussi celui qui cache une licence d’utilisation du fichier et qui nous retire sa propriété. Quand on achète un livre sur l’iBookstore, on n’en est pas propriétaire : on nous concède seulement sa licence d’utilisation, du moment de l’achat jusqu’à la mort de l’acheteur. Un tel fichier n’est pas cessible à un proche, à ses enfants, il n’est pas prêtable non plus. Ce n’est pas l’idée que je me fais du livre. Donc par principe, nous n’appliquons pas de DRM sur nos ouvrages. Les téléchargements illégaux, quant à eux, sont une réalité qu’il est difficile d’éviter. Faire le choix du non-DRM, c’est implicitement faciliter le piratage, c’est certain. Mais nous avons décidé de jouer la carte de la confiance. Certains lecteurs ne joueront jamais le jeu, c’est certain. Mais si on commence à trop fliquer, on finit par pourrir le web de protections qui toucheront et handicaperont aussi les autres internautes. Je préfère m’en remettre à la conscience de chacun, et nous communiquons beaucoup sur le fait que nous sommes une toute petite structure qui a besoin de soutien, notamment financier.
 
ActuSF : Vous avez refait le design de vos livres récemment. Comment avez-vous abordé ce "relooking" ? 
 
Julien Simon :  La principale inspiration réside dans le travail de Saul Bass, un graphiste américain qui a notamment beaucoup travaillé pour Hitchcock et dont le style nous semblait parfaitement convenir à l’esprit pulp de Walrus. Je m’occupe moi-même de la plupart des couvertures, mais nous faisons aussi parfois appel à des illustrateurs. J’aime les design épurés, et je voulais quelque chose d’à la fois percutant et immédiatement reconnaissable pour les nouvelles couvertures de Walrus.
 
ActuSF : Quelles seront les prochaines sorties des éditions Walrus ? 
 
Julien Simon : Outre la collection pulp qui va continuer à s’étoffer, nous avons publié cet été une nouvelle série de Stephane Desienne, qui reviendra dans les prochains mois avec la saison 2 de Toxic, la série mi-alien mi-zombie. Nous publierons aussi la suite des aventures de Jason et Robur de Jacques Fuentealba, ainsi que la nouvelle série de Neil Jomunsi, Agence B (la suite de Jésus contre Hitler). Et nous ne sommes pas à l’abri de surprises de dernière minute, bien entendu.
 
ActuSF : Le mot de la fin : quel livre nous conseillez-vous de lire pour cette rentrée ?
 
Julien Simon :  Ce n’est pas une nouveauté, mais je viens de terminer un très joli livre de Shirley Jackson intitulé « Nous avons toujours vécu au château ». Ce n’est pas du fantastique à proprement parler, même si on ne peut pas s’empêcher de penser à la famille Addams, mais l’ambiance délicate et poétique tranche avec une trame sombre, sinistre, qui m’a beaucoup plu.
 
 

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